Bisa Studio est l’histoire d’une passion commune, celle de Marta Jurado Chagnaud et de Louis Chagnaud. Tous deux épris d‘art et d’artisanat, ils ont longtemps nourri le rêve de créer un univers où l’imagination se mêlerait harmonieusement à l’authenticité des savoir-faire traditionnels. Rencontre.
À lire aussi : Sophie Lou Jacobsen, au diapason de la création verrière
Bisa Studio : une histoire de rencontres
Les nombreuses photographies de Marta Jurado Chagnaud en train de dessiner capturées par ses parents durant ses tendres années rappellent à la jeune femme, biberonnée au Vogue et aux visites de musées, qu’elle a toujours été la créative de la famille. “Si, adolescente j’étais davantage attirée par la mode, je bachotais au lycée dans l’optique de devenir architecte. J’étais fascinée par les bâtiments qui m’entouraient.” Finalement, elle se tourne vers une école de Barcelone où sont enseignés le graphisme, la scénographie, le design produit et l’architecture d’intérieur. “L’aspect technique du premier des arts majeurs ne me plaisait pas tant que ça. Si j’avais suivi cette voie, j’aurais certes gagné une expertise mais je ne suis pas convaincue qu’elle me servirait aujourd’hui.” Puis, elle s’envole pour Paris, où elle décroche en 2014 son diplôme à Penninghen, où l’enseignement la déroute totalement : “Les élève travaillaient comme des robots, alors que je venais d’une école très bohème où les cours se déroulaient assis en cercle dans l’herbe.”
Son bras-droit et futur mari, Marta le rencontre pendant ses années d’études, en 2011, à Cadaqués. Petit-fils de la fondatrice de Tartine et Chocolat ayant toujours baigné dans un milieu créatif, Louis Chagnaud se détourne de cet univers au profit des affaires. Ne tenant pas en place, le Parisien pose ses valises en Australie, à Londres et à New York avant de s’installer à Bali. Les deux amis se recroisent à Barcelone : “Il m’a raconté sa vie en Indonésie, qui semblait si riche, si inspirante, que j’ai décidé de tout plaquer pour le rejoindre en vacances. Mon père ne comprenait pas que je démissionne d’une entreprise où j’étais salariée, mais cette multinationale qui concevait des bureaux et imposait un dresscode – l’enfer ! – ne me convenait pas.” Alors qu’elle pensait se prélasser sous les palmiers, Marta passe son séjour à travailler sur le dernier projet en date de Louis, reconverti dans l’architecture d’intérieur. “Et j’ai adoré ça ! Pouvoir faire ce que je voulais, où je voulais et comment je voulais. M’écarter des chemins classiques.” Elle s’ouvre à la richesse de l’artisanat local, une révélation qui résonne en elle comme une évidence. Marta parle avec émotion de ces rencontres avec des artisans passionnés, de ces voyages à travers les techniques et les traditions, à la recherche de techniques qui captivent l’âme.
Le couple à la ville comme à la scène, fonde d’abord Heaps & Woods. L’objectif de l’entreprise qui opère en B2B ? Permettre à des designers de matérialiser leurs idées en leur proposant un catalogue d’artisans, de petits ateliers travaillant des matériaux locaux et capables de produire de grands volumes. Le duo tient avant tout à perpétuer des savoir-faire traditionnels, à aller à la rencontre de fabricants qui utilisent des techniques uniques. Pourtant, Heaps & Wood ne permet pas d’aider autant d’ateliers qu’ils souhaiteraient : “Nous avons par exemple rencontré un employé d’une usine de piles espagnole qui, pendant son temps libre, tisse… seulement 5 mètres d’étoffe magnifique par semaine : impossible de l’intégrer à un projet B2B.”
La créativité sans limite
Ainsi né Bisa Studio, un label de mobilier et d’objets de décoration dessinés par Marta et par des créateurs qu’elle affectionne, toujours dans l’optique de mettre en lumière les techniques qui se perdent. Le label au-delà de l’objet. C’est une philosophie de vie, un hymne à l’artisanat et à la créativité. D’ailleurs, “bisa” signifie “possible” en indonésien, ce qui correspond parfaitement à ce couple qui ne recule devant rien. “Bisa Studio est le lieu où je peux m’exprimer pleinement – je me fiche des exigences du marché, avoue Marta. Nous avons trouvé dans la région quelqu’un qui utilisait une technique très particulière, complètement folle, fragile, impossible à utiliser pour du mobilier et des projets d’hospitalité. Lorsque nous avons lancé Bisa Studio, label lifestyle global de collectible design, nous l’avons rappelé : l’atelier avait fermé et cette technique, qu’il était le seul à pratiquer, sera vite oubliée. Permettre à ces savoir-faire de perdurer dans le temps est pour moi un devoir, une mission. Nous sommes très sensibles à l’artisanat : visiter des ateliers, des artisans, nous donne la chair de poule. Et nous avons énormément de peine à voir un savoir-faire transmis de génération en génération disparaître soudainement. Je ne peux racheter tous ces ateliers, mais grâce à nos contacts, nous pouvons les mettre sur les radars et contribuer à leur préservation.”
La griffe célèbre son récent lancement en mars 2024 avec trois projets. D’abord, une collaboration avec Moisés Tibau, pêcheur et céramiste basé à Cadaqués, sur la crique de Portlligat – là où se situe la Maison-musée Salvador Dali. Ce créatif utilise son art pour sensibiliser aux enjeux environnementaux de la Méditerranée, créant ainsi des pièces porteuses de sens. Puis une collection de mobilier imaginée par Garance Vallée, la cool kid dont les peintures les maquettes de meubles cartonnent sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, l’une des chaises qu’elle conçoit pour Bisa Studio n’est autre que la version grandeur nature d’une boucle d’oreille créée en 2021. Les sculptures lumineuses dessinées par Marta et réalisées à la main en crochet de laiton tressé, complètent le tout.
Alors que Bisa Studio vient de dévoiler cette première collection à Paris, au sein des anciens ateliers de vitrail Lardeur, rue du Cherche-Midi, l’équipe reste fidèle à sa vision : dire oui à l’expérimentation, à la créativité sans limites, et surtout, à la préservation d’un héritage artisanal précieux. Dans un monde qui va toujours plus vite, Marta Jurado Chagnaud et de Louis Chagnaud invitent à ralentir, à s’arrêter et à apprécier la beauté de l’artisanat dans toute sa splendeur. Pour l’Espagnole qui habite aujourd’hui à Madrid avec son mari, c’est une exploration sans fin, une quête visant à éveiller les sens et à raconter des histoires, un hommage à la lenteur et à la contemplation. Affaire à suivre.
À lire aussi : Alexandre Benjamin Navet pour Monoprix : de la toile à l’objet