Diplômée de l’école Camondo, ancienne directrice artistique du bureau d’études du groupe hôtelier Costes, l’architecte d’intérieur Jordane Arrivetz a récemment vampé le sublime restaurant Bonnie, à Paris, et l’hôtel de rêve 5 étoiles La Tartane, à Saint-Tropez. Elle travaille actuellement sur le Noti Club, un bâtiment amarré au pied de la tour Eiffel qui accueillera ses hôtes au printemps. Et rénove l’un des restaurants de plage de l’hôtel Le Majestic, futur spot des stars lors du prochain Festival de Cannes. Rencontre.
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Jordane Arrivetz : « l’art n’a ni temps ni géographie«
« À l’âge de 4 ans, j’ai organisé ma première exposition dans une mise en scène en noir et blanc dont ma mère se souvient encore ! Je ne suis donc pas tout à fait novice en matière muséale. Mon musée imaginaire serait une forêt vierge où les visiteurs se perdraient volontairement; ils déambuleraient dans des lieux entre nature et espaces d’exposition.
Le paysage se révélerait lentement, comme dans Alice au pays des merveilles (les décors du film d’animation sortie en 1950 par les studios Disney me fascinent, je l’avoue !) ou sur l’île japonaise de Naoshima. L’expérience y est quasi mystique, notamment dans la salle carrée du Chichu Art Museum signé Tadao Ando, à la lumière zénithale, conçue pour recevoir cinq des Nymphéas de Claude Monet. On doit s’y déchausser et fouler pieds nus le sol en mosaïque de marbre blanc…
Je reproduirais cette sensation d’une grande sensualité en demandant de parcourir mon musée-forêt sans souliers, pour ressentir le sable, les mousses ou les paillis dont le pétrichor – odeur se dégageant du sol après la pluie qui remplit l’air d’un parfum terreux – imprime nos mémoires.
À l’instinct, on se laisserait entraîner vers des pièces rassemblées pour déclencher différents états émotionnels. L’art n’ayant ni temps ni géographie, on peut tout mélanger. On admirerait des photographies oniriques de l’Anglais Tim Walker, on déposerait ses secrets à la sépulture-confessionnal de Sophie Calle – si mon artiste fétiche accepte de me la prêter un moment –, avant de tomber sur les 2000 temples du site archéologique de Bagan, au Myanmar (Birmanie), miraculeusement transportés dans mon paysage muséal.
« Une expérience merveilleuse au gré du jour, de la nuit et de ses émotions »
Sur un lit de sable, dans une atmosphère de grotte, trônerait le buste de Néfertiti (XIVe siècle av. J.-C.), qui m’a littéralement happée à l’ouverture du Neues Museum, à Berlin, après une nuit blanche. À l’inverse, dans une clairière rassurante traversée d’une rivière, figurerait une œuvre au chaos dérangeant d’Annette Messager.
Contrastant avec ce paysage, des écrins taillés pour une personne proposeraient un tête-à-tête avec une pièce d’art unique – dans l’esprit du cabinet de Diane au musée de la Chasse et de la Nature, à Paris, où Jean Fabre a composé une extraordinaire chouette en verre et plumes, symbole de la déesse de la Nuit et de la Mort. L’un d’eux resterait clos, tel le gardien d’un de mes trésors : le globe terrestre des années 60 sur lequel mon grand-père a épinglé tous les lieux qu’il a visités !
Il m’est arrivé, un jour, de tomber sur une lampe signée Ettore Sottsass (pour IKEA!) avec cette impression étrange de « déjà-vu ». Plus tard, j’ai appris que ce modèle ornait ma chambre d’enfant. Je l’avais oublié. Cette familiarité inattendue a déclenché en moi une émotion incroyable et l’envie d’inventer un écrin magique qui aurait le pouvoir de recréer une madeleine de Proust surprise.
Et puis, je bannirais les cartels explicatifs inutiles… sauf si Claude Ponti les rédige avec sa poésie abracadabrantesque (il est l’auteur d’albums jeunesse comme Le Doudou méchant et L’Arbre sans fin). Enfin, il y aurait des piles de livres autour de lits à baldaquin où s’installer à plusieurs, comme au XVIIIe siècle, pour lire, discuter, s’assoupir, refaire le monde – Sophie Calle a d’ailleurs initié la performance artistique Les Dormeurs en invitant des inconnus dans son lit. Pour qui rêve de passer librement une nuit au musée devant son œuvre favorite, mon espace imaginaire serait aussi un hôtel afin d’y vivre cette expérience merveilleuse au gré du jour, de la nuit et de ses émotions. »
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