Sophie Lou Jacobsen, au diapason de la création verrière

Rencontre avec la jeune créatrice Franco-américaine qui séduit par ses objets tout en finesse.

En route pour aller visiter un atelier de passementerie situé dans le 20e arrondissement de Paris, Sophie Lou Jacobsen accepte de faire un crochet pour nous rencontrer. 36 ans, le teint frais et l’œil pétillant, cette Franco-américain, dont les pichets à anse zigzag et les vases en verre bullé s’arrachent sur la toile, a passé sa vie entre Seattle, Londres, New York et la Ville Lumière. Rencontre avec une maîtresse de la matière au délicat imaginaire.


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Le choc des cultures

À son arrivée à Paris, à 16 ans, directement propulsée en classe de Terminale au lycée, Sophie Lou Jacobsen ressent un choc des cultures presque violent. “Dans la ville où j’ai grandi, l’école n’était pas aussi intense, se souvient la créatrice née à Seattle de parents français. Les cours finissaient à 14h30 et l’après-midi était consacré aux activités périscolaires. J’avais l’impression que l’on y vivre, et non qu’on y apprenait tout court. Là bas, dans cet établissement public d’un bon niveau, les enseignants encouragent la rédaction d’essais, la construction de narratives, contrairement en France où le par cœur est de rigueur.”

Le pichet Wave de Sophie Lou Jacobsen.
Le pichet Wave de Sophie Lou Jacobsen.

Perdue dans le système académique hexagonal, la jeune femme se jette dans le monde de l’art. Faire une pause d’un an le temps d’une classe préparatoire artistique lui semble inévitable. “Finalement, ce break est devenu ma vie.” Cette année-là, Sophie Lou Jacobsen l’envisage avec en tête le souhait de devenir architecte. “J’ai toujours été passionnée par les lieux de vie, les objets et les espaces. Mes parents avaient très bon goût et notre maison a toujours été très bien agencée. Quant à moi, je dévorais les revues spécialisées qui traînaient un peu partout et j’adorais les accompagner dans des boutiques de mobilier et d’objets. Je m’y intéressais, mais petite, je ne savais pas encore que cela pouvait être un métier.

Même dans l’art, l’enseignement français ne lui correspond pas : “Tout y est très rigide. Quant aux concours pour les grandes écoles, ils sont longs et laborieux, s’étendent sur plusieurs jours… Et, je n’ai été prise nulle part !” La prestigieuse Central Saint Martins College of Art and Design de Londres lui ouvre cependant les bras. “Lors de l’entretien, j’ai eu l’impression qu’ils désiraient réellement me connaître”, confie-t-elle. Pourtant Sophie Lou Jacobsen n’était pas une enfant spécialement créative : elle préférait rêvasser, s’inventer des histoire et s’imaginait actrice. “J’ai appris à dessiner, à fabriquer des choses de mes mains, des bijoux, des vêtements, seulement au lycée, avoue-t-elle. Je n’en ressentais pas le besoin auparavant.

Sophie Lou Jacobsen crée aussi bien des pièces suivant un procédé industriel que des objets fabriqués à la main en quantités limitées. (c) Jen Steele
Sophie Lou Jacobsen crée aussi bien des pièces suivant un procédé industriel que des objets fabriqués à la main en quantités limitées. (c) Jen Steele

La vie londonienne sied à cette Franco-américaine, plus à l’aise avec le savoir vivre anglo-saxon. Elle retrouve le même style de système éducatif, plus libre, qu’elle avait tant aimé à Seattle. Diplôme en poche, elle papillonne de stages en jobs, envisage une carrière dans le journalisme et même un cursus plus théorique dans le design. En parallèle de son travail dans une agence de consulting, Sophie Lou Jacobsen ouvre un studio avec une amie : le déclic. “Nous concevions des bougeoirs et de petits meubles que l’on vendait dans des boutiques de Londres. J’ai tout de suite adoré ça.”

Elle réalise alors que la ville de New York est en pleine métamorphose, ouvrant ses portes à une nouvelle génération de créatifs et d’artistes. Après huis ans passés dans la métropole des mods, Sophie Lou Jacobsen s’envole pour Brooklyn, où elle devient assistante au Ladies & Gentlemen Studio, accumulant les connaissances nécessaires pour se lancer en solo. Août 2019, la voilà qui saute le pas.

Les assiettes en verre Petal de Sophie Lou Jacobsen sont fabriquées à la main à New York. (c) Jen Steele
Les assiettes en verre Petal de Sophie Lou Jacobsen sont fabriquées à la main à New York. (c) Jen Steele

Sophie Lou Jacobsen, l’art et la matière

Le verre la fascine. Elle tombe dans la marmite en 2018, à l’occasion de la New York Design Week. “J’ai tout de suite adoré ! Mes croquis sont très simples, géométriques, graphiques. Je joue beaucoup sur les couleurs. La façon dont on travaille cette matière correspond bien à ma manière de dessiner. J’apprécie que ce matériau puisse prendre n’importe quelle teinte sans que l’on ait besoin de le peindre. Je trouve cela très intègre.” Ses pièces alors exposées remportent un certain succès : “on me demandait si elles étaient à vendre. Je me suis donc renseignée sur la production en série.” Plus elle en apprend sur les manières de travailler cette matière, son histoire, plus elle est inspirée.

Pauline Vincent, amie de lycée perdue de vue puis retrouvée par hasard, une année, au Salone del Mobile, la convainc de se lancer, en parallèle de ses lignes abordables, dans la confection de pièces exclusives voire uniques. “Comme moi, Pauline est attirée par l’artisanat et nous avons toujours voulu développer des objets spécifiquement pour sa griffe, La Romaine Editions.” Elle imagine alors le vase Pavot, qui la propulse dans l’univers du collectible design. “À cette époque, je ne pensais pas que l’on voudrait m’acheter des objets si chers. Finalement ça a plu, surtout qu’à New York, la clientèle est friande de ce type de propositions.

Récemment, Sophie Lou Jacobsen a développé une ligne de vases en opaline.
Récemment, Sophie Lou Jacobsen a développé une ligne de vases en opaline.

Jusqu’en mars 2020, elle conserve une activité de freelance en parallèle, afin de subvenir à ses besoins. « Puis tout s’est arrêté net. Le premier mois a été très dur, tout le monde était cloîtré chez soi, paniqué. Je me suis rapidement aperçu que beaucoup en ont profité pour embellir leur intérieur.” Sans parler de la mentalité new-yorkaise qui a poussé les plus aisés à aider les créateurs indépendants qui risquaient d’y laisser des plumes. “Les ventes ont explosé. J’ai eu plus de temps pour concevoir mes objets et je n’ai plus jamais eu besoin de travailler à côté.

Aujourd’hui, la petite entreprise compte trois personnes et une poignée d’indépendants. “J’essaie de garder mes frais aussi bas que possible pour pouvoir continuer à faire les choix qui me correspondent, sans devoir à tout prix produire plus.” Récemment, la Franco-américaine a mis au point avec son artisan une collection en opaline. Des pièces délicates et poétiques. “Je travaille toujours avec le même maître verrier new-yorkais avec qui j’ai tout de suite accroché. Lui m’a beaucoup appris et de son côté, il apprécie que je le pousse à dépasser ses limites et à utiliser de nouvelles techniques. Il n’avait jamais confectionné de fleurs sculptées, nous avons donc pris le temps de développer un langage qui me plaisait.

Il n’y a pas que le verre dans la vie. Sophie Lou compte bien explorer de nouvelles matières, comme ici avec le plateau en métal Squiggle disponible chez La Romaine Editions. (c) Jen Steele
Il n’y a pas que le verre dans la vie. Sophie Lou compte bien explorer de nouvelles matières, comme ici avec le plateau en métal Squiggle disponible chez La Romaine Editions. (c) Jen Steele

Mais alors, pourquoi visiter un atelier de passementerie ?Une amie m’a parlé de ce studio, que je tenais à découvrir car j’aimerais inclure cette technique à mes créations futures.” Sophie Lou Jacobsen ne tient pas en place. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle a quitté la capitale au profit de la Cité Phocéenne, où elle a posé ses valises au Pavillon Southway pour une résidence artistique de deux semaines. “J’espère m’ouvrir à de nouveaux matériaux [elle s’amuse déjà avec le métal qu’elle se plaît à incorporer à ses objets, ndlr] et rencontrer des artisans inspirants.” Elle sera de retour dans la Ville Lumière le temps d’un long week-end afin de participer à la première édition du salon Matter & Shape (du 1er au 4 mars 2024). Affaire à suivre.


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