A São Paulo, visite à l'Apartamento 61

Cette maison conçue par un sculpteur moderniste, rénovée par un architecte brésilien dans les années 60 qui l’a sublimée en l’ouvrant sur la beauté tropicale alentour, est aujourd’hui investie par un jeune couple passionné de mobilier du XXe siècle qui a su lui insuffler une nouvelle vie.

Le sculpteur italo-brésilien Victor Brecheret (1894-1955), dont l’œuvre la plus fameuse s’intitule Monument aux drapeaux (1921-1953), à São Paulo, a vécu dans cette maison (qu’il avait dessinée en 1939) jusqu’en 1955, année de sa mort. En 1960, sa veuve, Juranda, a demandé au célèbre architecte brésilien Rino Levi d’en entamer la rénovation. Connu pour son style rationaliste tropical, l’architecte a modifié la disposition des pièces, créé un superbe balcon et un beau jardin avec une pergola sur l’arrière-cour. Il a également conçu toutes les ouvertures coulissantes ainsi que la cuisine équipée et les placards. Pour finir, il a meublé la maison avec des pièces qu’il a dessinées lui-même, en collaboration avec un célèbre studio de design de São Paulo, Branco & Preto.

Un bâtiment dessiné en 1939 par Victor Brecheret, sculpteur moderniste italo-brésilien. Brecheret rentrait alors d’un long séjour en Europe, ce qui explique ses influences de Le Corbusier et de Mies van der Rohe. Il avait également crée un petit atelier de sculpture, à l’arrière de la maison.
Un bâtiment dessiné en 1939 par Victor Brecheret, sculpteur moderniste italo-brésilien. Brecheret rentrait alors d’un long séjour en Europe, ce qui explique ses influences de Le Corbusier et de Mies van der Rohe. Il avait également crée un petit atelier de sculpture, à l’arrière de la maison. Filippo Bamberghi
Vivian Lobato et André Visockis dans le jardin de leur maison, un bâtiment dessiné en 1939 par Victor Brecheret, sculpteur moderniste italo-brésilien. Brecheret rentrait alors d’un long séjour en Europe, ce qui explique ses influences de Le Corbusier et de Mies van der Rohe. Il avait également crée un petit atelier de sculpture, à l’arrière de la maison.
Vivian Lobato et André Visockis dans le jardin de leur maison, un bâtiment dessiné en 1939 par Victor Brecheret, sculpteur moderniste italo-brésilien. Brecheret rentrait alors d’un long séjour en Europe, ce qui explique ses influences de Le Corbusier et de Mies van der Rohe. Il avait également crée un petit atelier de sculpture, à l’arrière de la maison. Filippo Bamberghi

Juranda a vécu dans cette maison jusqu’en 2015. En avril 2016, une fois la plomberie et l’électricité rénovées, les nouveaux locataires, Vivian Lobato, journaliste, et André Visockis, graphiste, l’ont investie et aménagée en s’inspirant de l’architecte paysagiste Burle Marx (1909-1994), accompagnés d’André Paoliello, un paysagiste installé à São Paulo qui travailla notamment sur la fameuse Casa de Vidro de Lina Bo Bardi (1914-1992). Mais Vivian et André ne sont pas de simples locataires. Ils ont créé en mars 2014 une entreprise de vente de mobilier du XXe siècle : Apartamento 61. « Au départ, nous ne voulions faire qu’un e-commerce, raconte André, et des boutiques éphémères ici et là. Cependant, nous avions pris l’habitude d’ouvrir notre appartement sur rendez-vous, uniquement les samedis. Une fois que nous avons emménagé dans la maison, nous avons continué les rendez-vous, puis nous avons officiellement ouvert nos portes le 7 août 2016. À cette occasion, tout le mobilier a été choisi par l’architecte Felipe Hess, connu pour ses grands projets inspirés du modernisme et pour sa passion des meubles modernes brésiliens. »

Le balcon de l’arrière-cour et sa pergola ont été dessinés par Rino Levi en 1960, et le jardin tropical, par André Paoliello et Flavia Tiraboschi pour le jeune couple de propriétaires en 2017.
Le balcon de l’arrière-cour et sa pergola ont été dessinés par Rino Levi en 1960, et le jardin tropical, par André Paoliello et Flavia Tiraboschi pour le jeune couple de propriétaires en 2017. Filippo Bamberghi
Lustre des années 70 de l’Italien Gaetano Sciolari. À gauche, devant le fauteuil fifties « M3 » de Carlos Millan (Branco & Preto), table d’appoint des seventies de Percival Lafer (Brésil). Au centre, sur la table basse de José Zanine Caldas, bougeoirs « Brazil » du début des années 50 en palissandres brésilien et danois. À droite, paire de fauteuils fifties d’origine inconnue à structure métallique, recouverts de laine. Au fond, canapé années 50 « Tubular » en acier de Rino Levi. Cette pièce est dans la maison depuis la rénovation de Rino Levi en 1960.
Lustre des années 70 de l’Italien Gaetano Sciolari. À gauche, devant le fauteuil fifties « M3 » de Carlos Millan (Branco & Preto), table d’appoint des seventies de Percival Lafer (Brésil). Au centre, sur la table basse de José Zanine Caldas, bougeoirs « Brazil » du début des années 50 en palissandres brésilien et danois. À droite, paire de fauteuils fifties d’origine inconnue à structure métallique, recouverts de laine. Au fond, canapé années 50 « Tubular » en acier de Rino Levi. Cette pièce est dans la maison depuis la rénovation de Rino Levi en 1960. Filippo Bamberghi

La clientèle ne vient donc pas par hasard et complète celle du site de vente. Aujourd’hui, Apartamento 61 compte avant tout parmi ses visiteurs des collectionneurs (du Brésil et d’ailleurs), des galeristes étrangers et des architectes. Près de 85 % des articles vendus sont vintage, car Viviane et André tentent d’intégrer à leur sélection quelques designers contemporains. Se côtoient donc des pièces modernistes de Lina Bo Bardi, Jorge Zalszupin, José Zanine Caldas, Rino Levi, Branco & Preto, Percival Lafer, Michel Arnoult, Hans Wegner et de quelques anonymes, et des créations de designers tels que les frères Campana, Bianca Barbato, Ricardo Graham, Guilherme Wentz, Rodrigo Almeida et Guilherme Torres.

De gauche à droite, canapé fifties en acier tubulaire de Rino Levi. Table basse sixties, avec plateau en palissandre, conçue par Jorge Zalszupin.
De gauche à droite, canapé fifties en acier tubulaire de Rino Levi. Table basse sixties, avec plateau en palissandre, conçue par Jorge Zalszupin. Filippo Bamberghi
Paire de fauteuils de jardin années 50 créés par Carlo Hauner (Brésil).
Paire de fauteuils de jardin années 50 créés par Carlo Hauner (Brésil). Filippo Bamberghi

Récup’ de pros
« Lorsque nous avons emménagé ensemble dans notre premier appartement, nous n’avions pratiquement rien, raconte André, parce qu’à l’époque je vivais dans un petit studio en ville, et Vivian, chez sa grand-mère. Or il était assez grand (environ 120 m2) et il a fallu que nous l’aménagions… C’est ainsi que nous avons commencé à récupérer des pièces vintage – d’où le nom de notre galerie, Apartamento 61, le numéro de cet appartement. Nous avons donc arpenté les vide-greniers, l’Armée du Salut, etc. »

Fauteuil-élément d’un canapé modulaire du début des années 50, de José Zanine Caldas. Tapis Art déco de l’artiste brésilienne Regina Graz (1897-1973), datant de la fin des années 40.
Fauteuil-élément d’un canapé modulaire du début des années 50, de José Zanine Caldas. Tapis Art déco de l’artiste brésilienne Regina Graz (1897-1973), datant de la fin des années 40. Filippo Bamberghi
Sur la cheminée, sculpture en bronze « Piroga » (1954), signée Victor Brecheret. De gauche à droite : fauteuil lounge des années 50 de Lina Bo Bardi, fauteuil années 50 de Zanine Caldas, table basse fifties (Branco & Preto), paire de chaises en cuir et acier « Tripé » de Lina Bo Bardi.
Sur la cheminée, sculpture en bronze « Piroga » (1954), signée Victor Brecheret. De gauche à droite : fauteuil lounge des années 50 de Lina Bo Bardi, fauteuil années 50 de Zanine Caldas, table basse fifties (Branco & Preto), paire de chaises en cuir et acier « Tripé » de Lina Bo Bardi. Filippo Bamberghi

Au fur et à mesure, le jeune couple réalise que son investissement se fait tout naturellement sur des pièces vintage, en bois, découvrant peu à peu leur valeur historique… et leur valeur tout court. Cette quête finit par devenir une véritable passion : « Nous avons meublé tout l’appartement, puis nous avons continué d’acheter par plaisir. Jusqu’à nous retrouver avec trois buffets et de la place pour un seul… Étant moi-même concepteur graphique et Vivian journaliste, nous avons utilisé nos expériences respectives pour donner vie à notre projet. » Ou comment faire de sa passion un métier.