IDEAT : Comment Tolix a-t-il eu l’idée de faire appel à vous ?
Pauline Deltour : Nous nous sommes rencontrées par le biais de Kilian Schindler, le directeur artistique de Tolix. Nous nous connaissions un peu car j’ai pas mal travaillé en Allemagne, le pays d’origine de Kilian. Or l’entreprise cherchait non seulement une signature française mais aussi, pour la première fois, une femme designer.
Chantal Andriot : L’idée d’avoir une femme française dans l’équipe de designers de Tolix me plaisait bien, et Pauline a tout de suite accepté.
Qu’attendait Tolix de Pauline Deltour ?
C.A. : Nous avions besoin d’une patte féminine qui puisse affiner notre style industriel si populaire. Je voulais plus de finesse, d’élégance, tout en respectant les codes maison et la qualité qui ont fait notre réputation : la résistance aux conditions météorologiques, le caractère empilable, nos savoir-faire…
P.D. : Tolix misait sur ma bonne utilisation des matières, le dessin d’une ligne simple, qui s’adapte à l’ADN de l’entreprise. Ils ne voulaient pas forcément que je dessine du « féminin » mais quelque chose d’élégant.
Pauline, que saviez-vous de Tolix ?
P.D. : Connaissant très bien l’univers du métal, que j’ai pu expérimenter avec Lexon ou Alessi, je comprends les process et les contraintes d’un tel matériau, spécialité de la maison. Je possède aussi chez moi une Chaise A (ce modèle créé en 1927 par Xavier Pauchard, le premier fabriqué par Tolix, est toujours édité aujourd’hui, NDLR) et j’ai suivi avec intérêt ses aventures avec le duo de Normal Studio (qui a dessiné certaines pièces de mobilier et fut un temps directeur artistique de Tolix, NDLR).
Qu’avez-vous souhaité leur proposer ?
P.D. : J’ai cherché comment enrichir l’histoire de l’entreprise. J’ai réalisé qu’elle proposait du mobilier très « plein ». J’avais alors en tête de leur soumettre une alternative légère en poids et en esthétique, proche de la calligraphie, comme un trait noir sur un papier blanc. Et qui soit à la fois dessinée et naturelle, harmonieuse et confortable, faite de courbes et de lignes droites.
En quoi « Patio » – c’est le nom de cette collection – était-elle un challenge pour la designer comme pour le fabricant ?
P.D. : Chantal Andriot n’avait pas l’intention d’investir dans de nouveaux outils pour ce projet. Nous avons donc utilisé le tube cintré et la tôle cintrée soudée, des spécialités de la maison qui ne nécessitent pas de préformage mais uniquement un travail de découpe. Nous avons modifié le dessin pour nous adapter à la cintreuse et minimiser le nombre d’actions des ouvriers, dans l’optique de limiter les coûts de fabrication.
C.A. : Pauline a été capable de s’inscrire dans nos pratiques, notre histoire. Sa chaise avec un dossier composé de lames en est le parfait exemple. Elle a su élaborer une proposition bien proportionnée, solide, tout en justesse et en finesse du trait. Elle s’est vraiment fondue dans les savoir-faire existants. Elle a aussi compris la nécessité du rapport qualité-prix, auquel elle s’est tenue en livrant une gamme pas trop complexe à produire. Car la main de l’homme est essentielle, chez Tolix, et il faut donc l’économiser.
Comment cette collaboration s’est-elle déroulée ?
P.D. : Tout s’est mis en place très rapidement, ce qui a été rendu possible grâce au côté familial de l’entreprise et parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un éditeur mais aussi d’un fabricant. Comme chez Alessi, le dialogue et les réunions au milieu des machines, au cœur de l’usine, étaient passionnants. J’allais environ toutes les trois semaines rencontrer Chantal et sa fille Aurélie, responsable de la production. En TGV, le siège de Tolix, situé à Autun, en Bourgogne, n’est pas loin de Paris, où est basé mon studio.
C.A. : Pauline a effectivement collaboré avec le bureau d’études piloté par ma fille, Aurélie. Nous avons travaillé toutes les trois sur la collection. « Patio » est une véritable histoire de femmes qui aboutit à un résultat juste, où rien n’est laissé au hasard et tout est aligné. Pauline est extrêmement exigeante, et Aurélie, très méticuleuse. Toutes les courbes ont été étudiées, et les angles, calculés.
Le caractère familial et le lieu d’implantation de Tolix ont-ils des répercussions concrètes sur votre façon de travailler ?
C.A. : Oui, c’est certain. « Patio » a été testée dans notre laboratoire, au réfectoire de l’usine et dans mon jardin. Certains prototypes ont passé un hiver dehors et ont été soumis au brouillard… Et puis j’ai vécu avec ces pièces chez moi, cela m’a permis de procéder tout de suite aux réajustements nécessaires. Cette collection est une base sur laquelle nous allons pouvoir faire du sur-mesure pour des hôtels, du contract en général. Plus large, plus long, en petites ou plus grandes quantités… On sait faire !
Ce côté familial se traduit aussi par le rôle de vos enfants, notamment de votre fille Aurélie, au sein de l’entreprise. Comment a-t-elle fait évoluer les choses ?
C.A. : Aurélie dirige le bureau d’études et la production. Elle possède une vision très claire de ce qui est faisable ou non et elle a fait avancer le projet rapidement. Avec elle, Pauline pouvait obtenir des réponses immédiates. Elle lui a expliqué les limites des machines, jusqu’où elle pouvait aller au niveau de la courbure…
Comment votre fille est-elle arrivée à ce poste de production ?
C.A. : Elle a d’abord, comme moi, suivi une formation d’experte-comptable et, lorsque nous avons décidé d’adopter le lean manufacturing (une méthode de gestion de la production qui se concentre sur la réduction du gaspillage), il y a une dizaine d’années, elle s’est intéressée à ce système et l’a mis en place dans l’entreprise. Elle est ensuite restée à ce poste, qu’elle assume depuis 2012. Mon fils Alexandre est lui aussi investi dans la société, puisqu’il est responsable de marché pour la France, la Belgique et la Suisse, un autre maillon essentiel de notre maison…