Pour Un été au Havre 2024, l’équipe municipale, sous la direction artistique de Gaël Charbau, semble bien rodée : le programme, sans fil conducteur réel, expose environ une quinzaine d’œuvres, qui s’ajoute aux 18 pérennisées des années précédentes. « Tous les étés, par le prisme de l’art contemporain, Le Havre devient une destination tendance entre plage et culture, où se mêlent expositions et explorations urbaines, le tout les pieds dans l’eau, s’enthousiasme Monsieur le maire Edouard Philippe. Chaque artiste qui crée une œuvre d’inspiration havraise laisse son empreinte sur la ville ». Petit tour d’horizon non exhaustif de 10 œuvres exposées lors de cette 8e édition, qui font la magie de cette grande messe éphémère de l’art contemporain, à visiter jusqu’au 22 septembre 2024.
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1. Coupes, par Isabelle Cornavo
Cette très belle œuvre accueille le visiteur dès son arrivée en gare. Isabelle Cornaro s’est ici inspirée de l’église Saint-Joseph et en a imaginé une double relecture. D’une part, l’artiste est intervenue sur les grandes baies vitrées, qu’elle a décliné dans un nuancier de couleurs rappellant les vitraux de l’édifice religieux dessinés par Marguerite Huré. Traversés de la lumière du soleil, les carreaux colorés offrent sur le sol une multitude de teintes qui jouent différemment au gré des heures de la journée et des nuages. De l’autre, sur le parvis, elle a posé une sculpture en bronze oxydé de quatre mètres de haut, réplique du clocher de cette même église, comme un fragment incomplet dont on peut voir cette de près les lignes géométriques. Cette œuvre, se veut comme des coupes de l’histoire de la ville, des éléments prélevés qui seraient devenus autonomes.
2. La Lune s’est posée au Havre, par Arthur Gosse
Un projet lunaire. Le satellite naturel de la Terre s’est écrasé au Havre et repose, sans gravité, dans un écrin romantique, l’un des bassins du square Saint-Roch. Une œuvre allégorique, étonnante, onirique et belle qui a conquis le cœur des habitants. L’astre de nuit raconte peut-être une histoire similaire que celle de la cité portuaire. Sa surface évoque le béton granuleux des immeubles reconstruits du centre-ville. Et la comparaison ne s’arrête pas là : « Le Havre, c’est comme la lune, c’est gris, c’est loin, personne n’y va et pourtant c’est un endroit fascinant », souffle Arthur Gosse, jeune diplômé de l’École Supérieure d’Art & Design Le Havre-Rouen (ESADHaR). Son œuvre s’est posée une première fois en 2021. Plébiscitée par le public, elle a désormais résidence permanente. « La lune, intrigante et mystérieuse, partage avec Le Havre plus qu’un passé commun, avec sa surface impacté de débris stellaires qui rappellent les bombardements de 1944 subis par la ville », poursuit l’artiste. La nuit un éclairage crée un croissant et révèle le volume des cratères. Une œuvre bien lunée, en somme.
3. Pacifique, par Edgar Sorin
Quai de Marseille, dans ce quartier en pleine mutation qui étonne par le sentiment de grandeur qu’il impose, cette sculpture en bronze patiné consiste en la répétition d’une amphore qui s’empile neuf fois sur elle-même pour atteindre une hauteur de plus de huit mètres. Ces objets antiques contenaient à l’époque de nombreuses marchandises, chargés sur des navires qui voguaient sur la Méditerranée… Comme les containers actuels, si nombreux dans ce port du Havre. Edgar Sarin a tenu à recrée cette forme, comme une faille dans le temps, répétant la ligne de l’amphore comme autant de cargaisons que l’on aperçoit sur les transporteurs au loin. Une métaphore de l’économie mondialisée. « L’une des grandes difficultés, c’est d’être juste dans l’échelle de la ville, sans être prétentieux, explique-t-il. Car l’écriture de cette ville est complexe, faite de quartiers juxtaposés, étendus puis denses. En tant qu’artiste il faut savoir le mesurer. »
4. Entre, par Emmanuelle Ducrocq
Sur un triangle de pelouse tracé par l’avenue Foch et le boulevard François Ier, entre les pistes cyclables, le tramway et la circulation automobile, se déploie une série de mâts rotatifs de hautes tailles qui portent à leurs bouts des chaises de récupération. Soit 25 assises données par des habitants, chacune représentant un quartier de la ville, qui bougent en fonction du vent. Emmanuelle Ducrocq les a vernies d’une matière photosensible, afin que leur surface reflète la lumière tout au long de la journée et même le soir, quand elles deviennent phosphorescentes. L’artiste impose par cette œuvre la volonté de changer de point de vue, puisque ces sièges haut-perchés se contemplent en marchant dans ce triangle de pelouse, donnant à voir des objets qui se détachent du ciel ou d’un immeuble Perret.
5. La Vague Affection, par Joël Andrianomearisoa
Sur deux sites emblématiques de la ville, Joël Adrianomearisoa propose une œuvre poétique visible de tous appliquée en lettres lumineuses sur les façades des Bains des Docks et de la Bibliothèque Universitaire. « Sur la vague infinie se joue le théâtre de nos affections », peut-on ainsi lire en grand, de même que : « Sur le crépuscule du temps se dessinent nos promesses éternelles ». Des phrases qui se répondent et constituent les deux pôles d’un poème illuminé dès la nuit tombée. Inspiré par ses origines, l’artiste malgache cherche dans son travail à donner forme à des récits non explicites, souvent abstraits. Mais il ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a souhaité, en plus, disséminer des fragments de textes en différents endroits de la ville, et notamment dans les ouvrages de la bibliothèque où il a caché des poèmes qui n’attendent qu’à être découverts, proposant ainsi différentes échelles à son œuvre.
6. Sur le toit, par le collectif Sur le toit
Cette co-production entre la Cité des sciences et de l’industrie et Un été Au Havre se trouve tout l’été au dernier étage du parking les Docks. Une œuvre-jardin de sept mètres de haut construite à l’aide d’échafaudage, qui offre un panorama inédit sur la ville, jusqu’à Honfleur et Deauville. Ce belvédère fait le lien entre le port et la ville, deux entités qui se tournent le dos depuis cinq siècles. Conçu comme une micro-forêt urbaine, l’œuvre invite à la flânerie, à l’introspection et à la contemplation, dans un lieu qui ne s’y prêterait pas de prime abord. Elle est le fruit d’un collectif composé d’architectes et de paysagistes havrais. En septembre, l’œuvre sera reconfigurée pour s’adapter aux espaces jouxtant le parvis nord de la Cité des sciences et de l’industrie de Paris.
7. La ville qui n’existait pas, par Grégory Chatonsky
Un été au Havre a tenu cette année à mettre en valeur la relation entre art et intelligence artificielle. L’artiste Grégory Chatonsky, pionnier de l’IA, présente cette année trois projets : une série de volumes de béton violet imprimés en 3D, disséminés dans l’espace public, dont l’effet psychédélique fait écho aux formes que l’on découvrait sur les 25 000 cartes postales uniques distribuées l’an dernier lors de l’édition précédente. Dans sa deuxième proposition, ces mêmes cartes postales surréalistes font l’objet d’une installation au MuMa, dans le cadre de l’exposition « Photographier en Normandie », proposée par le musée. La voix du Franco-canadien, synthétisée par IA, décrit et analyse ces 25 000 images. Enfin, un film d’animation nommée HAVEN est également projeté dans la galerie du Théâtre de l’Hôtel de Ville. Un film onirique et inquiétant où les textes, les images et la musique sont co-créés avec l’aide d’une intelligence artificielle.
8. L’Hôtel des oiseaux, par Ad Minoliti
Ad Minoliti poursuit sa série d’œuvres destinées à des « visiteurs non humains ». Il s’agit ici de l’Hôtel des Oiseaux installé aux Jardins Suspendus, parc botanique aménagé en lieu et place d’un ancien fort, qui surplombe la ville. Cette œuvre prend la forme d’un grand totem parallélépipèdique coloré de six mètres de haut, posé sur un talus, qui se veut d’une « géométrie non-binaire », langage cher à l’artiste argentine. Derrière la façade de ce totem se cache un nichoir pour oiseaux ainsi que des abreuvoirs. Autour, des bancs aux couleurs du totems sont disposés pour le repos du promeneur.
9. No Reason to Move, par Max Coulon
C’est une proposition audacieuse tant elle parait naïve de prime abord. No Reason to Move est une maison qui se veut à la fois enfantine et hantée, une cabane dotée de larges pieds en bois sculpté, tout droit sortie d’une bande-dessinée. Ses fenêtres, comme des yeux, semblent scruter le visiteur, la maisonnette étant elle-même perchée sur le toit du bâtiment de manœuvre du Bassin du Roy. À proximité directe de l’environnement urbain, la cabane détonne avec l’architecture alentour, offrant une perspective singulière sur les immeubles Perret et la Tour Alta toute proche.
10. Bateaux-Bus, par Cosmo Danchin-Hamard
Les transports publics aussi participent à cette grande manifestation culturelle. Dix autobus au sein du réseau de transport LiA vont circuler à travers la ville, totalement rhabillés de la série de Bateaux-Bus de Cosmo Danchin-Hamard qui a voulu se faire rencontrer les transports en commun et le patrimoine maritime. De grandes reproductions de bateaux emblématiques : Paquebots Normandie et Washington, Drague et Brittany Ferry traversent ainsi la cité portuaire, jusqu’à Étretat. L’illustratrice havraise tenait ainsi à mettre en scène le ballet régulier des navires entrant et quittant le port.
> Un été au Havre 2024, jusqu’au 22 septembre. Plus d’info ici.
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