Jean Nouvel : « Les Jeux Olympiques doivent enrichir la ville »

À 3 mois des Jeux Olympiques, Jean Nouvel nous parle, à l'occasion de l'inauguration d'un espace éphémère qu'il a imaginé pour Samsung, de son amour du sport et de sa vision pour Paris 2024. Rencontre sans langue de bois avec l'architecte.

Le compte à rebours est lancé. À moins de 100 jours du coup d’envoi des Jeux Olympiques de Paris 2024, Samsung inaugure, sur la plus belle avenue du monde, un premier espace éphémère, imaginé en collaboration avec Jean Nouvel. L’occasion pour l’architecte de nous parler sans langue de bois de son amour du sport, de son enfance passée dans le Périgord et de sa déception face à ces prochaines Olympiades.


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Jean Nouvel bouscule les codes de la vitrine

Ce lundi 29 avril, à 13 heures piles, la presse découvrait au 125, avenue des Champs-Élysées, le nouvel espace de Samsung. Partenaire mondial des Jeux Olympiques de Paris 2024, le géant coréen de la tech s’est associé à Jean Nouvel pour dessiner son lieu baptisé « Olympic™️ rendez-vous @ Samsung », qui ouvrira ses portes le 3 mai prochain, à 17h30 tapantes.

La façade opaque de l’espace éphémère imaginé par Jean Nouvel pour Samsung sur les Champs-Élysées.
La façade opaque de l’espace éphémère imaginé par Jean Nouvel pour Samsung sur les Champs-Élysées.

La vitrine est on ne peut plus énigmatique. Dans le sens où rien n’est visible de l’extérieur. « La façade, graphique et abstraite, capture les reflets des mouvements et des lumières qui apparaissent et disparaissent en un instant, tandis que les miroirs réfléchissants blancs et mats du hall d’entrée invitent à découvrir les dernières innovations de la marque, déclare Jean Nouvel. Il s’agit en réalité d’une pièce d’art temporaire qui communique des sensations artistiques et sensibles. Évidemment, cette opacité n’est pas ce que préfèrent ceux qui mettent en scène les devantures. » Mais Jean Nouvel n’a plus rien à prouver et fait ce qui lui plaît.

L’architecte a le sport dans le sang : son père était très sportif et il a lui-même pratiqué le rugby un certain temps. « Nous avons été les premiers dans la région à posséder un poste de télévision. Et quel est le premier programme que j’ai regardé ? » interroge-t-il. On vous le donne en mille : la retransmission en direct des Jeux Olympiques de Rome de 1960. Pourtant il avoue volontiers être déçu de la tournure architecturale qu’ont pris les Olympiades de Paris 2024. « Je ne serai sûrement pas dans la capitale à ce moment-là. Les Jeux Olympiques sont l’occasion de créer des choses fabuleuses, leur sens est d’enrichir une ville et d’en faire la promotion. Donc pourquoi les organiser dans une métropole déjà saturée d’infrastructures et de bâtiments ? Regardez ce qui a été fait jusqu’à présent : je vous mets au défi de trouver quelque chose de positif à en dire. »

Miroir « Triptyques » (2014) en noyer et miroirs colorés, conçu par l’architecte Jean Nouvel. Gagosian Gallery et Galerie Patrick Seguin – Photo Aline Coquelle
Miroir « Triptyques » (2014) en noyer et miroirs colorés, conçu par l’architecte Jean Nouvel. Gagosian Gallery et Galerie Patrick Seguin – Photo Aline Coquelle

Le maître du Musée du quai Branly ne connait pas la langue de bois. La ville et l’architecture de celle-ci sont des choses auxquelles Jean Nouvel a toujours été sensible, même avant de prendre la voie de l’art majeur. Enfant, il passe ses journées à courir les rues de Sarlat, souvent très étroites, à grimper sur ses remparts accompagné de ses camarades. « Lorsque l’on est enfant, les villes et les bâtiments sont nos terrains de jeux. J’ai été profondément marqué par leur histoire. »

Il faut dire que sa ville natale est un trésor patrimonial. Après des années de guerre difficiles, marquées par l’installation de la Gestapo à l’hôtel de la Madeleine en 1942 et l’occupation par les soldats de la Wehrmacht de 1943 à 1944, la cité renaît au début des années soixante, devenant le premier secteur sauvegardé de France grâce à la loi Malraux. Malgré cette sensibilité, Jean Nouvel adolescent s’imagine plasticien, rêvant de concurrencer Daniel Buren, cet « artiste qui aime travailler les lieux et les cités« . Sa rencontre avec un professeur de dessin fabuleux lui a ouvert les yeux et dévié d’une voie qu’il croyait déjà tracée. Désireux d’intégrer une école d’arts appliqués après le lycée, il se heurte au refus catégorique de ses parents enseignants, qui valorisent davantage les mathématiques et autres voies plus classiques.

Un avant-goût de la suite

« Ma seule alternative pour les convaincre a été d’étudier l’architecture aux Beaux-Arts. Je suis donc entré à l’école de Bordeaux, ce qui a été ma première expérience de liberté, loin du nid parental. J’avais dans l’idée de changer de filière à un moment donné. Mais quand j’ai commencé à étudier cette discipline, j’ai été conquis : cela ne ressemblait en rien à ce que je m’étais imaginé. » Rapidement, il constate que l’institution bordelaise n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Il est admis premier au concours d’entrée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris en 1966, une fierté pour ce gourmet du Périgord, amateur de bonne chaire et de chasse aux cèpes. « Sarlat, Bordeaux et Paris. Normalement ces trois villes font un architecte. On peut dire que je suis presque né dans l’architecture« , s’amuse-t-il.

Le Louvre Abu Dhabi, aux Émirats Arabes Unis, réalisé en 2017 par Jean Nouvel. © Roland Halbe
Le Louvre Abu Dhabi, aux Émirats Arabes Unis, réalisé en 2017 par Jean Nouvel. © Roland Halbe

Il est choqué néanmoins de constater que tous les architectes réalisent les mêmes projets, dictés par des patrons tous puissants. « Tout le monde faisait les mêmes boîtes, ce qui m’a donné envie de suivre mon propre chemin. » Son exploit au concours lui ouvre les portes des grands cabinets et, cinq ans durant, il travaille aux côté de Claude Parent, « le plus artistique des architectes de l’époque. Il a changé ma vie. Lorsque l’on tombe sur ce genre de personnalités, tout change, même la façon dont vous voyez le monde. Il m’a tout transmis. Et quand il a découvert que je commençais à travailler à mon compte, il m’a poussé dehors, tout en continuant à me donner du travail. »

La suite, on la connait : l’architecte né en 1945 conçoit – notamment – à Troyes la maison Dick en 1978, retourne à Bordeaux où il réalise, à Bouliac l’hôtel Saint-James pour le restaurateur Jean-Marie Amat, pense la Fondation Cartier pour l’art contemporain située dans la Ville Lumière, en 1994, reçoit le Prix Pritzker en 2008, dessine la Philharmonie de Paris en 2015 ou encore le Louvre Abou Dabi, aux Émirats Arabes Unis, en 2017, et aujourd’hui, crée l’espace éphémère « Olympic™️ rendez-vous @ Samsung » en collaboration avec le géant coréen.

« Lorsque les passants déambuleront sur les Champs-Élysées pendant les Jeux Olympiques de Paris 2024, ils verront cette toute petite boutique, qui n’a rien à voir avec les immenses points de vente des autres griffes. En réalité, ce n’est qu’un avant-goût du Pavillon que nous allons déployer sur la plus belle avenue du monde« , annonce Jean Nouvel. Un secret de Polichinelle que l’on a hâte de découvrir. Affaire à suivre.

> « Olympic™️ rendez-vous @ Samsung », 125 avenue des Champs-Élysées, ouvert du lundi au dimanche entre le 3 mai, 17h30 et le 31 octobre 2024. 


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