« Intérieurs sacrés » : quand l’architecture s’élève

Dans son dernier livre, « Intérieurs Sacrés », Laurence du Tilly met en lumière des décors imaginés dans d'anciens lieux de culte ou qui en empruntent les codes. De quoi se protéger des dangers et s'élever par la beauté.

Et si l’instabilité de ces dernières années nous avait poussés à investir des lieux capables de nous protéger et nous recentrer ? C’est en tout cas ce que croit Laurence du Tilly, qui a sorti en octobre dernier son livre Intérieurs sacrés.

Un vestige du passé

Il y a 10 ans, Gregory Nijs et son épouse Nadia Jottard craquaient pour une vieille bâtisse à l’abandon située à Saint-Trond, en Belgique : une grange construite au XVIe siècle devenue la chapelle De Waterhond au XVIIIe, puis une académie artistique au milieu du XXe, un tribunal de paix et enfin une salle de répétitions. “Je suis tombé amoureux de ce grand espace ouvert, se souvient l’architecte fondateur de l’agence Klaarchitectuur. Des tas d’oiseaux y avaient élu domicile et il pleuvait même à l’intérieur.” Le Flamand a l’œil. “Tout de suite, j’ai remarqué la structure en chêne encore intacte qui rendait possible la réhabilitation du lieu.

Dans cette ancienne chapelle, la cuisine, dorée, a pris la place de l’autel. © Valerie Clarysse
Dans cette ancienne chapelle, la cuisine, dorée, a pris la place de l’autel. © Valerie Clarysse

Plus jeune, Gregory se rend chaque semaine à l’église et, s’il n’est plus pratiquant aujourd’hui, il a tenu à habiller l’espace d’éléments spirituels, accentuant ainsi les côtés religieux de l’édifice. Le chœur abrite la cuisine, dont l’îlot central, doré, a pris la forme et la place de l’autel. Les fours et la machine à café ont été placés au sein d’un module métallique dessinant une croix. Dans la nef, la table à manger en bois de 4,5 mètres de long, monacale et sobre, délimite le coin repas. “Ce meuble très simple me rappelle la Cène, Jésus partageant un dernier repas avec ses douze apôtres.


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À l’intérieur, une structure faite de cubes amovibles a été imaginée pour respecter le lieu. © Toon Grobet
À l’intérieur, une structure faite de cubes amovibles a été imaginée pour respecter le lieu. © Toon Grobet

Les murs ont été laissés tels quels, malgré leur aspect défraîchi. On aperçoit la voûte d’un bleu céleste par-ci, des vestiges de fresques par-là. “J’aime cette patine du passé. À aucun moment je n’ai voulu tout restaurer. Je tenais à conserver l’authenticité de la bâtisse.” Par respect, il ne touche pas à la structure et imagine des cubes posés les uns sur les autres comme autant d’espaces clos – de travail, de lecture, de bain. L’escalier suspendu qui en fait le tour permet d’admirer le bâtiment dans sa globalité ainsi que les noms gravés sur les poutres il y a des siècles. Si l’agence de Gregory a pris ses quartiers ici, le rez-de-chaussée accueille souvent concerts, expositions et autres événements. Une façon pour l’architecte de redonner à la communauté et peut-être aussi de se reconnecter à ses racines chrétiennes. “Nous avons été parmi les premiers à réaménager une ancienne chapelle. Huit ans après la fin des travaux, ce projet continue de faire parler de lui.


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Se reconnecter au sacré

Et pour cause : l’intérieur de la bâtisse s’affiche en couverture du dernier beau livre de Laurence du Tilly paru cet hiver, Intérieurs Sacrés (éditions EPA). L’autrice, styliste et créatrice n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle a déjà écrit, en 2022, Mont Saint Michel : À la table des sœurs (éditions Hachette) : “En 2021, j’ai ressenti le besoin d’arrêter de courir, de me recentrer. Je pratique beaucoup la méditation et le yoga mais je tenais à faire une retraite religieuse. Je suis croyante, mais l’aspect pratique n’a jamais été ma priorité. Ce qu’on m’a dit de cette communauté m’a de suite plu et m’a réconcilié avec l’image que je pouvais m’en faire. En effet, elles sont jeunes, joyeuses, lumineuses, modernes, bienveillantes…

Pendant un an, Laurence du Tilly vit à leurs côtés quatre jours tous les mois et demi afin de s’immerger de leurs habitudes et de retranscrire au plus juste leur art de vivre. “Le sacré, que ce soit l’architecture, la couleur des vitraux ou les objets, que je collectionne d’ailleurs, a toujours été pour moi une grande source d’inspiration. Je me plaît à revisiter les colonnes d’église en pied de colonne pour mon mobilier, notamment pour le modèle Church. Avoir publié cet ouvrage m’a décomplexée et m’a poussée à le mettre davantage en avant. Ce nouveau livre, Intérieurs sacrés, lie ainsi cette notion au design et à la décoration.

Chez Laurence du Tilly, les références au sacré sont légion. Image tirée de son livre « Intérieurs sacrés ».
Chez Laurence du Tilly, les références au sacré sont légion. Image tirée de son livre « Intérieurs sacrés ».

Une ancienne chapelle transformée en appartements

Outre la construction inattendue de Gregory Nijs, l’autrice a notamment repéré l’ancienne chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Espérance, située au cœur de Nantes, transformée par Aymeric Masson en une poignée d’appartements. “En pénétrant les lieux, j’ai ressenti la même chose que lorsque j’ai rencontré ma femme. Je ne me suis jamais senti comme un intrus, un étranger. Au contraire, se souvient le Nantais. Louis Levesque, qui a donné son nom au passage où se situe le bâtiment, était un armateur nantais. Mon mémoire de fin d’études portait sur le patrimoine naval de Nantes et lorsque j’ai vu les ancres marines gravées sur les portes en bois, j’y ai vu un prolongement, une continuité de mes recherches. Cette connexion à la mer et au voyage m’est vraiment familière.

Silencieux, les yeux grands ouverts, il s’imprègne du lieu, cherche à y déceler la force, observant le volume immense baigné de lumière. “Les champs des possibles semblaient infinis. Mais là se trouve le danger. Il faut comprendre le lieu et se montrer respectueux vis-à-vis de lui. Mon travail consiste à faire en sorte que le regard se pose là où il faut et à valoriser l’existant.” Il découpe l’espace en tranche, chaque niveau profitant d’un point de vue unique. “Les visiteurs des édifices religieux ne sont jamais à hauteur des ogives et des oculus, ce qui constitue la singularité de ce projet”, continue Aymeric.

Des intérieurs réconfortants

Selon Laurence du Tilly, la pandémie a fait naître des envies d’équilibre et d’harmonie, et le besoin d’habiter des lieux apaisants : “Les confinements ont montré l’importance de se sentir bien chez soi, de prendre soin de son intérieur dans les deux sens du terme. L’habitat est devenu une coquille bienfaitrice. On cherche à être rassuré par certaines valeurs, à donner du sens à nos vies, à s’ancrer, à remettre nos âmes en vibration.

Aymeric Masson a imaginé plusieurs appartements dans l’ancienne chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Espérance, à Nantes. (c) Guillaume Grasset
Aymeric Masson a imaginé plusieurs appartements dans l’ancienne chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Espérance, à Nantes. (c) Guillaume Grasset

Cette idée de réconfort est ce qui vient tout de suite à l’esprit d’Aymeric Masson lorsqu’il évoque son projet. “La Vendée est très ancrée dans sa religion, rappelle l’architecte d’intérieur. En tant que Nantais, nous avons le sentiment de devoir quelque chose aux personnes qui se sont battus pour notre identité. J’ai retiré certains éléments de la chapelle, comme l’autel, mais l’âme du lieu n’a pas été altérée pour autant : elle est bien plus forte que des meubles et des statues. Le caractère plus poétique que pieux du bâtiment devient une enveloppe de pierre qui nous protège. Je reste persuadé que les non-croyants seront eux aussi touchés par ces espaces consolants. Je trouve beau que l’on puisse apprécier ce lieu pour sa beauté esthétique.

Cette beauté transcende le sacré et ce type de projets permet de sauvegarder des édifices magnifiques. Et Laurence du Tilly d’ajouter : “Le beau est une notion très importante pour moi : elle permet de s’élever.