On sait comme le design aime s’emparer de l’artisanat pour le réinventer… Et dans notre monde post-industriel, où la main de l’homme tend à retrouver enfin sa juste valeur, le savoir-faire traditionnel est devenu le nouvel eldorado des designers. Attirés par des matériaux ou des compétences singulières, ceux-ci ne désirent rien tant qu’explorer des techniques ancestrales pour les remettre au goût du jour. Avec l’intime conviction aussi d’ajouter un petit supplément d’âme à leur travail, quelque chose qu’aucune machine robotisée ne pourra jamais reproduire. Alors, depuis qu’Expormim – entreprise familiale espagnole qui maîtrise l’art du rotin depuis 1960 – a décidé de s’ouvrir aux designers en 2008, beaucoup ont répondu présents.
L’art du rotin depuis 1960
« Le premier fut Oscar Tusquets Blanca avec la chaise Fontal, qui nous a permis de relancer la production de rotin, que nous avions presque abandonnée », raconte Mercedes Laso, actuelle dirigeante de la firme fondée par son grand père à Mogente, au sud de Valence. Cette première incursion dans l’univers du design en annonce bien d’autres pour la marque, qui enchaîne depuis maintenant treize ans les collaborations prestigieuses. « Toutes sont le fruit de rencontres ou du bouche-à-oreille », note la patronne, qui souligne « l’importance d’être sur une même longueur d’onde avec nos partenaires et de partager certaines valeurs » pour que ces associations fassent sens.
Le mariage entre industrie et artisanat
En 2012, Expormim croise ainsi la route de Jaime Hayón dans les allées de la Foire Hábitat, à Valence, en Espagne, que le designer visite en voisin. « Il est tombé amoureux de Benasal, l’une de nos rééditions en rotin des années 80, qu’il a absolument voulu rapporter à son studio. » De cette rencontre parfaitement fortuite naîtra une collaboration au long cours. En témoigne la collection « Frames », lancée en 2016 et enrichie l’an dernier d’une édition spéciale « French Grey », à l’occasion du 60e anniversaire de la marque.
« Savoir-faire, expertise et soin dans chaque étape d’un projet »
Fidèle à son sens de l’innovation, Jaime Hayón y mélange processus industriel et gestes artisanaux pour supprimer notamment les disgracieuses ligatures aux jonctions entre les cannes, pourtant si emblématiques des meubles en rotin. Au fil des saisons, Expormim s’entoure de nombreux autres talents, dont la contribution va progressivement redessiner ses catalogues indoor et outdoor.
Expormim et ses collaborations prestigieuses
La plupart sont des créateurs espagnols, comme Miguel Milá ou Javier Pastor. Quant aux Milanais Ludovica + Roberto Palomba, leur gamme « Liz » s’est étoffée d’un fauteuil bas l’année dernière. Et tous sont dithyrambiques à propos d’Expormim. À l’image du studio MUT, dont la collaboration remonte à 2012 – la balançoire Nautica – et s’est notamment poursuivie en 2020 avec pas moins de trois nouvelles créations : « Ce que l’on admire chez Expormim, c’est le savoir-faire, l’expertise et le soin qu’ils mettent dans chaque étape d’un projet, s’enthousiasme le duo. Ils ne se précipitent jamais et ne lancent un produit que lorsqu’ils sont complètement sûrs qu’il est parfaitement abouti. Nous leur serons toujours reconnaissants, car ils furent les tout premiers à nous éditer. C’est une joie immense de travailler avec eux, on espère que cette collaboration durera longtemps. »
Derniers-nés de cette love story assumée : le tapis d’extérieur Link, premier du genre dans le catalogue d’Expormim et qui a nécessité quatre ans de mise au point ; le fauteuil d’intérieur Armadillo, qui réinterprète le papasan, un classique du mobilier en rotin avec son assise ovoïde ; ainsi que Petale, une chaise outdoor en métal et en tissu, si légère et fine qu’elle convient aussi à l’indoor.
« Simple, durable, fonctionnel, élégant et intemporel »
« Elle en dit long sur la forte connexion qui nous unit à la marque, raconte Eduardo Villalón, l’un des deux visages de MUT. Car elle illustre notre conception commune de ce qu’un bon design doit être : simple, durable, fonctionnel, élégant et intemporel. »
Mêmes louanges du côté de Manel Molina, qui signe en 2020 son premier siège, Blum, après avoir imaginé deux tables pour l’éditeur en trois ans. « C’est une chaise enveloppante, inspirée par les fleurs, mais débarrassée de tout ornement et qui peut s’utiliser dedans comme dehors », explique le designer, avant de vanter lui aussi les mérites d’Expormim. « En tant que designer, ma formation a été très marquée par l’artisanat. Alors, je suis forcément sensible à une entreprise familiale où ce savoir-faire est valorisé depuis toujours. »
Expormim s’est développé sans perdre son âme
Issue de la troisième génération à conduire la société, Mercedes Laso est fière de l’aventure lancée par son grand-père, puis reprise par son père avant elle. Car bien que son catalogue ait, comme sa production, considérablement évolué depuis 1960, la marque s’est développée sans jamais perdre son âme. Pour célébrer le 60e anniversaire de l’entreprise, Mercedes a voulu rendre hommage à ceux qui ont fait son histoire.
Dans le showroom de Mogente, entre Valence et Murcia, une exposition permanente retrace le chemin parcouru depuis les débuts. Certains outils rudimentaires d’alors y côtoient les prototypes d’aujourd’hui et de nombreuses photos révèlent les visages de ceux qui ont façonné l’identité d’Expormim à travers les époques. « Avec cette exposition, nous voulions montrer notre profonde admiration pour leur travail et pour la tradition », confie-t-elle. Mais on peut honorer le passé sans être passéiste. Et le virage design amorcé par l’éditeur depuis treize ans en est sans doute la meilleure preuve.
Entre tradition et innovation
En 2021, une collaboration est annoncée avec Norm Architects, qui passera par le lancement d’ici quelques mois d’une première collection de canapés en rotin baptisée « CASK ». « Nous l’avons imaginée en nous inspirant du charme de deux anneaux qui s’entrecroisent. Comme si deux bagues se combinaient pour créer une forme de panier enveloppant, léger et ludique », précise le studio danois, qui se réjouit déjà de poursuivre cette relation à l’avenir.
Et si Expormim fait l’unanimité auprès de ses designers, c’est peut-être parce qu’elle détient la recette secrète du succès. « Il est difficile d’adapter une vieille entreprise aux challenges de la mondialisation, confie Mercedes Laso. Mais je crois qu’on s’en tire bien grâce au bon équilibre entre résilience et versatilité, et au juste dosage entre tradition et innovation. »
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