© The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum / Artists Rights Society

Exposition : Isamu Noguchi, le bel hellène

Surprise ! Jusqu‘au 13 février, au Noguchi Museum de New York, une exposition révèle du sculpteur et designer américano-japonais Isamu Noguchi… le côté grec.

Jusque-là, Isamu Noguchi (1904-1988) était surtout l’icône du dialogue entre l’Occident et l’Orient. L’actuelle exposition du Noguchi Museum dévoile sa relation étroite avec la Grèce.

Plongée dans les archives du Noguchi Museum

Installation de l’exposition « Objects of Common Interest: Hard, Soft, and All Lit Up with Nowhere to Go » au Noguchi Museum jusqu’au 13 février 2022. Sofa et Ottoman de forme libre dessiné par Isamu Noguchi pour Herman Miller en 1948 et réédité par Vitra depuis 2002. Luminaires en papier, bambou et métal Akari B (1954), Akari 20N (1968) et Akari 21N (1954). À droite, « Young Moutain » en granit Aji (1970)
Installation de l’exposition « Objects of Common Interest: Hard, Soft, and All Lit Up with Nowhere to Go » au Noguchi Museum jusqu’au 13 février 2022. Sofa et Ottoman de forme libre dessiné par Isamu Noguchi pour Herman Miller en 1948 et réédité par Vitra depuis 2002. Luminaires en papier, bambou et métal Akari B (1954), Akari 20N (1968) et Akari 21N (1954). À droite, « Young Moutain » en granit Aji (1970) Brian Ferry

Née à la suite de conversations entre Dakin Hart, conservateur de l’institution et les fondateurs du studio de design Objects of Common Interest, basé entre New York et Athènes, Objects of Common Interest: Hard, Soft, and All Lit Up with Nowhere to Go est à découvrir jusqu’au 13 février 2022.

Certaines de leurs œuvres, des luminaires aussi bien que du design de collection, sont exposées dans l’exposition du Noguchi Museum, en regard de l’œuvre de Isamu Noguchi. Parcourir l’exposition permet de ressentir le degré de pertinence de ce choix. A entendre Dakin Hart, le duo grec n’est pas venu le voir avec un projet d’exposition en tête. Au départ, ils étaient juste des visiteurs du musée habitant dans le quartier.

Parce qu’en 2019, le musée a ouvert en ligne ses archives photographiques, Petaloti et Trampokis ont senti à quel point la Grèce avait été l’Alma Mater d’Isamu Noguchi. En fait, plus qu’une université, ce fut une constante source d’inspiration ! Les pauvres ! Flottera toujours une ombre de soupçon d’entrisme à leur endroit.

Portrait de Eleni Petaloti et Leonidas Trampokis, à la tête du studio Objects of Common Interest, curateurs de l’exposition hommage à Isamu Noguchi. En plus des luminaires Akari, sculpture « Neo-Lithic » en acier galvanisé à chaud, 1982–83.
Portrait de Eleni Petaloti et Leonidas Trampokis, à la tête du studio Objects of Common Interest, curateurs de l’exposition hommage à Isamu Noguchi. En plus des luminaires Akari, sculpture « Neo-Lithic » en acier galvanisé à chaud, 1982–83. Brian Ferry

En tous cas, l’exposition souligne à quel point le sujet de l’influence de la Grèce chez Noguchi est un sujet peu traité. En parallèle, le studio de design et le Noguchi Museum dévoilent Noguchi in Greece, Greece Within Noguchi, une exposition en ligne portant sur le lien unissant le sculpteur à la Grèce.

Isamu Noguchi et la Grèce

Jusqu’à quel point la Grèce est-elle importante à ses yeux ? Suffit-il de photos de lui voyageant en Grèce, y dansant même le Zibeikiko dans une taverne de Delphes ? Jusqu’à il ya peu, les designers en voyage tenaient volontiers sur leur téléphone, une sorte de journal photographique, destiné à nourrir leur travail. Leurs moodboards mobiles tiennent aujourd’hui sur iPhone. Les très belles photos argentiques de l’architecte et designer Ettore Sottsass, prises au cours de ces voyages, en Inde notamment, suscitent aujourd’hui l’intérêt des curateurs d’expositions.

Noguchi photographie dès 1949 les vestiges du temple d’Apollon à Delphes. Cette belle symétrie architecturale de colonnes décapitées, suggère bien ce qu’elle peut avoir d’inspirant pour lui. Ces images ne sont pas que des souvenirs de voyage. Ce sont des voyages d’études malgré leurs airs de quête romantique.

Isamu Noguchi, « The Kite » (1959), « Man Walking » (1959), et « The Gold Mirror (1958) », aluminium anodisé.
Isamu Noguchi, « The Kite » (1959), « Man Walking » (1959), et « The Gold Mirror (1958) », aluminium anodisé. 2021

A plus de 80 ans, Isamu Noguchi revient encore en Grèce. Son ami l’architecte américain Buckminster Fuller, étonné de le voir autant voyager, l’a décrit en précurseur du globe-trotter. Etait-ce si étonnant pour un homme à la double culture, liant celle du Nouveau Monde, l’Amérique à celle du Japon ancestral ?

Un goût pour la Grèce hérité de sa mère

Le premier contact de Noguchi avec la culture grecque (classique), il le doit à sa mère. Léonie Gilmour (1873-1933), éducatrice, journaliste et éditrice parle grec, latin, français et allemand. Passée un an à la Sorbonne, elle traduisit, édita puis épousa le poète Yone Noguchi, avant qu’il ne la quitte et retourne au Japon. Elle l’y rejoint avec leur enfant Isamu, avant de revenir aux Etats-Unis l’élever en artiste. Elle le dissuadera d’étudier la médecine.

Dès ses dix ans, elle lui demande son avis pour l’aménagement de leur nouvelle maison. En lui enseignant de bonne heure les lettres classiques, elle est la première à lui parler des premiers dieux dont il aie jamais entendu parler et auxquels ils croient, ceux de l’Olympe.

Les premiers séjours en Grèce de Noguchi sont des escales entre les Etats-Unis et l’archipel. Dans les années cinquante, il se lie d’amitié avec un fournisseur de marbre Pentélique, ce fameux marbre qui a servi aussi bien à l’édification de l’Acropole qu’à sa restauration en 1980. L’éditeur américain Knoll en a même fait de beaux plateaux pour sa table Tulipe culte. L’influence maternelle, la rencontre avec un pays, la Grèce allait profondément habiter Noguchi.

À gauche, étude des costumes et décor par Isamu Noguchi pour « Orpheus » de George Balanchine, 1948, archives du Noguchi Museum. À droite, « Study in the Classical », sculpture en marbre par Isamu Noguchi, 1958.
À gauche, étude des costumes et décor par Isamu Noguchi pour « Orpheus » de George Balanchine, 1948, archives du Noguchi Museum. À droite, « Study in the Classical », sculpture en marbre par Isamu Noguchi, 1958. 2021

Les sculptures grecques pour inspiration

Isamu Noguchi est plus qu’une éponge. La Grèce, socle de la culture occidentale, va l’influencer intellectuellement. La Grèce, c’est aussi la lumière. Ce qui est capital pour le designer des lampes Akari. Il les considère d’ailleurs comme des sculptures. S’il y a une civilisation qui n’en manque pas, c’est encore celle de la Grèce. Là-bas, Noguchi déambule volontiers sur les sites antiques, torse nu au soleil, dans son élément.

La Grèce qu’il met sur un piédestal est aussi celle de ses amis, artistes et intellectuels qui l’expose ou écrive sur son travail. Sa proche amie, Natalia Melas dite Nata (1923-2019) est une grande sculptrice. Avant d’épouser plus tard l’architecte Aris Konstantinidis (1913-1993), elle fuit un temps son milieu familial huppé et helléno-centré pour Paris… avant de revenir. La Grèce, n’a elle, jamais quitté l’esprit d’Isamu Noguchi.

« Oh, c’est mon amour. J’ai l’impression d’y être né. Je pense que tous les artistes qui découvrent la Grèce doivent ressentir la même chose.»

D’ailleurs pour lui, le sculpteur Brancusi a plus été influence par l’art grec pré-classique que par l’art africain, même considéré comme le berceau de l’art abstrait.

> Noguchi Museum, 9-01 33rd Road (sur Vernon Boulevard), Long Island City, New York, site Internet

Isamu Noguchi en train de travailler sur sa « Figure Portion of Composition for Arrivals Building » en marbre grec pour l’aéroport d’Idlewild en 1958. Archives du Noguchi Museum.
Isamu Noguchi en train de travailler sur sa « Figure Portion of Composition for Arrivals Building » en marbre grec pour l’aéroport d’Idlewild en 1958. Archives du Noguchi Museum. 2021