Rencontre avec les fondateurs de CUT architectures

IDEAT a rencontré les architectes Benjamin Clarens et Yann Martin, le duo fondateur de CUT architectures.

Après avoir fait leurs armes dans différentes agences françaises et internationales, Benjamin Clarens et Yann Martin ont créé CUT architectures, à Paris, en 2008. Touche-à-tout, en rupture avec les limites communément admises entre les disciplines, ils se sont forgé une solide expérience dans les domaines de l’architecture intérieure et du retail, devenus leurs terrains de jeu favoris. Refusant la monotonie comme la répétition, le duo explore le potentiel infini des matériaux et s’affranchit des codes à travers des projets hybrides qui créent systématiquement la surprise.


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Si Benjamin Clarens (au premier plan) et Yann Martin ont toujours fonctionné en tandem depuis la création de leur agence, CUT architectures, leur succès grandissant leur a permis, au fil du temps, de s’entourer de nombreux collaborateurs dont les idées viennent enrichir leur propos.
Si Benjamin Clarens (au premier plan) et Yann Martin ont toujours fonctionné en tandem depuis la création de leur agence, CUT architectures, leur succès grandissant leur a permis, au fil du temps, de s’entourer de nombreux collaborateurs dont les idées viennent enrichir leur propos. Nicolas Krief pour IDEAT

IDEAT :Quels sont vos parcours respectifs et comment vous êtes-vous rencontrés ?

Benjamin Clarens : Nous nous sommes rencontrés en 2005, à la fin de nos études. Je rentrais des Pays-Bas après une année passée à la TU Delft dans le cadre du programme Erasmus en 2004. L’école néerlandaise dominait alors la scène européenne par sa liberté de ton. J’ai prolongé l’expérience en passant un an chez OMA (Rem Koolhaas). Je suis diplômé de l’école d’architecture de Paris-Belleville.

Yann Martin : J’ai travaillé pour l’agence d’architecture et d’urbanisme uapS (Anne Mie Depuydt), avec laquelle j’ai participé au concours du Centre Pompidou Metz aux côtés de FOA et à une scénographie d’exposition en Belgique. Lié à la Finlande, je suis ensuite parti chez Avarc (Aaro Virkkunen). J’ai passé mon diplôme à Paris-Malaquais.

Pièce maîtresse du centre de conférences de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse (2020), la Ballroom est un vaste espace modulable ponctué de lustres mobiles en treillis métallique.
Pièce maîtresse du centre de conférences de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse (2020), la Ballroom est un vaste espace modulable ponctué de lustres mobiles en treillis métallique. David Foessel

Comment CUT est-elle née ?

CUT architectures : Nous étions certes animés par des envies d’architecture mais aussi – et surtout – par un désir commun d’agir de manière créative dans le domaine plus large des espaces (retail, scénographie, architecture intérieure…). Durant nos études, nous avons participé à de nombreux concours, ce qui était très épanouissant d’un point de vue intellectuel. Nos travaux ont été remarqués et, en 2006, nous avons remporté le concours du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire.

Nous avons coréalisé notre projet avec un serrurier fascinant ; ce fut l’occasion de découvrir le chantier, les échanges avec l’artisan et le monde passionnant de la mise en œuvre. Pour l’un de ces concours, un code d’anonymat était exigé sur les panneaux de rendu ; trois lettres, trois chiffres : CUT404. Cet acronyme exprimait notre souhait de trancher avec les idées reçues.

Parallèlement à notre travail en agence à Paris, les premières commandes privées sont arrivées : des aménagements d’appartements, une maison sur les coteaux de Meudon, une autre à Chaville, nommée au prix de la Première Œuvre. Nous avons également développé des projets hybrides, une cellule de repos prenant la forme d’un iceberg en géotextile au cœur de la cour du conservatoire de Montpellier ; nous avons été retenus à un concours d’idées pour le collège du IIIe millénaire. Puis le moment de libérer du temps pour nos propres projets est arrivé. Après trois années de pratique indépendante à travers une structure fictive, CUT est née officiellement en 2008.

Tout proche du Trocadéro, le restaurant Ortensia (2022), du chef Terumitsu Saito, à Paris, mélange les influences françaises et japonaises.
Tout proche du Trocadéro, le restaurant Ortensia (2022), du chef Terumitsu Saito, à Paris, mélange les influences françaises et japonaises. David Foessel

Comment êtes-vous entrés dans les domaines de la restauration, de l’hôtellerie et du retail, et comment l’architecture intérieure est-elle devenue votre activité principale ?

CUT architectures : En 2008, les Franco-Australiens des cafés Coutume ont décidé d’ouvrir un lieu rue de Babylone, à Paris, et nous ont approchés via nos amis communs de March Studio. Dès le démarrage de l’agence, nous avons ainsi livré ce coffee-shop, qui a intrigué les fondateurs de l’enseigne de restaurants PNY, lesquels nous ont confié la réalisation de leur première adresse, rue du Faubourg-Saint-Denis

Nous avons ensuite développé plusieurs projets pour PNY et Coutume, avec qui nous avons continué de travailler régulièrement. Nous prenions énormément de plaisir à imaginer leurs espaces, aux antipodes de ce qui se faisait à ce moment-là. Le succès de ces lieux nous a rendus visibles, ce qui a engendré d’autres commandes, comme le boutique-hôtel French Theory, un nouveau modèle tourné vers la culture, toujours à Paris.

Plusieurs groupes ont alors commencé à s’intéresser à notre travail : Nike, Renault, Petit Bateau mais aussi Accor, qui nous a invités en 2016 sur le concours du Pullman Paris Montparnasse, face aux agences renommées RDAI et MVRDV. Contre toute attente, nous l’avons remporté. Nous nous sommes rendu compte que le domaine de l’aménagement intérieur était déserté par les architectes car trusté par des décorateurs, alors que les sujets y sont variés, les clients, de plus en plus exigeants, et le souhait d’innover est très fort. L’intérieur et l’existant sont ainsi devenus notre matière première.


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Lieu de rendez-vous des aficionados de la petite reine, le café parisien Le Peloton (2022), dans le Marais, s’appuie sur l’esthétique des ateliers de réparation et des cadres de vélos soudés et thermolaqués.
Lieu de rendez-vous des aficionados de la petite reine, le café parisien Le Peloton (2022), dans le Marais, s’appuie sur l’esthétique des ateliers de réparation et des cadres de vélos soudés et thermolaqués. David Foessel

Pourquoi, selon vous, les architectes délaissent-ils l’architecture intérieure ? 

CUT architectures : Les choses ont beaucoup évolué depuis les débuts de l’agence. Les architectes s’y intéressent de nouveau après s’en être longtemps éloignés parce qu’ils la considéraient comme « partielle », conséquence de la vision idéale d’une architecture « globale ». La boutique Olivetti de Carlo Scarpa, à Venise, ou celles de Prada par OMA nous ont confirmé qu’une alternative existait, avec une reprise en main de l’intérieur par les architectes.


Quelle est la valeur ajoutée d’un architecte dans ce domaine ?

CUT architectures : Il apporte une véritable expertise ergonomique et technique. Il est l’interlocuteur idéal pour faire dialoguer une façade et un intérieur. Nous nous appuyons principalement sur la dimension pragmatique et raisonnée de notre formation pour faire de nos présentations des démonstrations certes plastiques, mais surtout répondant à des contraintes opérationnelles précises. Le plan et son efficacité dictent le projet. La liberté de création est sans doute plus vaste dans l’architecture intérieure, où, à la programmation et au contexte, s’ajoute un ingrédient : l’ADN propre au client ou à la marque, ses valeurs ou son produit. 


Au siège de l’entreprise de conseil MAD Network (2018), à Paris, qui se déploie sur deux étages, l’esprit jardin est mis en avant par la présence forte de plantes vertes, de caillebotis de réemploi et de garde-corps en tiges d’acier courbées.
Au siège de l’entreprise de conseil MAD Network (2018), à Paris, qui se déploie sur deux étages, l’esprit jardin est mis en avant par la présence forte de plantes vertes, de caillebotis de réemploi et de garde-corps en tiges d’acier courbées. David Foessel

Comment concilie-t-on les exigences d’une marque avec l’architecture ?

CUT architectures : Ces exigences sont à la fois opérationnelles (linéaires de produits d’exposition, nombre de places assises…) et théoriques, de l’ordre de l’identité et des valeurs à communiquer. Cette dichotomie est passionnante car il faut être à la fois efficace et pragmatique tout en laissant une grande part à l’évocation, donc à l’interprétation, afin d’offrir une véritable expérience globale. La difficulté principale est de satisfaire les différents interlocuteurs de la marque. De la communication au marketing ou à l’exploitation, de nombreuses personnes scrutent le projet, lequel fait souvent l’objet de prototypes, d’essais, d’ajustements, en raison de la dimension duplicable de certains modèles.


Dans les dortoirs de Pilo, à Lyon, les lits superposés, habillés de panneaux de médium, sont inspirés des hôtels capsules japonais.
Dans les dortoirs de Pilo, à Lyon, les lits superposés, habillés de panneaux de médium, sont inspirés des hôtels capsules japonais. David Foessel

L’époque du retail très périssable, parce que nécessitant un rythme de renouvellement soutenu, semble révolue. De nombreuses marques font désormais le choix de la pérennité. Comment parvient-on à s’affranchir des tendances dans ce domaine très concurrentiel ?

CUT architectures : Nous observons effectivement que le retail se renouvelle de manière plus raisonnée. Quand Petit Bateau nous a sollicités, leur concept existait depuis plus de dix ans. L’enjeu était de répondre aux attentes d’une clientèle qui avait évolué et de pérenniser les marqueurs de l’enseigne. Nous nous sommes par exemple beaucoup appuyés sur les campagnes TV historiques, qui affichaient une espièglerie toute particulière permettant à Petit Bateau de se singulariser. Nous l’avons interprétée à notre façon, par une structure ludique composée de tasseaux de bois reliés par des connecteurs aux couleurs primaires.

Nous avons également mis au cœur de la réflexion le savoir-faire français, car une grande partie de leur p

roduction se fait toujours à Troyes, où certains métiers liés à la fabrication de pièces spécifiques sont transmis et enseignés au sein même de l’usine. Nous sommes convaincus qu’en puisant dans l’ADN des marques nous sommes capables de proposer des intérieurs qui reflètent leurs valeurs avec évidence, et ce sur le long terme. Au Japon, nos expérimentations aux côtés du groupe Baycrew’s nous ont permis d’aboutir à des projets que nous espérons voir s’inscrire dans la durée grâce aux matériaux bruts (acier, aluminium, bois massif, plâtre, éléments industriels…) mis en œuvre dans des aménagements optimisés et évolutifs.


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Au CXC, des gaines de climatisation ont été reconverties en assises, comme en miroir de leurs analogues qui serpentent au plafond.
Au CXC, des gaines de climatisation ont été reconverties en assises, comme en miroir de leurs analogues qui serpentent au plafond. David Foessel

Comment travaillez-vous ensemble et où puisez-vous vos inspirations ?

CUT architectures : Nous avons débuté à deux. Chaque projet était alors inévitablement conçu en tandem, dans un véritable dialogue. Aujourd’hui, l’agence compte une dizaine de collaborateurs. Nous avons donc un regard global sur l’ensemble de nos réalisations mais nous ne sommes pas nécessairement à l’origine des idées qui les font naître. Nous mettons en place des workshops au démarrage de chacune d’elle pour nous faire surprendre, partager notre vision, échanger avec l’équipe et arbitrer les choix. C’est une façon pour nous d’assurer la cohérence de la réponse.

Nous aimons tester les différentes possibilités en plan et, parallèlement, nous collectons des images de références que nous ordonnons par thèmes, en évitant de montrer aux clients celles d’aménagements intérieurs afin de préserver notre liberté de ton. Nous nous abstenons de regarder les tendances ; nous préférons piocher nos inspirations dans le quotidien, le monde de l’art, une visite de site… La démonstration doit apparaître comme évidente.


Perché à 115 mètres de hauteur, le Skybar de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse dispose d’un espace extérieur d’où l’on peut voir la ville à l’envers !
Perché à 115 mètres de hauteur, le Skybar de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse dispose d’un espace extérieur d’où l’on peut voir la ville à l’envers ! David Foessel

Vos parcours sont jalonnés d’expériences particulières avec certains pays. Comment celles-ci nourrissent-elles votre travail ?

B.C. : Les Pays-Bas occupent une place spéciale dans mon cheminement : deux années passées à Rotterdam en pleine vague néerlandaise ; une école – la TU Delft – aux moyens impressionnants ; une population décomplexée, affirmative ; des commerçants sûrs de leurs idées ; un pays aux transports en commun d’une efficacité redoutable, permettant de voir une quantité folle de projets ; la rencontre avec un groupe d’amis toujours proches, très actifs en Europe et toujours inspirants. L’expérience chez OMA fut inoubliable. La production frénétique de maquettes et de tests y permettait de faire émerger des idées sans se soucier du « statut » de la personne qui en était à l’origine. J’ai été marqué par la force du propos et par celle du diagramme pour couper court aux longs discours.

L’Espagne, et plus particulièrement la Catalogne, est également importante dans mon parcours. La maîtrise technique et la liberté plastique du collectif RCR m’interpellent, tout comme la dimension artisanale de leur production, son rapport au paysage, le soin apporté, sans distinction entre intérieur et extérieur. J’aime le côté brutal, low-tech et local d’une partie de la scène catalane : l’usage de matériaux propres à la région, l’acier Corten des chantiers navals, la pierre sèche, le bois. La récente visite avec Carles Oliver Barceló des projets menés par son agence Ibavi aux Baléares fut fascinante tant sa production est visuellement riche, dégageant une âme avec des moyens très réduits.


Dans la boutique Petit Bateau de la rue de Sèvres (2018), à Paris, l’espièglerie assumée de la marque s’exprime, sur fond de murs blancs, par le recours systématique aux couleurs primaires et à une structure libre et ludique composée de montants en hêtre ­naturel.
Dans la boutique Petit Bateau de la rue de Sèvres (2018), à Paris, l’espièglerie assumée de la marque s’exprime, sur fond de murs blancs, par le recours systématique aux couleurs primaires et à une structure libre et ludique composée de montants en hêtre ­naturel. David Foessel

Y.M. : Je me sens proche de deux pays en apparence très éloignés mais qui ont à mes yeux beaucoup en commun : la Finlande et le Japon. En 2002, le programme Erasmus m’a permis de rencontrer la Finlandaise Linda Bergroth, dont l’école de design TaiK (aujourd’hui absorbée par l’université Alvar Aalto) bénéficiait d’un échange avec mon école d’architecture. En 2008, avec CUT, nous avons entrepris un premier voyage au Japon qui fut l’occasion de faire le tour de l’archipel. L’attraction fut telle que nous sommes finalement restés à Tokyo plus longtemps que prévu.

Les projets de l’agence dans ce pays aidant, plusieurs dizaines de séjours ont suivi. Architecture et design sont bien plus intriqués en Finlande qu’en France. C’est probablement lié à l’héritage d’Aalto mais aussi à un rapport à la nature et au climat rigoureux qui privilégie l’utilité, la simplicité et la sobriété. Le même constat peut être fait avec le Japon. Les deux cultures tendent à mêler efficacité et sérénité, technicité et sobriété, tout en jonglant avec des -extrêmes qui nous inspirent en grande partie.


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Selon le même précepte, des profilés alu issus de stands de salons temporaires scandent les espaces de l’hôtel French Theory (2019), situé dans le Quartier latin, à Paris.
Selon le même précepte, des profilés alu issus de stands de salons temporaires scandent les espaces de l’hôtel French Theory (2019), situé dans le Quartier latin, à Paris. David Foessel

Vous avez récemment rénové le Pullmann Paris Montparnasse, une échelle différente de ce que vous aviez connu jusque-là. Comment aborde-t-on une commande de cette envergure ?

CUT architectures : Accor a fait le choix de ne pas imposer la charte Pullman ou des lignes directrices au regard de la taille de cet hôtel et de l’évolution rapide du secteur. L’une des contraintes concernait la clientèle, très internationale, à la fois business et touristique. Le concours distinguait deux zones : les chambres et les services généraux (hors restaurants). Nous avons mobilisé la quasi-totalité de l’agence et avons abordé le projet comme des architectes urbanistes, en déclinant des formes géométriques circulaires et une palette commune de matériaux (noyer, métal déployé, chrome et pierre) dans l’ensemble des espaces afin d’offrir des repères visuels évidents et d’orienter le visiteur dans cet établissement aux dimensions hors norme.

Nous avons cherché une cohérence entre les services généraux et les chambres afin d’offrir au client une expérience globale. Les chambres ont été l’occasion de créer une série de meubles sur mesure, fabriqués à partir des mêmes matières. Par la suite, la conception des deux restaurants et du bar à cocktails au dernier étage nous a été confiée. Nous les avons imaginés comme trois parenthèses, des intérieurs qui diffèrent totalement du reste.

En vitrine du Monoprix Paris Montparnasse, le corner Coutume (2020) reprend les codes épurés de l’enseigne de coffee-shops franco-australienne.
En vitrine du Monoprix Paris Montparnasse, le corner Coutume (2020) reprend les codes épurés de l’enseigne de coffee-shops franco-australienne. David Foessel

Umami, qui sert des burgers XL, se transforme en espace petit déjeuner pour les 957 chambres de l’hôtel. Ses 650 m2 sont subdivisés en plusieurs salons dont les limites sont définies par des jeux de claustras et de rideaux, et qui sont destinés à la fois à la restauration et au travail. Fi’lia, un restaurant italien plus intime en continuité avec le bar de l’hôtel, convoque le marbre, le bois et des tubes en Inox.

Au dernier étage, le Skybar joue des multiples alcôves formées par la trame structurelle des anciennes chambres et dans lesquelles s’inscrivent des salons tamisés. Les parois sont habillées d’aluminium anodisé renforçant l’intériorité, en contraste avec le toit-terrasse ouvert à 180 degrés sur Paris.

Le CXC de BNP ­Paribas Real Estate (2022), à Boulogne-Billancourt, met à l’honneur le réemploi. Ici, du mobilier conçu à partir de structures d’échafaudages.
Le CXC de BNP ­Paribas Real Estate (2022), à Boulogne-Billancourt, met à l’honneur le réemploi. Ici, du mobilier conçu à partir de structures d’échafaudages. David Foessel

À l’inverse, vous avez réalisé, à Lyon, la première adresse Pilo, un nouveau concept entre auberge de jeunesse et hôtel. Comment avez-vous abordé votre collaboration avec cette marque naissante ?

CUT architectures : Pilo se trouve dans un ancien collège du centre de Lyon. Le bâtiment, aux qualités patrimoniales remarquables, disposait d’importantes hauteurs sous plafond, de grandes baies vitrées sur la cour intérieure, de structures porteuses en pierre et d’une dalle béton de préau que nous avons conservée dans l’optique de transformer cet espace en restaurant. La marque, avec des moyens financiers limités, souhaitait se distinguer par son offre en proposant des chambres doubles premium et standard mais aussi des chambres familiales ou des dortoirs de 4, 10 et 16 couchages.

Nous avons développé une forte cohérence chromatique afin d’apporter à chacune de ces typologies une qualité particulière : les têtes de lit en médium teinté dans la masse, les sols, les rideaux, les bureaux en OSB (des panneaux de lamelles de bois compressées, NDLR) laqué brillant et les joints de carrelage des salles de bains résonnent entre eux. Des panneaux de médium habillent également les surfaces des lits superposés des dortoirs, conçus comme des hôtels capsules japonais, ainsi que les structures des lits des chambres familiales. Nous avons misé sur le low-tech tout en étant percutants visuellement et soucieux d’assurer une certaine modernité. Le budget serré a été arbitré savamment afin de développer une -liseuse que l’on retrouve en tête de lit dans l’ensemble de l’hôtel : un détail qui compte.

Au centre de la galerie d’exposition de la NFT Factory, à Paris, sol et murs ont été enduits de vert, la couleur chère aux artistes ­numériques accros d’incrustations.
Au centre de la galerie d’exposition de la NFT Factory, à Paris, sol et murs ont été enduits de vert, la couleur chère aux artistes ­numériques accros d’incrustations. David Foessel

Parmi vos derniers projets figure celui de la galerie NFT Factory…

CUT architectures : Sa directrice générale, Lucie-Éléonore Riveron, pour qui nous avions imaginé la salle de vente aux enchères FauveParis en 2014, nous a sollicités car elle avait lancé des ventes aux enchères d’art numérique sous la forme de NFT qui ont connu un fort succès. Spécialisée dans ce domaine qui la fascine, elle est devenue une référence à Paris et, avec plusieurs acteurs du Web 3.0, elle a décidé de fonder la NFT Factory en face du Centre Pompidou. L’urgence était d’ouvrir un lieu, d’avoir pignon sur rue, de devenir le point de rassemblement d’une communauté et d’éveiller la curiosité des novices.

Un tel endroit autour des NFT n’existait pas encore à Paris, et c’est naturellement que nous avons accepté le défi. Le projet est composé d’un espace de plain-pied, la galerie d’exposition pouvant muer en salle de conférences. Les murs de la séquence d’entrée à l’espace d’exposition et ceux de l’accès à l’étage sont habillés de panneaux de polycarbonate transparent vissés sur des rails pour placo, ce qui rend visibles les câbles d’alimentation des écrans. Le sol et les parois sont noirs, tandis que les meubles sont entièrement constitués de Plexiglas et de connecteurs chromés.

Au centre du lieu d’exposition, un fond vert a été appliqué au sol et aux murs : un espace représentatif des possibles infinis incarnés par les NFT et qui a donné sa couleur au logo de la galerie. À l’étage, le staff est abrité derrière une structure transparente en Plexiglas et des rideaux de serre horticole.


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Selon le même précepte, des profilés alu issus de stands de salons temporaires scandent les espaces de l’hôtel French Theory (2019), situé dans le Quartier latin, à Paris.
Selon le même précepte, des profilés alu issus de stands de salons temporaires scandent les espaces de l’hôtel French Theory (2019), situé dans le Quartier latin, à Paris. David Foessel

Le détournement traverse une grande partie de votre production, tout comme l’importance que vous accordez aux matériaux. Si l’on devait établir le répertoire de CUT, comment le définiriez-vous ?

CUT architectures : Nous aimons en effet détourner les matériaux, exposer ceux que l’on cache habituellement, utiliser ceux qui sont plutôt employés dans d’autres domaines, afin de créer des espaces inattendus. Nous apprécions la démarche low-tech et pensons que l’ingéniosité qu’elle induit recèle un potentiel quasi illimité. Nous abordons idéalement nos projets avec une palette de matériaux réduite, trois ou quatre qui dominent visuellement. Au-delà, nous avons le sentiment que le résultat n’est plus lisible et que le propos devient inaudible.

Nous avons ainsi détourné des caillebotis en résine utilisés dans les usines laitières pour recouvrir le sol de l’espace intermédiaire des bureaux du cabinet de conseil MAD Network, à Paris ; ou encore des éléments en aluminium de stands de salons temporaires pour en faire la structure principale des agencements de l’hôtel French Theory. Nous accordons une grande importance aux matériaux et à leur mise en œuvre.


Le lobby de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse.
Le lobby de l’hôtel Pullman Paris Montparnasse. David Foessel

Comment la responsabilité environnementale s’exprime-t-elle dans vos projets ?

CUT architectures : Elle est pour nous sous-jacente sans être un dogme. Nous composons autant que possible avec l’existant, en repérant et en listant systématiquement les qualités intrinsèques d’un espace pour essayer de garder ce qui est déjà là tout en le magnifiant. À l’issue du curage, nous conservons souvent des murs dont les aspérités et la matière nous apparaissent comme des particularités intéressantes. Nous réemployons régulièrement des éléments en place, à l’image des bancs de la cour ou des espaliers du préau de l’ancien collège qui abrite désormais Pilo. Nous approchons cette question de la durabilité par le bon sens.

Lorsque l’enjeu environnemental est central pour notre commanditaire, nous explorons les possibles. Comme pour le CXC, le centre d’expérimentations urbaines de BNP Paribas Real Estate, où nous avons conçu un agencement sur mesure tout en réemployant des structures d’échafaudages, des dalles de plafond à LED, des gaines de climatisation et des chemins de câbles, combinés à des matériaux vertueux : cuir d’ananas, panneaux de fleurs ou de textiles -recyclés, résidus de pierre…


Quel est jusqu’à présent le projet le plus complexe sur lequel vous ayez eu à travailler ?

CUT architectures : Sans doute le Pullman Paris Montparnasse, par sa taille et la complexité du montage : une maîtrise d’ouvrage à deux têtes (URW, le propriétaire, et Accor, l’exploitant), une maîtrise d’œuvre impliquant de nombreux partenaires, un programme élaboré au fil des avancées des études, un projet XL regorgeant de surprises et une pandémie mondiale en plein chantier !


Et le projet dont vous rêvez ?

CUT architectures : Celui auquel on ne s’attend pas, avec une approche ou un programme que nous n’avons pas encore envisagés.


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