MARCO ZORZANELLO - Courtesy La Biennale di Venezia

L’Afrique à l’honneur de la Biennale d’architecture de Venise 2023

L’Afrique est – enfin – à l’honneur de la 18e Biennale d’architecture, qui s’est ouverte le 20 mai dans la Cité des Doges. Aux commandes, la Ghanéo-Écossaise Lesley Lokko a fait voler en éclats une vision trop souvent occidentalo-centrée de la discipline, à travers une édition éminemment politique, « décoloniale et décarbonée ».

Tous les deux ans, à la Biennale d’architecture de Venise, l’Afrique brillait par son invisibilité, systématiquement reléguée au rôle de figurante. Changement de cap en 2023, avec la nomination en tant que commissaire de la Ghanéo-Écossaise Lesley Lokko, qui, pour cette 18e édition, a choisi « The Laboratory of the Future » (« Le Laboratoire du futur ») comme thème, suffisamment vaste et générique pour être appréhendé de mille manières. C’est donc une Biennale d’architecture de Venise 2023 protéiforme, où l’architecture est souvent intriquée avec l’art contemporain et les sciences humaines, qui se tient cette année dans les Giardini et à l’Arsenale, jusqu’au 26 novembre.


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Lesley Lokko, commissaire de l’édition 2023 de la Biennale d’architecture de Venise.
Lesley Lokko, commissaire de l’édition 2023 de la Biennale d’architecture de Venise. Jacopo Salvi - Courtesy La Biennale di Venezia

Au programme : la race, le (dé)colonialisme et le réchauffement climatique, des questions que Lesley Lokko considère comme entremêlées et interdépendantes. « Le corps noir a longtemps constitué la première des sources d’énergie », rappelle-t-elle.

À quelques exceptions près, les starchitectes sont absents de la manifestation, probablement jugés trop hors-sol pour avoir les faveurs de cette édition engagée et politique, qui permet de découvrir de nouveaux talents trop peu médiatisés. Inconnue jusque-là du grand public, Lesley Lokko, 59 ans, architecte, universitaire et romancière, repositionne l’Occident à sa juste place, comme faisant partie d’un tout et non plus comme un pivot -autour duquel toute l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme s’articulerait.

Maquette en cuivre et en laiton du projet (non réalisé) de l’architecte Henry Lacoste (1885-1968) pour le pavillon belge de l’Exposition universelle de 1935, reconstituée par l’artiste visuel congolais Sammy Baloji (Twenty Nine Studio). Cet édifice devait illustrer la « grandeur » de l’entreprise coloniale au Congo.
Maquette en cuivre et en laiton du projet (non réalisé) de l’architecte Henry Lacoste (1885-1968) pour le pavillon belge de l’Exposition universelle de 1935, reconstituée par l’artiste visuel congolais Sammy Baloji (Twenty Nine Studio). Cet édifice devait illustrer la « grandeur » de l’entreprise coloniale au Congo. Andrea Avezzù- Courtesy La Biennale di Venezia

À chaque Biennale d’architecture de Venise son lot de prix. L’Afrique est, en toute logique, largement représentée dans ce palmarès. À 88 ans, Demas Nwoko a reçu un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière. L’architecte, artiste et designer nigérian a peu construit mais fut un précurseur dans la dénonciation de la « dépendance du Nigeria envers l’Occident pour l’importation de matériaux, de biens, mais aussi d’idées », résume la commissaire. Le pavillon brésilien a reçu le Lion d’or de la meilleure participation nationale, avec une proposition très engagée baptisée « Terra [Earth] ».

Revenant sur la construction de Brasilia, les curateurs Gabriela de Matos et Paulo Tavares dénoncent la façon dont la population a été brutalement chassée de ses terres et lui offrent l’occasion de s’exprimer. Une mention spéciale a été attribuée au projet du pavillon britannique, « Dancing Before the Moon », supervisé par Jayden Ali, Joseph Henry, Meneesha Kellay et Sumitra Upham. Ceux-ci racontent comment, au Royaume-Uni, les rituels quotidiens afro-caribéens de la diaspora font émerger de nouvelles façons de penser l’architecture et l’environnement construit. 


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Muluku: 6 Bone Temple, œuvre textile de l’artiste et architecte Yussef Agbo-Ola présentée dans le cadre du projet du pavillon britannique, « Dancing Before the Moon ».
Muluku: 6 Bone Temple, œuvre textile de l’artiste et architecte Yussef Agbo-Ola présentée dans le cadre du projet du pavillon britannique, « Dancing Before the Moon ». Andrea Avezzù- Courtesy La Biennale di Venezia

L’engagement récompensé

Le Lion d’or pour la meilleure contribution à l’exposition principale, « The Laboratory of the Future », est revenu à DAAR (Alessandro Petti et Sandi Hilal), qui, à la Corderie de l’Arsenale, explore les possibilités de réappropriation critique, de réutilisation et de subversion de l’architecture coloniale fasciste et son héritage moderniste en Sicile, tout en établissant des parallèles avec ce qui s’est passé à la même époque en Libye, en Somalie, en Érythrée et en Éthiopie.

Quant au Lion d’argent pour un jeune participant prometteur, c’est Olalekan Jeyifous (né en 1977) qui en a été récompensé, pour son travail présenté dans le pavillon central des Giardini. L’architecte, né au Nigeria et vivant à Brooklyn, invite les visiteurs dans le salon jaune et vert d’un « All-Africa Protoport » promettant des voyages aériens, terrestres et maritimes zéro émission.

Afin d’évoquer la pénurie énergétique qui frappe leur continent, les Sud-Africains de Wolff Architects ont eu recours au cyanotype, un procédé photographique qui ne repose que sur l’exposition solaire, pour concevoir leur exposition.
Afin d’évoquer la pénurie énergétique qui frappe leur continent, les Sud-Africains de Wolff Architects ont eu recours au cyanotype, un procédé photographique qui ne repose que sur l’exposition solaire, pour concevoir leur exposition. MARCO ZORZANELLO - Courtesy La Biennale di Venezia

Enfin, trois mentions spéciales ont été attribuées durant la Biennale d’architecture de Venise : à Twenty Nine Studio, cofondé par Sammy Baloji, qui revient sur les effets de la colonisation par la Belgique de son pays natal, la République démocratique du Congo, son passé prospère et sa situation actuelle difficile ; à Wolff Architects (Heinrich et Ilze Wolff), originaires d’Afrique du Sud, qui racontent l’expression de l’abondance à l’époque actuelle de pénurie énergétique ; et à Thandi Loewenson, venue du Zimbabwe, qui remet en question l’exploitation industrielle des ressources et des terres en Afrique, dénonçant une justice climatique à deux vitesses. Cette 18e édition de la Biennale d’architecture de Venise bouscule, décontenance et interroge. Tout ce qu’on attend d’une biennale d’architecture, en somme.


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