Yinka Ilori, le designer distributeur de bonheur

Le designer à l’héritage anglo-nigérian expose sa bonne humeur et ses convictions au Design Museum, à Londres, porté par de nombreux projets aussi ludiques que salutaires. Espaces publics, pièces de mobilier, accessoires ou recherches textiles, sa créativité ne connaît aucune frontière.

Des passages cloutés colorés, pour faciliter la rencontre entre les passants, aux immenses banderoles multicolores affublées de messages d’espoir comme « Better Days Are Coming I Promise » (il y aura des jours meilleurs je le promets) apposés sur les murs de Londres en pleine pandémie, Yinka Ilori a pris l’habitude de mettre son travail au service de la communauté.

Le pop up store de Yinka Ilori.
Le pop up store de Yinka Ilori. Ed Reeve

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Né et élevé en Angleterre dans une famille d’origine nigériane, il diffuse son esthétique pop comme d’autres jettent des confettis pendant un carnaval, sans compter, avec une joie de vivre communicative. Il construit un terrain de jeux pour grands enfants pendant le Festival international de la créativité Cannes Lions, programme un atelier de restauration de mobilier au profit de l’œuvre caritative Restoration Station et élève un pavillon face à la Dulwich Gallery, qui abrite 600 toiles de maîtres européens.

Pour revitaliser le commerce de détail, Yinka Ilori a choisi d’ouvrir un pop-up store dans le quartier de Shoreditch, à l’issue duquel 5 % des bénéfices iront à une association qui soutient les sans-abri.
Pour revitaliser le commerce de détail, Yinka Ilori a choisi d’ouvrir un pop-up store dans le quartier de Shoreditch, à l’issue duquel 5 % des bénéfices iront à une association qui soutient les sans-abri. Ed Reeve

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Au-delà des formes simples, aux couleurs déterminées par une étude de popularité, l’ancien apprenti passé par le studio de Lee Broom assume un propos complexe et engagé, pour qui sait regarder. Launderette of Dreams, sa laverie grandeur nature créée pour la marque Lego, endosse le rôle d’une agora moderne, portée par des messages encourageant la créativité des plus jeunes.

A Large Chair Does Not Make A King (une grande chaise ne fait pas un roi), une installation inspirée par l’adage africain et l’esthétique de la Non-chair, d’Alessandro Mendini, invite ses hôtes à rester humbles. Un travail qui fait aussi écho aux portraits de monarques en majesté du photographe nigérian George Osodi, dont Yinka Ilori possède des reproductions dans son studio.

Ⓒ Ed Reeve.
Ⓒ Ed Reeve.

En 2020, le créateur revisite le rapport entre l’assise et la vie en communauté à travers A Trifle of Colour (une bagatelle de couleur), un siège hybride à la fois chaises et bancs pour Kvadrat. 

C’est le wax !

Aussi à l’aise pour créer un terrain de basket dans le quartier d’affaires de Canary Wharf qu’une collaboration avec la multinationale Pepsi, l’homme révèle son talent de conteur à travers ses recherches autour du textile.


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Ⓒ Ed Reeve.
Ⓒ Ed Reeve.

« Ma mère voyageait régulièrement en Suisse et au Nigeria pour acheter des tissus et habiller la famille lors d’événements importants. Les ensembles pouvaient servir à représenter notre héritage, mais aussi à exprimer une émotion », explique-t-il à propos de ces tenues en wax, utilisées comme des marqueurs vestimentaires majeurs à travers l’Afrique de l’Ouest. « Les motifs de chevaux représentent, par exemple, la rivalité entre les épouses de maris polygames », détaille le designer.

Ses créations ludiques, actuellement présentées au Design Museum, à Londres, à l’occasion de l’exposition « Parables For Happiness » (paraboles pour le bonheur), sont quant à elles couvertes de motifs de bougies de voiture ou de ventilateurs, symboles de richesse et d’un statut social dominant.

Ⓒ Ed Reeve.
Ⓒ Ed Reeve. Ed Reeve

Chez lui, les commentaires sont souvent présentés avec humour, pour permettre d’amorcer une conversation sans tensions, aussi difficile soit-elle. « La mode peut clairement être porteuse d’opinions politiques qui dérangent », rappelle l’homme. L’origine même du wax est empreinte d’une histoire entachée par le colonialisme.


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L’étoffe africaine, inspirée des batiks indonésiens, fut initialement introduite en Afrique par des guerriers ashantis envoyés au front par les Hollandais, au début du XIXe siècle. Un brassage culturel qui fascine Yinka Ilori, guidé par son double héritage.

Ⓒ Ed Reeve.
Ⓒ Ed Reeve.

Parmi les projets récents, le prestigieux trophée des Fashion Awards anglais, présenté lors d’une cérémonie télévisée en décembre 2022, représente le multiculturalisme décomplexé de la mode. Le designer a également dessiné l’univers du défilé Labrum London, tourné vers les traditions africaines.

Après l’ouverture d’une boutique pop-up dans l’est de la capitale anglaise, une collection de sandales Fitflop, un cabas de supermarché Marks & Spencer et une ligne d’accessoires pour la maison, ponctuée d’allusions au commerce du rhum avec les Antilles, le créateur rêve d’un projet de streetwear ou, pourquoi pas, de créer une ligne de vêtements pour tenter de nouvelles expériences esthétiques et formelles. 


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Au Design Museum, à Londres, l’exposition « Yinka Ilori: Parables for Happiness » présente le travail du créateur et son esthétique influencés par un mélange de cultures. Motifs géométriques, associations de couleurs, graphismes… sous des dehors espiègles, le message du designer est politique, car choisir de diffuser, de provoquer ou d’utiliser la joie est déjà un engagement, voire un outil de lutte.
Au Design Museum, à Londres, l’exposition « Yinka Ilori: Parables for Happiness » présente le travail du créateur et son esthétique influencés par un mélange de cultures. Motifs géométriques, associations de couleurs, graphismes… sous des dehors espiègles, le message du designer est politique, car choisir de diffuser, de provoquer ou d’utiliser la joie est déjà un engagement, voire un outil de lutte. Nick Rees

Les inspirations de Yinka Ilori

Un motif : « Les vagues stylisées de la collection pour la maison « Omi » : des allusions à la silhouette des barils de rhum transportés entre les anciennes colonies anglaises et les docks de Londres. »

Un matériau : « Le Piñatex, une alternative éco-responsable au cuir, produite à partir de feuilles d’ananas et utilisée lors de la collaboration avec Adidas Creator Studio. »

Un objet : « Une chaise, symbole ultime de pouvoir et de statut social. »

Une boutique : « Selfridges, à Londres. Mes vitrines pour leur campagne « Project Earth » représentaient des paysages réalisés à partir d’objets du quotidien, pour interroger notre rapport au gâchis et à la nature. »

Un designer« Martino Gamper, découvert lors de mes études et qui m’a donné envie de redéfinir le sens et l’utilité des objets recyclés. »


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