Portrait : Sandra Benhamou, l’émotion faite style

À force de voir se succéder les projets d’architecture intérieure de Sandra Benhamou, émaillés du mobilier de ses deux premières collections, on s’interroge : comment a-t-elle fait en si peu de temps ? La réponse est simple : en agissant en véritable autodidacte, à travers ce que Charlotte Perriand appelait « l’œil en éventail ».

Dix ans avant de créer son agence en 2010, à Paris, Sandra Benhamou travaillait aux États-Unis dans l’industrie du cinéma. S’il existe un pays et un milieu où il est courant de rebattre les cartes de sa vie, c’est bien ceux-là.

Du cinéma à l’architecture

Le salon d’un appartement près du bois de Boulogne, tapis et fauteuils Dolly, collection « Ginger » de Sandra Benhamou.
Le salon d’un appartement près du bois de Boulogne, tapis et fauteuils Dolly, collection « Ginger » de Sandra Benhamou. gaelle-le-boulicaut

Après avoir donné naissance à son premier enfant, la jeune femme fait une pause et commence à rénover sa maison des Hamptons. Les gens en parlent tant et si bien que les commandes de chantiers de décoration s’accumulent dans son agenda. Puis elle déménage à Londres pour y vivre près de cinq ans. D’autres projets suivent en Angleterre et en France. Quand elle rentre à Paris, en 2010, Sandra Benhamou y fonde son agence, par envie plus que par souci de professionnaliser son activité.

Devenir architecte d’intérieur n’est pas une lubie, mais la conséquence d’un attrait ancien pour les intérieurs et la décoration. Tout est lié. Elle, comme son mari, collectionne de l’art contemporain et de la photographie. Et remarque alors que, contrairement aux Américains et aux Anglais, les Français suivent plus docilement qu’ailleurs les modes, les codes et les tendances et ce, malgré la richesse du vivier des créateurs hexagonaux.

Au Blitz Society, tables laquées noires de Sandra Benhamou et chaises chinée.
Au Blitz Society, tables laquées noires de Sandra Benhamou et chaises chinée. Cyrille George Jerusalmi

Ses références vont des maîtres de l’architecture, notamment italiens, à l’univers du cinéma. Ce ne sont pas que les décors qui l’inspirent, mais aussi les atmosphères dégagées par l’écriture des films. D’où le narratif de sa première collection de mobilier, « Ginger », inspirée de Casino (1995), de Martin Scorsese. Pour « Marfa », sa seconde collection, elle a puisé dans la ville texane du même nom, là où l’artiste plasticien Donald Judd s’est installé. « Ce que j’essaie de faire, intérieurs comme mobilier, c’est de donner une âme. Il faut qu’on ressente une émotion. »

Pour elle, le traitement de la lumière est primordial ainsi que les matières choisies. Suivent enfin les meubles, en particulier les pièces fortes. La plus grande satisfaction de Sandra Benhamou, c’est celle de ses clients, affirme-t-elle. Ils la sollicitent pour la beauté du projet, mais surtout pour s’y sentir bien. Même chose pour un lieu public.

Célébrer l’artisanat

L’architecte d’intérieur vient de terminer un bar où l’on joue aux échecs, Blitz Society, à Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Elle a voulu y insuffler la chaleur des clubs new-yorkais, mais aussi l’univers singulier de cette discipline. Ce ne sont pas toutes les scènes de jeu enfumées vues au cinéma que Sandra Benhamou cite alors, mais le film L’Affaire Thomas Crown (1968), d’une grande sensualité, avec Steve McQueen et Faye Dunaway.

Sans minimiser son intérêt pour les créateurs du reste du monde, pour elle, la richesse des talents français repose sur le savoir-faire d’artisans d’art émérites. Elle-même se distingue en imaginant du mobilier. Pour la collection« Ginger », elle avait d’abord dessiné un bar destiné à son intérieur. L’idée lui est venue de concevoir une ligne à partir de ce meuble, peu répandu dans le commerce bien qu’ultra-convivial. Il peut influencer l’agencement d’une pièce et en créer même un peu l’architecture intérieure.

Un appartement, à Paris. Dans la salle à manger, table et banc de Rudolph Condon ; au mur, œuvre circulaire Tambour 124’ de Latifa Echakhch. Dans la chambre, guéridon Gio, collection « Ginger » de Sandra Benhamou.
Un appartement, à Paris. Dans la salle à manger, table et banc de Rudolph Condon ; au mur, œuvre circulaire Tambour 124’ de Latifa Echakhch. Dans la chambre, guéridon Gio, collection « Ginger » de Sandra Benhamou. gaelle-le-boulicaut

L’élégance et l’équilibre des projets de Sandra Benhamou n’obéissent pas pour autant aux tendances du moment. Elle a placé chez un client un canapé Camaleonda vintage, de Mario Bellini, bien avant que sa réédition par B&B Italia ne le mette en vedette dans les magazines ! La créatrice s’inscrit du côté de la personnalisation. Actuellement, elle planche sur une résidence senior pour le groupe Korian, en collaboration avec la famille Trigano. Les contraintes existent, ce n’est pas une maison de luxe, mais Sandra Benhamou s’attache à y instiller de la joie et du partage. Elle dit même « de l’amour ». Et de quoi avons-nous besoin en 2022 ?

Les inspirations de Sandra Benhamou

Des univers 

«Ceux de Carlo Scarpa, Gio Ponti, Jean-Michel Frank et de l’artiste Donald Judd».

Des lieux

«Toute l’Italie. Venise, de son architecture ancienne à celle de Carlo Scarpa».

Une aversion

«Tout ce qui est faux, marbre ou bois. Il vaut mieux un vrai carrelage qu’un faux marbre».

Des projets 

«Des projets résidentiels à Paris et en Normandie, en plus d’un nouveau concept de résidence pour seniors». 

Onze ans après 

«Fière de voir mon agence grandir avec de beaux projets et deux collections de mobilier. C’est une chance d’être sollicitée à une période où chacun prête de plus en plus attention à son intérieur».

> sandrabenhamou.com