C’est en 1966 que Manuel Alorda fonde Kettal. Il ne se lasse pas de raconter cette histoire. C’est celle de sa vie. Au cours d’un voyage en Allemagne avec son père pour acheter du mobilier de jardin, le duo reste scotché. Dans ce pays tellement moins inondé de soleil que l’Espagne, le mobilier d’extérieur est non seulement de grande qualité mais surtout très bien dessiné. Manuel Alorda fonce. « Vu le beau temps que nous avons en Espagne, j’ai tout de suite saisi cette opportunité pour monter mon affaire », dit-il, encore excité rien que d’y repenser. Il achète un petit magasin et une fourgonnette. Il fait tout : chauffeur, livreur, entrepreneur, acheteur et patron. Le jeune marié achète une petite usine. Son épouse, hollandaise, attend l’aîné de leurs quatre enfants quand les machines qu’il a achetées en Allemagne sont bloquées pendant plusieurs mois à la douane. Pas d’argent, l’horreur. En 1975 arrive, à point nommé, la fin du franquisme, suivie par la libéralisation et le développement des marchés. Manuel Alorda écume plus d’une vingtaine de salons professionnels chaque année. Sur les plages espagnoles, Kettal offre des marionnettes aux enfants. Sur un de leurs petits sacs promotionnels, il est écrit : « Nous ne prétendons pas être les meilleurs, nous préférons être les meilleurs. » Autre slogan : « Que tal ? (« Comment ça va ? ») Muy, muy bien ». Rien de tel pour dézinguer la concurrence que d’afficher sa croissance. Une kyrielle de catalogues est éditée – qui ravirait tout amateur de vieux papiers seventies. À la télévision, entre deux miaulements de chats siamois, les Espagnols entendent aussi : « Kettal, du mobilier pour durer sept vies. » Les enfants de la famille, une fille et trois garçons, font souvent les mannequins juniors dans le jardin familial pour incarner l’image tonique du bonheur domestique… Les premiers succès de vente de mobilier d’extérieur ont accompagné la vague d’hédonisme balnéaire post-franquiste. Ah, les chaises pliables à empiler dans la petite voiture des classes moyennes ! Oh, le fauteuil Miki à rayures bayadère pré-Paul Smith ! Tout cela s’est très bien vendu. Le siège Picolo symbolise à l’époque la prédominance de l’aluminium dans les produits Kettal. Manuel Alorda sollicite des ingénieurs créatifs pour élaborer des modèles innovants. L’esthétique est primordiale. Le tissu fleuri seventies de la chaise longue Capri semble tout droit sorti de chez Dries Van Noten. Le choc pétrolier de 1973 ne réduit pas la voilure. Les Espagnols sont de plus en plus nombreux à remplacer l’équipement d’extérieur du début des années 70 par du mobilier de jardin plus sophistiqué. La collection « Bambu », avec son armature blanche imitant le bambou, symbolise bien cette période. Quinze ans de succès !
Une fondation dédiée à l’art contemporain
Kettal insiste toujours sur la résistance aux éléments, le séchage rapide et l’étanchéité. Aujourd’hui, l’entreprise vit à l’heure du 100 % peinture non polluante pour une production régionale 100 % espagnole. La saga continue. Même si, avec son épouse, Manuel Alorda a créé la Fondation Alorda-Derksen consacrée à l’art contemporain (dont les œuvres de Damian Hirst ou de Jaume Plensa sont visibles au-dessus du magasin), il est de ces pater familias qui ne mettent aucun hobby avant leur famille et leur entreprise. Il a pourtant tâté d’autres business dans le passé, du camping à la restauration. Début 2000, Kettal fait l’acquisition des labels Hugonet et Triconfort. Alors que, dans une Espagne en crise, son fils Alex parle de veiller jalousement sur les fondamentaux de Kettal – design, qualité, recherche –, Manuel Alorda s’affiche optimiste : « Nous ne pouvons pas avoir de meilleure époque que celle-ci, à travailler avec les gens que nous avons et ceux que nous sollicitons. » Effectivement, quand Kettal a commencé en 1994 à travailler avec des designers, ils ont choisi la crème : Tusquets, Urquiola, Jongerius, Dordoni, Doshi Levien, Morrison et, maintenant, les Bouroullec. L’évolution stylistique de la marque a travers le temps reflète les évolutions du goût contemporain jusqu’au boom de l’outdoor. Et, cinquante ans après, Manuel Alorda en est très fier.