À la fois écrivain engagé dans les luttes de son époque et designer, le Danois Poul Henningsen a commencé comme architecte. Entre 1911 et 1917, il est successivement formé par l’École technique de Frederiksberg et l’université technique du Danemark… mais il n’obtient pas son diplôme final. C’est finalement en 1919, aux côtés de l’architecte Kay Fisker, qu’il se frotte à la pratique du métier. Une année lui suffit pour qu’il s’établisse à son propre compte en tant qu’architecte mais surtout designer car cette discipline est celle qui le passionne véritablement.
Une révolution lumineuse
Un siècle plus tard, ce sont surtout ses luminaires qui font la notoriété de Poul Henningsen. L’idée de se concentrer sur cette typologie lui vient d’un constat qu’il établit au début de sa vie active : aux prémices de l’éclairage électrique, les lampes provoquent pour la plupart des éblouissements car le regard porte directement sur le filament de l’ampoule. Son actrice de mère se plaint régulièrement du teint horrible que lui donnent ces nouveaux gadgets. Le designer débute sa réflexion en interrogeant les besoins. Naturellement, il s’intéresse aux différentes structures de la lumière, s’attachant à étudier précisément les ombres mais aussi la reproduction des couleurs. Son objectif est simple : il veut développer un éclairage diffus, chaud et agréable aux yeux des utilisateurs. Ses recherches sont tellement poussées qu’elles constituent le fondement des théories de l’éclairage encore appliquées aujourd’hui, notamment par son éditeur Louis Poulsen.
Les lampes PH, toujours une référence
Les premières suspensions de Poul Henningsen sont présentées à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris, en 1925. Preuve du franc succès rencontré : elles y décrochent une médaille d’or. Baptisées PH-Lamps – en référence aux initiales de leur créateur –, elles possèdent plusieurs abat-jours concentriques afin d’éliminer l’éblouissement et donner dans certaines zones un éclairage direct et, dans d’autres, une lumière réfléchie. Pour ce faire, le procédé est simple : la dissimulation de la source lumineuse primaire. La douceur de l’éclairage, qui reste uniforme malgré tout, est très appréciée du grand public. Louis Poulsen produit en continu ces luminaires, souvent copiés mais jamais égalés, leur secret de fabrication étant précieusement conservé dans son usine danoise.
Les modèles les plus connus aujourd’hui sont probablement la PH 5 avec ses trois abat-jours imbriqués qui lui donnent un style inoxydable et la PH Artichoke (1958). Initialement conçue pour le Longelinie Pavilion, une brasserie de Copenhague, ce modèle est construit autour d’un diffuseur en chrome habillées de lames de métal qui empêchent de voir directement la lumière de l’ampoule, et ce quel que soit l’angle sous lequel on la regarde ! Déclinées en trois tailles, ses 72 feuilles de cuivre, de laiton ou d’acier inoxydable permettent de teinter la lumière selon les goûts ou l’ambiance de la pièce.
Des lampes sculptures
Par ailleurs poète et écrivain engagé, Poul Henningsen n’a pas donné libre cours à sa créativité qu’au travers de luminaires. En marge des diverses variations sur ce thème, comme beaucoup d’architectes, Poul Henningsen a notamment dessiné des assises envisagées comme des sculptures. Il a aussi bien conçu des fauteuils en cuir que des chaises en vinyle dont le point commun est un pied en métal ouvragé et la recherche insatiable d’innovation quant aux formes du piétement et du dossier. À titre d’exemple, la Snake Chair (1932) possède un pied unique en spirale qui, tel un serpent, se prolonge jusqu’à un dossier qui rappelle un épais croissant de lune.
À la même période, Henningsen revisite un piano, baptisé PH Grand Piano, à la demande de la société de fabrication Andreas Christensen. Fonctionnel et moderne, le prédécesseur du PH Pianette joue également avec les lignes courbes. Contrairement aux pianos classiques qui usent de traits rectilignes et de formes pleines, celui du designer offre un instrument semblable à une charpente de bois à l’asymétrie exaltée. L’influence de l’Art nouveau dans son œuvre est palpable.
S’il renoue avec l’architecture de ses débuts en redessinant le Glass Hall (Copenhague, 1946) alors en ruine après la Seconde Guerre mondiale, la contribution architecturale de Poul Henningsen reste mineure. A contrario, ses travaux sur le luminaire ont révolutionné l’éclairage du siècle passé. Fort d’un succès qui perdure, ses créations sont d’ailleurs toujours commercialisées par le même éditeur : Louis Poulsen…