Quand le design s’infiltre chez les maisons de mode

Si les maisons de mode ont toujours misé sur des décors d'envergure, aujourd'hui, les griffent parient sur des designers emblématiques pour meubler leurs boutiques. Décryptage.

Depuis toujours, les boutiques des grandes maisons de mode misent sur des décors d’exception. De l’escalier mythique de Chanel au 31 rue Cambon, à Paris, à la toile de Jouy de l’écrin Colifichets ouvert par Christian Dior en 1947, la décoration est un élément central dans la mise en place d’une expérience d’achat hors du commun, celle-ci ayant – presque – autant d’importance que ce que l’on vend. Aujourd’hui, les créateurs de vêtements créent des assiettes et du mobilier, les griffes font appel à de grands architectes pour concevoir leurs sièges et les marques infiltrent même la semaine du design milanaise. Dernière lubie ? Parier sur des pièces signées. Décryptage d’un phénomène qui dure et des liens qui unissent mode et design.


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S’inviter chez les créateurs

Habiter une maison qui ne vous ressemble pas, c’est un peu comme porter les vêtements d’un autre”, écrivait Monsieur Dior en son temps. Finalement, une boutique ne serait-elle pas pour un vêtement l’équivalent de nos logements, se devant de refléter l’identité de son occupant ?

La boutique Saint-Laurent sur les Champs-Élysées, à Paris.
La boutique Saint-Laurent sur les Champs-Élysées, à Paris.

En en passant les portes, la cliente doit s’immerger dans un autre univers, comme si elle pénétrait chez Messieurs Pierre Cardin, Saint-Laurent et Balmain. C’était d’ailleurs le cas lorsqu’en 1918, vous entriez au 31 de la rue Cambon, à Paris, où Gabrielle Chanel avait installé boutique, ateliers… et appartements. Quant à Christian Dior, il s’est entouré des décorateurs Victor Grandpierre et Christian Bérard, qui ont tapissé de toile de Jouy sa première boutique, Colifichets, inaugurée en 1947 au 30 avenue Montaigne et qui propose alors à la vente… des objets dédiés à l’art de vivre.

« La mode et le design sont deux univers très proches l’un de l’autre et on constate dans l’histoire du retail que l’inclusion du design dans les adresses des grandes maisons de mode est présente depuis longtemps, y compris dans les grands magasins, commente Nicolas Rebet, fondateur du cabinet de conseil RetailOscope et expert retail luxe et beauté. Déjà à la fin du XIXe, début du XXe siècle, l’artisanat tenait une place de choix dans les boutiques. Dans les grands magasins parisiens, à l’image de la Samaritaine, on faisait appel aux grands créateurs de l’époque pour imaginer des décors d’exception. La coupole du Printemps a été réalisée par des artistes, les vitraux des galeries Lafayette ont été confiés à René Lalique. Ce fil rouge persiste depuis ces années et est encore plus exacerbé aujourd’hui. » 

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Le design murmure à l’oreille de la mode

Lors de la dernière édition du Salone del Mobile de Milan, l’étroit rapport entre mode et design était évident. Les maisons de luxe ont multiplié les projets, s’imposant avec clarté dans le monde du mobilier et de la décoration. Cette relation ne s’est cependant pas arrêtée à la fin de l’événement. Si, en 2023, Bottega Veneta faisait appel au grand Gaetano Pesce pour mettre en scène son défilé, la griffe présentait cette année à Milan une réédition du célèbre tabouret Cabanon LC14 du Corbusier. Dans sa boutique parisienne de l’avenue Montaigne, cet amour du design et du mobilier se poursuit. Sur les murs, le bois de noyer et les briques de verre s’entremêlent, rappelant l’intreciatto, motif emblématique de la griffe. À cela s’ajoutent des pièces signées Mario Bellini dont les canapés s’affichent comme des pièces de résistance dans les salons d’essayage.

Même constat chez Gucci, qui dévoilant l’an dernier sa boutique de la Via Monte Napoleone entièrement revampée, meublée de pièces emblémtiques allant du canapé Bambole réalisé par Mario Bellini pour B&B Italia aux assises de Vico Magistretti pour Cassina. Fort de cet ancrage, l’adresse accueillait, à l’occasion de la dernière Design Week milanaise, une exposition  scénographiée par l’architecte Guillermo Santomà, mettant en lumière cinq pièces de design conçues par les grands maîtres italiens de la discipline. Quant à l’adresse flambant neuve de Saint Laurent, située sur les Champs-Elysées et pensée par son directeur artistique, Anthony Vaccarello, elle fait la part belle au design – une partie des pièces présentées sont d’ailleurs signées Donald Judd et Rudolph Schindler.

Le dénominateur commun de ces trois boutiques récemment (ré)ouvertes ? Le design est placé au premier plan, transformant ces espaces en galeries design.

Qui penserait qu’il s’agit d’une boutique de vêtements ? La boutique milanaise Gucci a récemment été redécorée afin de coller à l’image de son nouveau directeur artistique, Sabato De Sarno.
Qui penserait qu’il s’agit d’une boutique de vêtements ? La boutique milanaise Gucci a récemment été redécorée afin de coller à l’image de son nouveau directeur artistique, Sabato De Sarno.

« Ce phénomène qui lie mode et design est plus ou moins exacerbé selon les marques, et cela est toujours déterminé par la sensibilité de la personne à la tête de la création, continue Nicolas Rebet, fondateur du cabinet de conseil RetailOscope et expert retail luxe et beauté. Chez Saint Laurent, Bottega Veneta et Celine par exemple , les directeurs artistiques [respectivement Anthony Vaccarello, Hedi Slimane et Matthieu Blazy, NDLR] sont des touche-à-tout. La mode n’est pas leur unique champ d’action, ils ont donc eux-mêmes un lien étroit au design. De plus, il faut mentionner que l’inclusion du design dans un espace retail peut se faire naturellement : un canapé reste un canapé. Seul un œil avisé fera la différence, et c’est à cette clientèle connaisseuse que les marques veulent faire vivre une véritable expérience lors de leur visite dans leurs boutiques. Le design élève ces lieux, et permet à ces maisons de transcender le simple acte d’achat, de faire de leurs boutiques un univers où la culture et le bon goût sont omniprésents. »


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