Oui, un lampadaire peut choquer. Enfin, surtout si cet archétype du confort bourgeois a pour pied la réplique d’un AK-47, fusil d’assaut plus connu depuis qu’il a récupéré le nom de son designer, Mikhaïl Kalachnikov. Décédé à 94 ans en 2013, ce général de l’armée russe avait conçu une arme simple, compacte et pas chère à produire. Depuis 1947, date de son arrivée sur le marché (d’où son nom), elle a été utilisée dans nombre de conflits. Du coup, certains trouvent les lampes Gun choquantes car ils y voient un moyen brutal de faire parler de soi. En face, certains les défendent comme des créations arty.
Certes, le pied en moulage d’aluminium rutilant de Gun est recouvert de polymère doré brillant ou de chrome et son diffuseur en papier plastifié noir est joliment sérigraphié à l’intérieur. Quand bien même, il ne faut pas y voir un hommage à Kalachnikov. Gun a été conçue dans un esprit d’audace cher à son éditeur, Piero Gandini. Quand ce dernier dit à un designer : « Mais tu es fou, toi ! », c’est un compliment. Pour Starck, Gun est donc une vigie qui tente d’éclairer nos consciences. Elle rappellerait par sa seule présence dans nos intérieurs douillets ce sur quoi repose notre confort apaisé.
De même, elle pointe l’existence d’un monde à feu et à sang, bien éloigné de notre quotidien occidental (pourtant pas exempt de violence sociale…). L’argument ne convainc pas ceux qui pointent la leçon de morale culpabilisante. Pourtant, l’objet est raccord avec la façon dont Starck envisage le design. Comme quand il dédaigne le low cost en jetant : « Quand on voit le prix, on sait qui a payé. » Une façon de rappeler les 27 millions d’esclaves qui travaillent dans le monde à la production de produits bon marché. Le même Starck remarquait un jour avoir du mal à savoir d’où venait l’argent de certains de ses clients. Mais Starck se montre volontiers blagueur, donc on doute.
Quand il nous a parlé d’un pourcentage des ventes ou royalties de Gun qu’on pourrait reverser à un Mikhaïl Kalachnikov vivant dans le dénuement, c’était pour dire que cette plaisanterie a été prise au sérieux. On était censé parler d’une lampe, on a beaucoup parlé d’un homme. Jusqu’à quel point le designer s’implique-t-il dans un produit ? En l’état actuel de nos observations, il est permis de croire que Philippe Starck a voulu faire passer cette (bonne ?) conscience-là dans cette lampe. Ce qui a au moins l’avantage de provoquer le débat…
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