Le Vitra Design Museum raconte le dialogue captivant entre science-fiction et design

Mise en scène par Andrés Reisinger, l'exposition "Science Fiction Design : From Space Age to Metaverse" décrypte les liens qui unissent science-fiction et design.

Désireux d’établir des relations entre science-fiction (une fiction reposant sur des avancées scientifiques, réelles ou non, dans un futur hypothétique ou un passé fictif) et design, le Vitra Design Museum inaugure l’exposition « Science Fiction Design : From Space Age to Metaverse » (jusqu’au 11 mai 2025 au Vitra Schaudepot, sur le Vitra Campus de Bâle, en Suisse) qui retrace, à travers une centaine d’objets, livres, illustrations, mobilier ou encore archives de films issus de ses collections, leur histoire commune. Décryptage d’un dialogue fascinant.


À lire aussi : Ce que la science-fiction nous dit de Neom, le méga projet architectural saoudien


La science-fiction : reflet de l’état du monde

La science-fiction n’est pas un phénomène récent. Pensez, dans l’Antiquité grecque, au mythe d’Icare, mort noyé suite à une chute après avoir volé trop près du Soleil grâce aux ailes de cire et de plumes confectionnées par son père, l’architecte athénien Dédale. Scénographiée par Andrés Reisinger, l’exposition « Science Fiction Design : From Space Age to Metaverse » du Vitra Museum s’ouvre sur les publications qui ont marqué les débuts de la SF moderne, à savoir Frankenstein ou le Prométhée moderne, publié anonymement par Mary Shelley (1797-1851) le 1ᵉʳ janvier 1818, et les écrits de Jules Verne, dont De la Terre à la Lune (1865). Autant de romans de l’ère industrielle, inspirés par l’accélération des progrès technologiques. Puis, parenthèse cinématographique grâce au Voyage dans la Lune réalisé en 1902 par Georges Méliès (1861-1938), devenu, avec ses fusées et ses rêves de conquête spatiale, l’archétype du film de science-fiction.« 

Erich Kettelhut, illustration pour le film « Metropolis », 1925. © Deutsche Kinemathek –Museum für Film und Fernsehen, Erich Kettelhut Archive
Erich Kettelhut, illustration pour le film « Metropolis », 1925. © Deutsche Kinemathek –Museum für Film und Fernsehen, Erich Kettelhut Archive

Dès le tout début du cinéma de science-ficition, les grandes thématiques qui secouent l’humanité sont évoquées, commente Susanne Graner, commissaire de l’exposition visible jusqu’au 11 mai 2025 au Vitra Schaudepot, sur le Vitra Campus de Bâle, en Suisse. Le colonialisme, l’intelligence artificielle, la bonne utilisation de l’énergie nucléaire… Les œuvres s’interrogent sur l’état du monde et, dans l’entre-deux guerre, sur le vivre ensemble et l’avenir de l’habitat. » Ainsi, plusieurs réponses sont proposées. Métropolis (1927) de Fritz Lang (1890-1976), qui dépeint une société de classe oppressive sur fond de ville-fourmilière austère – en témoignent les illustrations préliminaire signées du décorateur et scénographe allemand Erich Kettelhut (1893-1979) de 1925. En parallèle, Richard Buckminster Fuller rêvait de la Maison Dymaxion, un habitat du futur censé pouvoir être plié et expédié dans un tube métallique, et pesant, meubles compris, seulement 2227 kilogrammes ! Déjà, dans les années 1920, cet architecte visionnaire réfléchit à de nouvelles manières d’habiter, sortant des conventions, proposant des solutions novatrices répondant à des problèmes concrets plutôt qu’à une envie d’expérimenter de nouvelles esthétiques.

Extrait du tournage de « Things To Come », 1936. © Vitra Design Museum Archive
Extrait du tournage de « Things To Come », 1936. © Vitra Design Museum Archive

Quant à The Things To Come, film britannique de1936 réalisé par William Cameron Menzies – et dont le scénario, écrit par H. G. Wells, est une adaptation de son roman The Shape of Things to Come de 1933 -, il n’est pas si éloigné des angoisses de l’époque : en 1940, une guerre sans fin signe la fin de la civilisation contemporaine, avant de renaître de ses cendres plus technocrate que jamais, dans une ville futuriste où le mobilier transparent est légion. L’année suivante, en 1937, l’atelier Jean Prouvé présente, pendant l’Exposition internationale de Paris, au sein du pavillon de l’Union des artistes modernes, un ensemble de mobilier de jardin imaginé par Jacques André, fabriqué en tôle d’acier perforée et pliée… et en plastique Rhodoïd.

Au Vitra Design Museum, les designers redessinent le monde

Une fois le conflit terminé, les deux superpuissances sorties vainqueurs s’affrontent sur le terrain de l’exploration spatiale. La réalité rattrape la fiction. Les satellites colonisent le ciel et le monde entier est scotché devant son poste de télévision la nuit du 20 juillet 1969, lorsque Neil Armstrong frôle le sol lunaire. Alors que les automobiles se parent d’ailerons façon avion a réaction, en Californie, des bâtiments soucoupes-volantes sortent de terre avant de conquérir le reste du continent.

Les architectes et designers redessinent le monde. Le couple Alison et Peter Smithson imagine, en 1956, pour la « Ideal Home Exhibition » du Daily Mail, ce que sera la maison idéale d’un couple sans enfant dans… 25 ans. Des acteurs évoluent dans ce logement entre architecture et décor, qui ne présente aucune fenêtre sur l’extérieur, les ouvertures donnant sur la cour intérieure située au centre. Les habitants sont coupés du monde : seul un système d’interphone permet de communiquer avec le monde du dehors. Appuyez sur un bouton : le lit et la table à manger disparaissent dans le sol. Parallèlement, en 1958, Jacques Tati (1907-1982) met en scène dans Mon Oncle un logement novateur doté de gadgets répondants aux besoins improbables de ses occupants, vision ironique de cette vie moderne à venir.

Notamment grâce à l’essor des matières plastiques et synthétiques, les créateurs se prêtent au jeu et laissent libre court à leur imagination, repoussant toutes les limites. Verner Panton abaissent les frontières entre verticalité et horizontalité, haut et bas, sol et mur, chaise et table, à travers son Fantasy Landscape créé en 1970, véritable cocon coloré aux formes organiques où l’on se love dans toutes les positions possibles, tel un fœtus dans le ventre de sa génitrice. Le Space Age atteint son apogée. Toujours en 1970, Joe Colombo (1930-1971), met au point son Living Center, un cube contenant tous les éléments nécessaires à la vie quotidienne, que l’on tire comme des tiroirs. « Ce système est doté d’une cuisine, d’un dressing, d’un endroit où dormir… énumère Susanne Graner. On sort ce dont on a besoin pendant que le reste reste rangé. Si cette idée nouvelle a été pensée pour la vie sur Terre, on imagine très bien ce module posé dans une station en orbite, sur la Lune ou encore un vaisseau spatial, où le gain de place est primordial. »

Verner Panton, « Fantasy Landscape », à l’exposition Visiona 2, Cologne, Germany, 1970. © Verner Panton Design AG, Basel
Verner Panton, « Fantasy Landscape », à l’exposition Visiona 2, Cologne, Germany, 1970. © Verner Panton Design AG, Basel

Un deuxième Space Age

Aujourd’hui, force est de constater que l’espace est de nouveau sur la table et dans les cœurs. Près de 100 millions d’abonnés rêvent de grandeur devant les clichés postés par la Nasa sur son compte Instagram. On suit de près la course à la Lune de notre époque, entre les USA et la Chine, et le combat de coq d’Elon Musk, Jeff Bezos et Richard Branson, on suit les bonds de la chanteuse Angèle, libérée de la gravité dans sa combinaison spatiale dans le clip Libre, sorti en 2022, on s’équipe en télescope, on s’adonne à l’astrotourisme, on jalouse les vacanciers sous scaphandre de l’artiste Julien Mauve, à l’heure où le tourisme spatial arrive sur le marché pour une poignée d’ultra-privilégiés.

Andrés Reisinger, « The Shipping, Deep Space, 2021 ». © Reisinger Studio
Andrés Reisinger, « The Shipping, Deep Space, 2021 ». © Reisinger Studio

Les designers lèvent les yeux au ciel, profitant – une fois encore – du développement de nouveaux outils pour donner vie à leurs idées. « Les technologies fantasmée par la science-fiction, la conception assistée par ordinateur et l’impression 3D, ont fait leur entrée dans nos réalités, pas seulement à l’échelle industrielle, mais également individuelle, continue la commissaire de l’exposition. Une nouvelle esthétique a alors émergée, car soudain, la création n’était plus liée à la fabrication d’un prototype. Les membres de Front ont mis au point une méthode permettant de matérialiser les croquis réalisés à main levée. Les coups de stylo donnés dans l’air sont enregistrés par Motion Capture et deviennent des fichiers numériques en 3D, qui sont ensuite matérialisés par Rapid Prototyping en véritables pièces de mobilier. Ce projet date de 2005, il y a presque 20 ans ! » D’autres créatifs, Andrés Reisinger en tête, imaginent du mobilier clairement inspiré du Space Age des sixties et destiné à décorer des habitations virtuelles sur le Métavers, le mettant en scène planté sur des paysages de contrées martiennes.

Vue de l’exposition « Science Fiction Design: From Space Age to Metaverse ». © Vitra Design Museum Photo: Mark Niedermann
Vue de l’exposition « Science Fiction Design: From Space Age to Metaverse ». © Vitra Design Museum Photo: Mark Niedermann

Dans les films de science-fiction aujourd’hui, l’heure n’est plus tant à la découverte pacifiste de planètes inconnues, dans une société post-capitaliste qui a éradiqué la pauvreté, les maladies et la guerre (Star Trek, série diffusée dès 1966). Au contraire, le futur s’envisage plutôt sur fond d’apocalypse et de corruption, de manque d’eau et de guerre nucléaire. Les réalisateurs ont tendance à laisser de côté les joyeux fauteuil tout rond d’Olivier Mourgue (2001, l’odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, 1968) et les intérieurs glossy au profit d’une architecture monumentale, imposante, anguleuse et spartiate, à l’instar des décors imaginés par Patrice Vermette pour l’adaptation de Dune de Denis Villeneuve (2021), tiré de la saga de Franck Herbert publiée en 1965 qui, inspiré – et fasciné – par les dunes de l’Oregon, a imaginé une planète recouverte par les sables où l’eau est extrêmement rare. À bon entendeur.

> Exposition « Science Fiction Design : From Space Age to Metaverse », du Vitra Design Museum, jusqu’au 11 mai 2025 au Vitra Schaudepot. Plus d’informations ici


À lire aussi : Voici la première capsule spatiale conçue par un designer