Portrait : Jean Prouvé raconté par sa fille Catherine

Fille cadette du designer et architecte français, Catherine Prouvé s’évertue depuis une quarantaine d’années à faire connaître et à sauvegarder le travail de son de père. Une carrière sur laquelle elle revient pour IDEAT.

De son enfance, Catherine Prouvé se souvient des visites de Joséphine Baker et du général américain Patton, dans la maison où elle a grandi à Nancy. Un foyer meublé par son père, Jean Prouvé, designer mais aussi ferronnier, architecte, homme d’industrie, artiste et chef d’entreprise – titre qu’il refusait en bloc.


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Jean Prouvé ou l’amour de l’acier

Le bureau Compas et la chaise Standard de Jean Prouvé réédités par Vitra.
Le bureau Compas et la chaise Standard de Jean Prouvé réédités par Vitra.

Né à Paris en 1901, au sein d’une famille d’artistes, d’une mère pianiste et d’un père peintre et sculpteur, Jean Prouvé refuse d’embrasser les arts et s’imagine plutôt ingénieur. Une voie qu’il ne peut suivre, la faute à un gros problème de santé. « À la fin de sa vie, je l’ai entendu plusieurs fois dire que s’il avait fait les études d’ingénieur qu’il souhaitait, il n’aurait jamais créé comme il l’a fait, il n’aurait jamais eu la liberté d’aller jusqu’au bout de sa créativité », raconte Catherine. Une fois la santé retrouvée, son père l’envoie faire son apprentissage d’orfèvre et de ferronnier chez Emile Robert à Enghien et Georges Szabo à Paris. «Un moment fort dans sa carrière, où il a appris à se saisir des outils et à travailler la matière.»

La matière en question ? L’acier, qu’il explore via le mobilier dès l’installation de son atelier à Nancy au début des années 1920. En 1929, aux côtés de Charlotte Perriand, Le Corbusier, Pierre Jeanneret ou encore Robert Mallet-Stevens, il fonde l’Union des artistes modernes, qui rejette l’ornement au profit de la fonction. Vient ensuite « Les Ateliers Jean Prouvé », d’où sortiront quelques classiques du maître, dont la chaise Standard au cadre métallique. Dans le même temps, il meuble les chambres de la cité universitaire de Nancy et imagine le fauteuil Cité au volume généreux, patins d’acier et accoudoirs habillés de cuir.

Un soucis du collectif

Le tabouret 307 de Jean Prouvé, réédité par Vitra.
Le tabouret 307 de Jean Prouvé, réédité par Vitra.

Parmi le large corpus de son père, Catherine ne sait choisir sa pièce favorite. Cependant, elle souligne son « souci des personnes en difficultés » et du collectif qui s’est traduit par la Maison du Peuple à Clichy (réalisée en collaboration avec les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods), dont la structure de verre et d’acier « a été conçue pour être mise à la disposition du plus grand nombre » avait marqué à l’époque.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il s’engage dans la Résistance : « Même si je n’étais qu’une enfant, je me rendais compte qu’il était très impliqué dans la Résistance, souligne sa fille. Il était très attentif et, à la maison, il allait se cacher au moindre bruit. Sans parler des nombreux Américains qui se rendaient chez nous. Une fois la Guerre terminée, il a été nommé maire de Nancy et c’est lui qui a accueilli De Gaulle à la Libération. »

Le fauteuil Kangourou, imaginé par Jean Prouvé en 1948 et réédité par Vitra en 2022, en collaboration avec sa fille Catherine.
Le fauteuil Kangourou, imaginé par Jean Prouvé en 1948 et réédité par Vitra en 2022, en collaboration avec sa fille Catherine.

L’acier se faisant rare en cette période troublée, le maître se voit obligé de se diversifier et, une fois le conflit terminé, il met son talent au service du pays à l’heure de la reconstruction. Près de 200 employés fabriquent, au sein des Ateliers Maxéville, en Lorraine, où il pose ses valises en 1947, des maisons et écoles préfabriquées ainsi que des meubles. Dès 1949, un département entier est dédié au mobilier. Parmi les pièces de cette nouvelle ère, on note le fauteuil Kangourou ou encore le tabouret 307 .

Dans cette fabrique, il conçoit La maison des jours meilleurs à la demande de l’Abbé Pierre. Le fondateur d’Emmaüs avait interpellé Prouvé pour venir en aide aux sans-abris. « Cette bâtisse a été montée sur les quais de la Seine, mais les gens n’en ont pas saisi le sens. Malheureusement l’ouvrage n’a pas reçu la reconnaissance qui lui était due et est restée à l’état de prototype », regrette sa fille.

Obligé de quitter ses Ateliers

Autre déconvenue pour Prouvé : dans les années 1950, il doit quitter son entreprise à la suite de désaccords avec ses actionnaires. Pendant une vingtaine d’années, il est à la tête d’un bureau à Paris en tant qu’architecte conseil indépendant. Titulaire d’une chaire de professeur au Conservatoire des Arts et Métiers (CNAM) jusqu’au début des années 1970, il préside également le jury du concours international en vue de la construction du Centre Pompidou à Paris pour lequel il défend le projet de Renzo Piano et Richard Rogers.

« À la fin de sa vie, il n’avait plus ses ateliers mais désirait se replonger dans le mobilier. Il avait trouvé un moyen de produire de nouveau des meubles, à très petite échelle », continue Catherine Prouvé. À sa mort, la cadette prend les rennes du patrimoine paternel : « J’ai étudié l’histoire de l’art et j’ai rapidement compris que les archives devaient être sauvées. J’ai alors démissionné pour protéger le travail de mon père. » Dix ans plus tard, le Centre Pompidou, dont la silhouette singulière a été défendue par Prouvé, accueille les précieuses archives.

La chaise Standard de Jean Prouvé rééditée par Vitra.
La chaise Standard de Jean Prouvé rééditée par Vitra.

Une carrière aussi mise en lumière par la maison d’édition Vitra, qui depuis 2002, rediffuse son œuvre, et dont le musée possède la plus grande collection de pièces signées Jean Prouvé. « J’ai trouvé chez Vitra une grande honnêteté proche de celle de mon père, pleine de pudeur et de simplicité. » Une complicité de choix pour celle qui préserve depuis près de 40 ans le travail de cet architecte « au service de l’humain ».


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