Loin de rechercher le « coup », ces architectes ont misé sur une relation au long cours avec des groupes hôteliers et de restaurations. Cette approche, basée sur la duplication, mais jamais sur la répétition, constitue pour les parties prenantes à la fois un gage de complicité et de cohérence.
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DOD Architecte et Tripletta
Il y a un peu plus de dix ans, David Olivier Descombes, de DOD Architecte, sympathisait avec Valentin Bauer, le gérant du restaurant Chez Justine, à Paris, dont il avait dessiné la cantine. Lorsqu’en 2013 ce dernier et son associé ont souhaité créer les Triplettes de Belleville, c’est donc vers l’architecte qu’ils se sont tournés pour concevoir le projet. « Puis, ç’a été, sur le même boulevard de Belleville (XXe), au tour d’une pizzeria, qu’ils ont naturellement nommée Tripletta, et l’aventure napolitaine a démarré ! » raconte David Olivier Descombes. Pourquoi multiplier le modèle ? « En vertu de la propre énergie de mes clients et de leur envie de développement tout d’abord, poursuit-il. Par besoin, ensuite, de créer un décor rapidement identifiable à une marque et non à une série d’adresses. »
Résultat, depuis 2013, sept Tripletta ont vu le jour et une dizaine sont d’ores et déjà au menu avec trois ouvertures prévues entre l’automne 2023 et le printemps 2024, entre le Grand Paris, le Nord et la région Rhône-Alpes. « Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus libre de réinterpréter ce qui fait l’identité de ces établissements, explique l’architecte. Le maître mot est désormais de conserver l’esprit Tripletta sans pour autant s’enfermer dans un look ! » Ce qui fait la différence ? « La géométrie du lieu investi et l’histoire de la ville ou du quartier qui accueille l’adresse ont une place toute particulière dans mon approche de la conception de ces restaurants. » O.W.
Friedmann & Versace et Gruppomimo
Pour sa première adresse, inaugurée en 2021 dans le XVIIe arrondissement parisien, Gruppomimo, groupe à l’origine d’une chaîne de restaurants italiens, avait orchestré la décoration de l’espace en interne, mais pour ses trois nouvelles salles – à Asnières-sur-Seine et Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), et rue Montmartre, à Paris (IIe) –, il a fait appel à l’agence de Virginie Friedmann et Delphine Versace.
« On les a rencontrés avant le confinement, confirment les deux architectes d’intérieur. L’idée de Gruppomimo était de lancer un concept de restaurant italien un peu à part, en mettant l’accent sur un côté festif, accueillant et surréaliste. Et, en second lieu, de créer une sorte de communauté. Le fil conducteur fut d’œuvrer autour de Mimo, un personnage fictif, sorte d’esthète ou de dandy sensible aux bonnes et aux belles choses, et qui aime recevoir. Le travail fut intensif et s’échelonna sur deux ans. Pour la salle de la rue Montmartre, notre troisième collaboration, nous nous sommes exprimées de manière plus libre, la confiance s’étant instaurée. »
Résultat de cette entente, une décoration contemporaine et joyeuse où tout a été dessiné sur mesure, à base de lignes épurées et graphiques, et de belles matières : sol en marbre, plafond laqué, assises habillées de velours, de cuivre, de cuir gainé, de luminaires en verre de Murano… et déclinées dans des couleurs poudrées. Une tonalité artistique qui s’inscrit dans la lignée des prochains projets, l’Hôtel La Pérouse, à Nice, qui sera livré début juin, et le restaurant MoSuke, dans le XIVe arrondissement parisien. S.G.
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Humbert & Poyet et Beefbar
Depuis le premier Beefbar, réalisé à Monaco en 2008, le concept a été décliné avec la même passion. Si bien que la chaîne de restaurants lancée par Giraudi, un groupe œuvrant dans l’alimentaire, a fêté cette année son quinzième anniversaire.
« C’est à chaque fois une création unique, expliquent Christophe Poyet et Emil Humbert. Chaque lieu est différent, et, pour chacun d’eux, nous nous inspirons du site où il sera situé. Il s’agit de réinventer la marque et non de la dupliquer, afin de concevoir un espace adapté à la culture de la région ou du pays où se trouve le restaurant. Chaque développement est accompagné d’un cahier des charges précis. Le fil rouge réside dans l’expérience, le design, la théâtralité, la défense des métiers d’art et des savoir-faire d’exception. Ainsi que dans une confiance qui s’est créée tout au long de ces années. »
Inauguré au début du printemps 2023, le Beefbar milanais est situé dans un ancien séminaire archiépiscopal, au cœur de la ville. Sa décoration fait rimer sol en terrazzo, boiseries en noyer foncé, tables en marbre verde alpi, suspensions Asterios en bronze et verre dépoli d’Humbert & Poyet, appliques d’Ignazio Gardella, chaises de Vico Magistretti… L’enseigne possède aussi un disco-bar adjacent, le Rumore, dont l’ouverture approche.
Après les Beefbars de Riyad, en Arabie saoudite, et de Doha, au Qatar, tout dernièrement réalisés, celui de New York, à TriBeCa, sera livré en fin d’année. Dans les projets de l’agence figurent également la péniche Coquelicot, suite de luxe voguant sur les canaux de la Champagne (commande du groupe hôtelier Belmont), ainsi que des programmes résidentiels à Monaco, à Roquebrune-Cap-Martin et à New York… S.G.
Dorothée Meilichzon et l’Experimental Group
Un hôtel Art déco à Biarritz, un établissement néocolonial à Ibiza et un manoir dans la campagne anglaise. L’été 2023 consacre l’apothéose de la collaboration entre l’architecte d’intérieur Dorothée Meilichzon et le groupe hôtelier indépendant Experimental Group avec l’ouverture de trois hôtels. Un dialogue fructueux entamé il y a quatorze ans, sans cesse renouvelé dans les différentes adresses qu’elle a aménagées pour cette équipe d’entrepreneurs quadragénaires. Une complicité qui tient sur un équilibre subtil entre culture commune et volonté de mettre en scène une histoire distincte pour chaque projet – en racontant le lieu et sa biographie – tout en l’installant dans notre époque.
« Pour cela, nous effectuons de multiples recherches historiques, nous regardons des films pour développer à chaque fois un récit juste et contextuel à travers des univers très variés. Nous avons un parcours qui nous a permis de construire ensemble notre aventure », confie Dorothée Meilichzon, qui vit en couple avec l’un des associés.
« Nous avons grandi en même temps et avons découvert et analysé de nombreux lieux. Nous avons donc en tête une série de petits éléments qui reviennent systématiquement. Nous partageons aussi une vision élargie de ce qu’est selon nous l’accueil hôtelier : une idée du service, du confort, de la bienveillance, que les hôtes doivent trouver en toutes circonstances chez nous. Ensuite, en deuxième lecture, nos clients peuvent se pénétrer d’une culture, d’une histoire en filigrane, que nous déroulons. Mais nous veillons à éviter le premier degré. Nous apportons toujours notre propre regard avec un mantra : ne jamais être ringards ! » M.G.
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Studio MHNA et le Club Med
C’est en 2004 que Marc Hertrich et Nicolas Adnet, du Studio MHNA, entament une collaboration avec le Club Med, quelques mois avant qu’Henri Giscard d’Estaing en soit nommé P-DG. Le projet ? Lancer La Plantation d’Albion, sur l’île Maurice, le premier village 5 Tridents du monde. La proposition des architectes est retenue par le comité et son président qui déclarent : « Ils sont fous, mais on y va avec eux. » Suivront Agadir, au Maroc, Cancún et Ixtapa, au Mexique, Bali, en Indonésie, Phuket, en Thaïlande, Marbella, en Espagne, Valmorel, l’Alpe-d’Huez ou encore Val-d’Isère (lire p. 228), en France. Les rénovations du groupe hôtelier de Palmiye, en Turquie, et de celui des îles Turks et Caïcos, dans les Caraïbes, sont en cours.
« Nous avons développé une relation de fidélité et d’échanges absolument magnifique avec l’équipe, indique Marc Hertrich. Nous nous connaissons parfaitement, ce qui permet de travailler en toute confiance, mais le challenge demeure permanent : il faut rester en éveil, toujours sortir des sentiers battus, ne pas se répéter. Nous possédons sur le bout des doigts les codes de la marque, qui évoluent d’année en année. Le Club Med ne s’endort jamais. Nos propositions doivent donc répondre à tout cela tout en créant étonnement et surprise. »
Pour chaque programme, les architectes se laissent guider par le concept, qui découle de la destination et de la spécificité du contexte. « De là, nous écrivons l’histoire du projet, avec des éléments-clés qui vont en faire l’originalité, poursuit Marc Hertrich. Il s’agit de la localisation, de la géographie, de l’aspect historique, des contes et légendes qui s’y rattachent ou d’autres anecdotes. » O.W.
Émilie Bonaventure et Rose Bakery
Fréquenter les restaurants peut mener à bien des surprises… Comme celle de devenir l’architecte d’intérieur qui réalisera les établissements français d’une même enseigne. C’est ce qui est arrivé à Émilie Bonaventure avec Rose Bakery. « J’en étais cliente lorsque j’ai rencontré Jean-Charles Carrarini, qui a créé le concept avec son épouse Rose, raconte-t-elle. J’ai eu l’opportunité de les accompagner en diverses occasions : le restaurant de la rue des Martyrs, à Paris (IXe), avec le take away (« à emporter ») et l’épicerie, mais aussi les cafés et salons de thé du Bon Marché, du musée de la Vie romantique, de la Bibliothèque nationale de France sur le site Richelieu, du musée du Jeu de paume et de la Maison de Balzac. »
Le brief pour ces établissements ? « Jean-Charles Carrarini s’intéresse à l’architecture et au design et en retire une grande culture, poursuit Émilie Bonaventure. Nous construisons ensemble les projets. Il existe une forme de figure imposée et une exigence de laisser l’assiette s’exprimer en premier, de même que l’expérience volontairement brutaliste du lieu. Cela induit un décor en retenue qui me convient et que j’accepte parfaitement. »
Chaque adresse valorise les produits frais et sains, plonge le visiteur dans le temps de la préparation, comme s’il était convié en cuisine. L’ambiance brute, entre esprit scandinave et asiatique, basée sur une teinte souvent verte et sur la prédominance du bois, met l’emphase sur cette naturalité. Jamais dans la répétition, chaque lieu, s’il paraît simple, s’efface presque pour mieux exposer la véritable vedette : la saine cuisine de Rose. O.W.
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