C’est une ville qui fait beaucoup parler d’elle, caracolant en haut du classement des métropoles les plus agréables à vivre au monde. Entre les Rocheuses et l’océan Pacifique, Vancouver profite en effet d’une situation géographique exceptionnelle. Visite.
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Implantée en Colombie-Britannique, dans le sud-ouest du Canada, elle compte environ 670 000 habitants – 2,3 millions pour le district régional du Grand Vancouver – qui goûtent aux plaisirs de la mer, des plages, des parcs naturels, mais également de la montagne : la première station de ski est accessible en 30 minutes depuis le centre-ville. Un cadre de vie qui attire chaque année un peu plus de candidats à l’immigration.
Ces derniers contribuent largement à façonner l’identité singulière et cosmopolite de la huitième ville canadienne, troisième si l’on considère l’aire métropolitaine. Vancouver bénéficie en outre d’un des climats les plus tempérés du Canada. La neige est rare, de même qu’il y fait rarement froid.
Forte de ses atouts géographiques naturels, la métropole s’est logiquement engagée face à la crise environnementale, ambitionnant de devenir l’agglomération la plus verte du monde en 2020.
Très volontariste en la matière, l’ancien maire, Gregor Robertson, néo-démocrate élu en 2008, avait lancé un « Greenest City Action Plan » décliné en dix volets très offensifs, destinés à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. En 2023, si elle figure parmi les très bons élèves, Vancouver est toujours devancée par Copenhague ou Amsterdam.
C’est désormais Ken Sim et son parti ABC (A Better City) qui dirigent la ville. Premier maire d’origine chinoise de Vancouver, où la communauté asiatique est très importante, il a été élu en 2022 en promettant de renforcer la sécurité publique et l’accès au logement.
Concilier nature et densité
La ville a fait le pari d’un cadre de vie en osmose avec la végétation, entre mer et montagne, sans pour autant sacrifier son développement urbain. On y circule à vélo au milieu des gratte-ciel ou le long de l’océan. La nature y est très facilement accessible et l’économie locale, florissante. La population croît et les prix de l’immobilier atteignent des sommets. Idem côté tourisme avec un nombre de visiteurs qui ne cesse d’augmenter.
Rançon du succès, Vancouver attire et est devenue l’une des villes les plus chères du monde. Les loyers y sont exorbitants, la crise du logement la touchant de plein fouet alors que dans le Grand Vancouver (aussi appelé Metro Vancouver) sont attendus 60 000 nouveaux habitants par an…
Rappelons que le gouvernement fédéral a une politique d’immigration ouverte : le Canada prévoit d’accueillir 1,5 million d’immigrants entre 2023 et 2025. Résoudre le problème du logement abordable est l’un des grands défis de la ville canadienne. En 2022, cette dernière a adopté « The Vancouver Plan » pour endiguer cette crise. Objectif, faciliter les obtentions de permis de construire et déployer une offre qui s’adresse à tous.
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Vancouverism, une spécificité observée
Au milieu de ces paysages naturels remarquables, Vancouver n’en demeure pas moins une métropole aux attributs du XXIe siècle, au premier rang desquels figure son architecture. En raison des limites imposées par sa géographie, le centre-ville voit se raréfier le nombre de terrains à investir. C’est donc en hauteur qu’elle se développe.
Dans les années 60 et 70, l’érection de tours a façonné l’image de la ville. Les gratte-ciel de verre y ont poussé comme des champignons, faisant d’elle la plus dense des agglomérations canadiennes.
Néanmoins, cette profusion de constructions est strictement encadrée, afin de préserver la nature, comme celle du parc Stanley qui s’épanouit en plein cœur de la ville sur 405 hectares. À titre de comparaison, Central Park, à Manhattan, s’étend sur 341 hectares.
L’une des villes les plus dynamiques et créatives d’Amérique du Nord s’est ainsi imposée comme un modèle. En 2009, le Centre culturel canadien présentait à Paris l’exposition « Vancouverism : l’architecture et l’urbanisme de la côte Ouest ».
Conçue par Trevor Boddy, curateur et critique d’architecture, elle fut l’occasion de formuler ce fameux concept, sous forme de néologisme désignant cette transformation singulière. Ou comment marier habitations à haute densité en centre-ville, services publics de qualité, engagement envers le développement durable, espaces verts en nombre et architecture unique.
Telle une recette magique, le « vancouverism » est ainsi devenu un modèle urbain avant-gardiste, envié et copié aux États-Unis ou au Moyen-Orient. Dans les années 90, la municipalité accélère la mue de son centre-ville où trônent déjà quelques tours. L’Amérique du Nord s’interroge alors sur la crise environnementale et la nécessité de limiter l’étalement.
Par sa géographie, Vancouver n’a, en tout état de cause, d’autre choix que celui de la densification. Les vannes s’ouvrent donc au bénéfice des promoteurs immobiliers et de la grande hauteur au travers de projets désormais résidentiels en lieu et place de terrains autrefois dévolus aux bureaux.
De nouvelles règles sont mises en place pour encadrer les constructions. Le débat public comme la négociation sont institués bien que la municipalité ait toujours le dernier mot.
Représentative de l’urbanisme de Vancouver, la « tour-podium » est la typologie emblématique de la métamorphose. Elle consiste à conserver au sol, au niveau des piétons, l’échelle d’un îlot traditionnel sur quelques niveaux. Fine, pour utiliser au maximum les droits à construire et optimiser les fameuses vues, la tour peut ensuite s’élancer sur de grandes hauteurs sans sacrifier la vie citadine.
Le « vancouverism » est souvent présenté comme la conjonction de New York et de Hongkong, à savoir l’hybridation sur un territoire exigu cerné d’espaces naturels à préserver d’une aménité (un agrément) publique et chaleureuse avec une hauteur décomplexée. En d’autres termes, la rue continue d’offrir une diversité de fonctions et d’usages tout en permettant à la densité de s’exprimer.
Préserver les vues
Pour protéger son meilleur atout – la qualité de son environnement naturel –, la ville s’est dotée d’un arsenal de règles qui encadrent la construction. À commencer par celle des « view cones », ou comment sanctuariser coûte que coûte les cadrages sur l’océan et sur les montagnes tout en favorisant la densification du centre-ville.
Il ne s’agit pas seulement de préserver les vues, mais également la symbolique qu’elles portent dans une commune qui s’est fixé des objectifs très élevés en matière de développement durable.
Ces couloirs de vue donnent le tempo avec lequel les architectes doivent jongler. Maxime-Alexis Frappier (ACDF Architecture) en a récemment fait les frais. Pour la tour Grosvenor Pacific qu’il a réalisée, il a dû rogner la volumétrie en conséquence puisqu’elle dépassait de 25 cm.
Ainsi 27 axes définissent et quadrillent le territoire pour maintenir ces lignes de fuite. Aucune possibilité d’y déroger. Ces cônes de vue et cette façon singulière de fabriquer la ville ont fait école. De même que le principe du donnant-donnant a fait ses preuves. Si un promoteur souhaite construire au-delà de la hauteur fixée par les règles d’urbanisme, place à la négociation !
Il lui faudra, en compensation, prévoir des logements sociaux, un espace public ou une école. Entre les architectes et la ville de Vancouver s’est établie une relation de confiance, la profession jouissant d’un profond respect dans la métropole canadienne. Les décisions, même négatives, se prennent devant eux, en toute transparence.
Si les lois sont strictes, les processus d’approbation sont ouverts à la discussion. Chaque projet est ainsi ausculté à trois échelles : celle de la ville et la façon dont il s’inscrit dans la skyline ; celle de son environnement immédiat et ses relations de voisinage ; enfin, celle du piéton ou comment le bâtiment engage le dialogue avec les passants sans se montrer intimidant.
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Nouvelles icônes
Face à cette effervescence constructrice, les grandes signatures veulent en être. Les « starchitectes » traversent l’Atlantique et se retrouvent dans la métropole canadienne, et les tours, essentiellement à usage d’habitation, prolifèrent.
Néanmoins, Vancouver entend préserver son identité. Car il lui est souvent reproché d’avoir perdu son âme dans la multiplication des gratte-ciel génériques, identiques à ceux que l’on trouve partout sur la planète.
Aussi les architectes sont-ils invités à penser spécifique versus générique et à prendre en compte cette relation marquée entre ville et nature. Les agences locales ne sont pas en reste, mais force est de constater que les grands noms se pressent pour laisser leur empreinte à Vancouver et revisiter le modèle de la « tour-podium » qui, sur les premiers niveaux, anime la rue et l’espace public afin que jamais l’édifice ne soit un objet posé, sourd à son environnement.
En 2020, le Danois Bjarke Ingels a livré la Vancouver House dont la volumétrie particulière est née de la complexité du site sur lequel l’opération s’élève. Culminant à 149 mètres, le complexe se compose de quatre bâtiments, dont une tour qui semble défier les lois de la gravité.
La partie inférieure de cette dernière se distingue par sa finesse et s’épaissit à mesure de l’ascension, doublant la surface au sol dans les niveaux supérieurs. Les difficultés inhérentes au site, notamment en matière de retrait, ont stimulé l’inventivité de l’architecte danois qui a paré sa tour d’acier inoxydable et de verre.
Parmi les dernières inaugurations médiatiques à Vancouver figure Alberni, par Kengo Kuma, une architecture de 43 étages achevée en 2023 dont la forme twistée ne laisse personne indifférent, de même que sa peau constituée de panneaux de verre et d’aluminium, mais aussi ses longs balcons dotés de détails en bois qui dénotent.
L’homme de l’art l’assume : il souhaitait rompre avec l’omniprésence du verre et l’uniformité des tours qui tutoient les cieux de Vancouver, sans trahir son identité.
Et demain ?
D’autres tours sont également en train de voir le jour. Thomas Heatherwick en a imaginé deux, jumelles (30 et 39 mètres de hauteur), tout en rondeurs, offrant de généreuses terrasses végétalisées. Pas moins de 387 appartements repensés à l’ère post-Covid-19 afin de concilier télétravail et lieu de vie.
À West End, Ole Scheeren va construire Fifteen Fifteen, qui réintroduit une certaine horizontalité dans les 42 étages (190 logements) et invente « la vie en trois dimensions » : des volumes vitrés comme des excroissances en porte-à-faux prolongent ainsi les espaces intérieurs. Sujets au vertige s’abstenir ! Au-delà de la dimension plastique du concept, l’architecte allemand a cherché dans son dessin à connecter les habitants entre eux et avec leur environnement.
Exit la tour glaciale, ses façades lisses et la superposition des appartements ! Place à un mode de vie interactif qui permet de disposer de toutes les vues et de mêler les niveaux à la manière d’un village vertical. Quant à Shigeru Ban, il a dévoilé les images de Terrace House, annoncée comme la plus grande tour à structure hybride, en bois, en béton et en acier, jamais construite au monde (71 mètres).
Haut de 19 étages, situé dans le quartier de Coal Harbour, le bâtiment s’adosse à un édifice mythique de Vancouver : l’Evergreen Building (1978), d’Arthur C. Erickson, dont la façade étagée dessinant des zigzags a fait de lui un repère dans la ville.
Avec ses vastes terrasses paysagères en partie inférieure et sa figure élancée dans les hauteurs, Terrace House lui rend hommage, reprenant une typologie emblématique de l’architecture vancouveroise. Abritant seulement 20 appartements, il convoque une échelle et un mode constructeur peu habituels en Amérique du Nord.
Premier bâtiment de l’architecte japonais au Canada, mais aussi le plus important de sa production, ce projet est bien plus qu’une icône supplémentaire dans cette impressionnante collection. Il est un signal fort, illustrant l’engagement de Vancouver en faveur d’une conception durable et avant-gardiste ainsi que son orientation future vers l’ingénierie et la construction en bois. Objectif ? Détrôner ses concurrentes pour réaliser un vieux rêve : devenir, enfin, la ville la plus verte du monde.
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