Quand Erwin Olaf nous faisait visiter son appartement à Amsterdam

On l’imaginait vivre dans une maison confinée, aux pièces étroites et aux couleurs sourdes, la lumière extérieure filtrée par de lourds rideaux pourpres... Une atmosphère chargée d’histoire(s), aussi étrange que sophistiquée, un peu comme celle de l’hôtel Amrâth qu’il nous a conseillé́ pour notre séjour. En réalité, le domicile d’Erwin Olaf n’a rien à voir avec ses photographies... Car sa maison est aussi lumineuse que le personnage est solaire. 

Cet article est issu du numéro 115 d’IDEAT paru en 2015, qui mettait à l’honneur le photographe Erwin Olaf. Pour lui rendre un dernier hommage, après sa disparition le 20 septembre dernier, nous republions les contenus de ce dossier spécial. 

C’est une petite maison de briques rouges au bord d’un étroit canal, comme il y en a des centaines à Amsterdam. Si ce n’est qu’il s’agit d’un des quartiers parmi les plus prisés de la capitale car il est à la fois central, calme… et pour tout dire vraiment charmant. On sonne à une très belle porte noire arrondie et cernée de blanc, surmontée de larges fenêtres sur trois étages.


A LIRE AUSSI : Disparition d’Erwin Olaf : un photographe engagé, singulier et provoquant


Avant de pénétrer dans l’appartement d’Erwin Olaf, il faut grimper deux escaliers étroits dont les murs sont par endroits ornés d’un très beau placage de bois et d’un tirage issu de la magnifique série « Grief ». À l’entrée, un tigre de porcelaine monte la garde. Après une volée de marches et un porte-manteau, on débarque d’emblée dans la cuisine ouverte sur une large table de bois entourée de chaises blanches en bois également et d’une longue banquette recouverte d’un tissu printanier vintage.

L’appartement de campagne d’Erwin Olaf

« Dans les maisons de campagne, on entre toujours par la cuisine et j’ai voulu reproduire cette disposition ici parce que c’est très convivial », commente Erwin qui nous accueille en préparant un café. La luminosité étonne car le ciel d’Amsterdam est gorgé de pluie. La cuisine s’ouvre sur un grand salon-salle à manger traversant avec, sur la gauche, de hautes et larges fenêtres donnant sur la rue et, sur la droite, un balcon surchargé de plantes en pots d’où l’on aperçoit les environs, et notamment le clocher d’une église dominant les toits luisants.

 

La pièce est d’autant plus lumineuse qu’elle bénéficie d’une hauteur de duplex percée de larges Velux. L’autre partie de la pièce est aménagée d’une petite mezzanine à laquelle on accède par un escalier en colimaçon dont la dynamique aérienne contribue à l’atmosphère de légèreté. Sur le toit, se trouve une jolie terrasse dont on devine qu’aux beaux jours elle offre les bienfaits d’un jardin. Ce besoin d’air et de clarté, cette atmosphère saine et pas ostensiblement masculine, cette circulation facile dans l’espace traduisent un aspect insoupçonnable de la personnalité de l’artiste à la seule vue de son travail. Son œuvre ne semble soudain exprimer que le côté sombre de cet homme qui dit lui-même qu’il sourit peu mais rit souvent.

Une lumière traversante et zénithale

Aux murs, quasiment aucune œuvre signée Olaf à part celle accrochée au-dessus du canapé (Keyhole 12, 2013) mais nombreuses sont celles de ses pairs, notamment néerlandais comme Max Natkiel qui photographia le mouvement punk dans les années 80 ou Erwin Venema, un ancien stagiaire. Les photos en présence sont de grands clichés pour la plupart, à part trois petits Polaroïds d’Araki. On remarque aussi une petite sculpture de Jeff Koons. Ils se marient à quantité d’objets accumulés par affinité de couleur, de matériau ou de provenance. Erwin pratique beaucoup le troc de ses photographies. Ce joli vase bleu ? Un échange avec Boris Sipek. Ce tapis coloré ? Un échange avec Richard Hutten… Quelques objets de l’éditeur Moooi bien sûr, signés de son compatriote Marcel Wanders ou d’un des designers qu’il a pris sous son aile comme Nika Zupanc et sa lampe Lolita, un prototype dont l’abat-jour est doré à l’intérieur. Et puis des achats de photos d’artistes découverts lors de foires, comme Paris Photo ou Unseen à Amsterdam.

Les objets ou les images ne sont pas choisis ici pour leur valeur pécuniaire. On perçoit facilement l’émotion qu’ils ont pu provoquer sans connaître forcément leur histoire. Erwin n’est pas un fan de déco et son confort est simple. À l’opposé de l’atmosphère souvent étouffante de ses images, la maison respire et malgré la fraîcheur, Erwin aime laisser les fenêtres ouvertes. Respirer librement un air sans cesse renouvelé est, du fait de sa maladie pulmonaire, une priorité. Les murs uniformément blancs, la facilité de circulation entre les espaces ouverts, la lumière à la fois traversante et zénithale… tout confère aux espaces une atmosphère saine, aérée.


A LIRE AUSSI : Erwin Olaf : « Seul le temps pourra décider si mes photos sont de l’art »


Son goût pour les années 50 se retrouve dans le choix des chaises qui entourent la table de la salle à manger (vintage 40-50) ou la Lounge chair des Eames. La sophistication théâtrale propre à ses mises en scène artistiques est loin… Néanmoins, à travers quelques objets à la fois étranges et précieux dans leur facture (des bibelots de porcelaine notamment et, à Noël, un sapin surchargé de décorations traditionnelles « obligatoirement » en verre), la sensibilité d’Erwin mêlée à son « héritage » hollandais transparaît. L’artiste au regard magnétique livre son intérieur avec simplicité, sans surinvestir le pourquoi de ses choix domestiques. Sa véritable intimité est à lire dans son œuvre.