La place du design au cinéma en 12 pièces cultes

Au cinéma, le design n'est pas qu'un accessoire. Au contraire, il est un personnage central de nombreux films cultes. La preuve.

De nombreux films sont remarquables par leur « design-appeal ». Pour preuve, lorsqu’on évoque un long-métrage, on pense non seulement aux dialogues et aux plans de caméra, mais aussi aux éléments de décor. Passage en revue de pièces de design iconiques qui ont marqué le cinéma … et notre mémoire collective.


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12. Le canapé design de Mme Arpel de Jacques Tati

Le canapé vert de Mme Arpel vu dans le film « Mon Oncle » de Jacques Tati.
Le canapé vert de Mme Arpel vu dans le film « Mon Oncle » de Jacques Tati. Droits réservés Domeau & Pérès

Chez les Arpel, l’architecture et le mobilier contemporains – devenus iconiques – tranchent avec cette famille très conventionnelle. Le frère de madame, née Hulot, est le grain de sable qui vient tout perturber. Même avec un chef décorateur à ses côtés, le fidèle Henri Schmitt, Jacques Tati a tenu à concevoir le mobilier. Lequel oscille entre design sculptural et absence de confort, soulignant comiquement le statut de prisonniers des apparences des propriétaires.

Le canapé de Mme Arpel est pourtant passé de l’écran au catalogue de l’éditeur Domeau & Pérès, produit en huit exemplaires. Composé de bois, de mousse, de métal et de drap de laine, le siège est aujourd’hui une pièce de « collectible design », terme que Jacques Tati aurait peut-être brocardé. Mais c’est bien lui qui, même pour s’en moquer, a donné au design du mobilier de son film un style architectural… inoubliable. 


11. Le fauteuil Big Mushroom de Pierre Paulin

Le fauteuil Big Mushroom vu dans le film « Oscar » d’Édouard Molinaro.
Le fauteuil Big Mushroom vu dans le film « Oscar » d’Édouard Molinaro. DR

Le sculptural fauteuil F562 (dit Big Mushroom), du designer Pierre Paulin, pour Artifort, est, avec son ottoman, le support d’une scène d’anthologie dans Oscar. Assis dessus, Barnier, l’industriel survolté joué par Louis de Funès, s’accroche avec force grimaces à sa mallette pleine d’argent. Ce paterfamilias vit entouré d’une foule d’icônes design.

Sa maison, conçue par le décorateur de cinéma Georges Wakhévitch, fourmille de pièces cultes, dont le fameux fauteuil Big Mushroom de Pierre Paulin. Un choix de mobilier qui annonce les années Pompidou. Quant aux scènes de jardin, elles ont été tournées à la villa Stein, à Vaucresson (92), un lieu signé Le Corbusier… En fait, le théâtre de boulevard, dont le film est l’adaptation de l’une des pièces, s’est toujours joué dans des décors de son temps. Un exemple incontournable de mariage entre design et cinéma ! 


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10. Le lampadaire Arco dessiné d’Achille et Pier Giacomo

Le lampadaire Arco vu dans le film « On ne vit que deux fois » de Lewis Gilbert.
Le lampadaire Arco vu dans le film « On ne vit que deux fois » de Lewis Gilbert. DR

Hormis les habituels gadgets, ce sont aussi les décors, voire le mobilier, qui distinguent l’univers visuel des films de la série des James Bond. Les méchants du calibre d’Ernst Stavro Blofeld (Donald Pleasence) se cachent toujours dans des repaires ahurissants de modernité. Dans cet opus, il est signé du grand Ken Adam.

La moquette épaisse et les bibelots rares indiquent que l’on a affaire à un personnage qui a amassé des richesses dans le but de menacer l’humanité. Autour du bureau directorial de Blofeld, sa puissance est patente. Là où design addicts aisés placent un lampadaire Arco dans leur salon, Blofeld, lui, en met deux, comme on aurait fait avec deux vases. 


9. La chauffeuse Djinn d’Olivier Mourgue

Publicité pour la chauffeuse Djinn vue dans le film « 2001 : L’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick.
Publicité pour la chauffeuse Djinn vue dans le film « 2001 : L’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick. Ligne Roset

En 1964, le jeune Olivier Mourgue dessine la série de sièges Djinn. L’heure est aux Beatles, période pop art. La publicité est alors un excellent médium pour faire connaître un produit. Celui qui sera édité par le français Airborne va vite devenir célèbre au-delà de l’Hexagone. Meubler l’univers futuriste du film 2001 : L’Odyssée de l’espace va faire de l’assise Djinn une icône.

Au début des sixties, le président Kennedy promet le premier pas de l’Homme sur la Lune à ses électeurs que les Terriens ne découvriront seulement neuf ans plus tard à la télévision. Mais, cette année-là, Olivier Mourgue a, lui, médiatiquement embarqué pour la notoriété. 


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8. La radio Cubo TS 502 de Marco Zanuso et Richard Sapper

La radio cubo TS 502 vue dans le film « La Piscine » de Jacques Deray.
La radio cubo TS 502 vue dans le film « La Piscine » de Jacques Deray. DR

« Soixante-neuf, année érotique » aurait pu être la chanson s’échappant du poste de radio portable posé entre Harry (Maurice Ronet), viveur mature venant de l’univers du disque, et sa fille Pénélope (Jane Birkin), les deux s’ennuyant ferme au bord de la piscine. L’appareil souligne l’ennui et le désir d’évasion. L’hôtesse, Marianne (Romy Schneider), en couple avec Jean-Paul (Alain Delon), est l’ex-maîtresse de Harry.

En maillot de bain, assis sur des sièges en plastique gonflables, ces urbains chics ont besoin d’objets qui fonctionnent, mais aussi qui les distinguent dans leurs marivaudages. De ce point de vue, les personnages de La Piscine sont emblématiques. Ils ont également séduit les réalisateurs François Ozon et Luca Guadagnino, qui leur ont fait des clins d’œil.


7. Le fauteuil Pomare de Just Jaekin

Le fauteuil Pomare vu dans le film « Emmanuelle » de Just Jaeckin.
Le fauteuil Pomare vu dans le film « Emmanuelle » de Just Jaeckin. DR

Le fauteuil d’Emmanuelle, succès des années Giscard à quarante-cinq millions d’entrées dans le monde, est à l’origine un trône de la famille royale polynésienne Pomare, qui régna au XVIIIsiècle. Cet archétype, qui n’a rien perdu de son attrait et fait l’objet de multiples rééditions aujourd’hui, diffuse des images de confort exotique. Au cinéma, cette pièce design est devenu l’écrin et le symbole de la libération sexuelle.

Sa structure s’y prête, laissant passer l’air moite de Bangkok sur le corps dénudé de l’héroïne. Interprétée par l’actrice Sylvia Kristel, celle-ci posa sur deux modèles, naturel et laqué blanc. À la fin des années 80, la connotation érotique disparaît. Quand le jeune champion de tennis Yannick Noah fait visiter son appartement pour la presse sportive, le Pomare, visible dans son salon, est devenu un marqueur de coolitude. 


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6. La lampe design Tizio de Richard Sapper

La lampe Tizio vue dans le film « 9 Semaines 1/2 » d’Adrian Lyne.
La lampe Tizio vue dans le film « 9 Semaines 1/2 » d’Adrian Lyne. DR

Quand le décorateur de cinéma Ken Davis a pour mission de donner un cadre au drame érotique d’Adrian Lyne, liant deux amants joués par Kim Basinger et Mickey Rourke, il s’applique à matérialiser l’esprit urbain décontracté et chic de New York. Le film tient parfois du clip ultra-graphique sur le Manhattan way of life. Les spectateurs étrangers l’ont adoré, les Américains, moins.

La scène culte du strip-tease de l’héroïne dont la silhouette se détache sur des stores, une chaise Wassily, de Marcel Breuer, non loin, confine au show moderniste. Quand la lampe Tizio, de Richard Sapper, apparaît, on se dit que c’en est trop. Mais non, car tel pouvait être le New York des personnages comme celui de Kim Basinger : une employée d’une galerie d’art de Manhattan.


5. Le fauteuil Ox d’Hans J. Wegner

Le fauteuil Ox vu dans le film « Austin Powers » de Jay Roach.
Le fauteuil Ox vu dans le film « Austin Powers » de Jay Roach. DR

Sans vouloir se mettre dans la tête du décorateur de cette comédie d’espionnage, vraie satire des James Bond, on constate que les références à l’univers de l’espion anglais abondent. Dans On ne vit que deux fois, le méchant Blofeld tronaît dans un siège en cuir à haut dossier, ses mains fourrageant dans le pelage d’un chat persan blanc installé sur ses genoux.

Le Dr Evil (Mike Myers) d’Austin Powers en est un avatar : même crâne rasé, même costume à col Nehru, même chat (mais sans poil), seul change son physique chétif. Dr Evil a plus que jamais l’air d’une petite créature sadique, mais il bénéficie du solide fauteuil dont le design emprunte, sur le haut, la forme de grandes cornes de bœuf. Quand design et cinéma ne font qu’un ! 


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4. La Ovalia Egg chair d’Henrik Thor-Larsen

La Ovalia Egg chair vue dans le film « Men in » de Barry Sonnenfeld.
La Ovalia Egg chair vue dans le film « Men in » de Barry Sonnenfeld. DR

Les décors et le choix du mobilier de Bo Welch ont élargi la scène médiatique du fauteuil Ovalia Egg. Il avait déjà une certaine visibilité, mais peu de gens connaissaient l’origine danoise de ce siège. Typique de la décennie Space Age, il est toujours pertinent en 2002, quand il s’agit d’y asseoir l’Agent K (Tommy Lee Jones) et l’Agent J (Will Smith), les personnages de Men in Black II qui, en costume noir et lunettes sixties, essaient toujours de débusquer des extraterrestres.

L’univers visuel du film multiplie les contrastes entre les époques, les protagonistes et leurs costumes. Les fauteuils de Thor-Larsen vont même être mis en avant sur l’affiche. Leur style tout en maîtrise ovoïde détonne alors avec l’esprit comique et déjanté du film. 


3. La 1006 Navy chair de Wilton Carlyle Dinges et le producteur d’aluminium Alcoa

La 1006 Navy chair vue dans le film « The Dark Knight, Le Chevalier noir » de Christopher Nolan.
La 1006 Navy chair vue dans le film « The Dark Knight, Le Chevalier noir » de Christopher Nolan. DR

Si, à l’origine, la chaise 1006 Navy, d’Emeco, a été commandée avant la fin de la Seconde Guerre mondiale par la Marine américaine pour être opérationnelle dans les sous-marins, rien d’étonnant à la retrouver dans cet épisode de Batman. Cette chaise est non seulement solide, mais l’histoire de sa conception en fait aussi un symbole idéal de l’image de l’Amérique face à l’adversité.

Consciemment ou non, à côté de la Batmobile imaginée (avec le réalisateur) par Nathan Crowley, le designer du film, il fallait des sièges légers pour une scène de confrontation entre Batman (Christian Bale) et le Joker (Heath Ledger) afin qu’ils puissent valser. 


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2. Le fauteuil Grand confort de Le Corbusier-Jeanneret-Perriand

Le fauteuil Grand Confort de le Corbusier-Jeanneret-Perriand vu dans la série Sherlock de Mark Gatiss.
Le fauteuil Grand Confort de le Corbusier-Jeanneret-Perriand vu dans la série Sherlock de Mark Gatiss. DR

Même pour une simple photo de magazine, il y a bien longtemps qu’on n’assied plus l’acteur britannique Benedict Cumberbatch sur n’importe quel siège. Le design et le cinéma sont désormais liés. À la scène comme à la ville, son art et son image sont voués à être vus par des milliers de fans.

Il se trouve que le fauteuil Grand Confort du parfait trio veut moderniser le fameux fauteuil club de l’époque de Sherlock Holmes. Cela tombe à pic, car la série transporte le monde du détective dans la période actuelle, où on le retrouve en vrai geek habitant avec le Dr Watson, un ancien médecin militaire. 


1. La coffee table d’Isamu Noguchi

La Coffee table vue dans le film « La Piel que Habito » de Pedro Almodóvar.
La Coffee table vue dans le film « La Piel que Habito » de Pedro Almodóvar. DR

Les œuvres du réalisateur sont truffées de mode et de design. Son prochain western (lire p. 114), un court-métrage, est d’ailleurs produit par la maison de luxe Saint Laurent. Déjà, le compagnon dévasté et taiseux de Parle avec elle (2002) allait voir sa moitié inconsciente à l’hôpital avec le dernier carré Hermès autour du cou ; la présentatrice télé dans Kika (1993), elle, ne portait que du Chanel

Pour Pedro Almodóvar, ces accessoires chics jouent-ils le rôle subliminal du pouvoir ? Dans La Piel que Habito, thriller millimétré avec force rebondissements, la table d’Isamu Noguchi apparaît aussi discrètement aux yeux du néophyte que les deux écarlates fauteuils Utrecht, de Gerrit Thomas Rietveld, dans Douleur et Gloire (2019). Ainsi, il nous invite à nous laisser porter dans des décors si soigneusement composés qu’au cinéma, le design se fait oublier.


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