Design Parade Toulon 2022 : les 10 lauréats célèbrent la Méditerranée

Cette année encore, la culture contemporaine du Sud est à l'honneur durant la Design Parade. Les lauréats la racontent dans dix entretiens qu'ils ont accordés à IDEAT, avant le début de la 6e édition fin juin.

Comment évoquer la Méditerranée, sa culture et ses savoir-faire sans tomber dans les clichés ? Les dix finalistes du concours du festival international d’architecture intérieure Design Parade Toulon 2022 se frottent à l’exercice dans des propositions variées, personnelles et sensibles.

Rodolphe Parente, le président du jury, en est persuadé : on peut parler de la Méditerranée sans être forcément passéiste. En liant l’histoire à notre époque, en évoquant la culture contemporaine du Sud, en s’intéressant à la lumière et aux enjeux écologiques.

Avec son jury, il a retenu dix projets où il est question de l’écrivain Frédéric Mistral, de coquillages, de camping, de pêche à l’oursin, d’atrium ou de la Camargue… Dix projets qui sont dévoilés dans l’ancien évêché de Toulon, répartis entre les pièces du premier étage et celles du rez-de-chaussée qui encadrent la cour et que les lauréats ont investies pendant plusieurs semaines pour créer leur univers.

Chacun d’entre eux s’est adapté au lieu pour proposer une installation in situ, imaginée en partenariat avec des galeries d’art et de design, des artistes, des artisans d’art et des spécialistes locaux de la construction. Entre carte blanche et contraintes – soit des conditions qui s’approchent d’une commande véritable –, ils ont dû réaliser dans un délai record un espace qui, ils l’espèrent, sera le point de départ de leur carrière. Avant la nomination des primés, le 25 juin dernier, et l’ouverture de l’exposition au grand public, nous les avons tous rencontrés. Ils nous décrivent leur parcours et nous livrent leurs inspirations et leurs envies.


Compluvium, par Sophie Devaux

Sophie Devaux
Sophie Devaux Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Diplômée de l’école Camondo depuis juin 2018, j’ai travaillé quatre ans en tant que cheffe de projets chez Isabelle Stanislas, à Paris, avant de m’installer à mon compte.

Votre projet ?

Pour Compluvium, je me suis inspirée de l’Antiquité méditerranéenne – son architecture domestique et ses systèmes acheminant l’eau – pour proposer une version contemporaine de l’atrium. Cet espace transitoire permet de collecter l’eau grâce à une fontaine alimentée par un réseau de rigoles et de gouttières en grès cuit, surplombée par le compluvium qui récolte l’eau de pluie.

Ce que vous attendez du festival ?

Ce concours m’a poussée à m’intéresser à des techniques architecturales développées il y a plus de deux mille ans. C’était très enrichissant de pouvoir les réinterpréter. Un dispositif tel que le compluvium pourrait tout à fait avoir sa place au centre d’une villa du XXIe siècle. Je souhaite poursuivre cette démarche créative, sensible à des problématiques actuelles.

Un projet emblématique ?

La Millard House par Frank Lloyd Wright, à Pasadena, en Californie. Sa stratégie était d’utiliser le béton– à l’époque le matériau le moins cher, le plus laid et le plus froid de la construction. Par ses dessins géométriques rappelant l’architecture maya, l’architecte a réussi à en faire un élément décoratif inédit, chaud et sculptural.


La Taulo e l’Oustau, par Thomas Morineau Barthelemy

Thomas Morineau
Thomas Morineau Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Architecte HMONP, je me suis formé à l’ENSA Paris-Malaquais. Cinq ans d’expériences au sein d’agences d’architecture à Paris, Genève et Tokyo m’ont appris la rigueur constructive et la poésie de la matière.

Votre projet ?

La Taulo e l’Oustau est une cuisine sans âge, dans laquelle le temps s’étire. L’installation s’ancre dans la continuité de l’œuvre de Frédéric Mistral. Cet écrivain et poète provençal du XIXe siècle lui donne une place centrale car il considère cette pièce comme un patrimoine immatériel provençal exceptionnel. La Taulo e l’Oustau est une interprétation spatiale de ses textes et de son imaginaire gourmand. Mon projet se teinte aussi de souvenirs, d’émotions ressenties durant mes voyages au Japon et en Inde, pour former ma propre utopie personnelle de ce qu’est la cuisine rêvée de Frédéric Mistral.

Ce que vous attendez du festival ?

Design Parade est un moment idéal pour créer des relations avec de futurs partenaires. Pendant le festival, mais également en amont, durant toute la conception et la production de l’installation. Sans les artisans et les artistes qui m’ont honoré par leur travail, La Taulo e l’Oustau n’aurait jamais existé.


Vers midi, Jeanne Tresvaux du Fraval

Jeanne Tresvaux du Fraval
Jeanne Tresvaux du Fraval Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

J’ai étudié aux Arts-Déco et à la Gerrit Rietveld Academie à Amsterdam. Ma double formation de designer et de plasticienne m’a permis d’explorer les frontières entre les disciplines.

Vos sources d’inspiration ?

J’ai évolué dans cette contradiction entre mon attirance et ma répulsion pour la consommation. C’est à la fois dans l’abondance matérielle que je puise mon inspiration et dans la simplification formelle que je crée. Je suis actuellement en résidence à l’abbaye de Maubuisson où je développe une recherche sur les objets liés au confort dans les abbayes.

La pièce présentée au concours ?

Vers midi est une salle propice à une déambulation somnambule. Dans cette pièce, on oublie la société en quête de rentabilité. Des barres longent les murs, permettant de suspendre n’importe quel objet nécessaire à la tranquillité. Sur le sol, une série de grands futons s’empilent sur des tommettes. Les matériaux utilisés sont naturels comme la cire d’abeille, le chanvre, le feutre, la terre… et parlent aux sens. Leurs odeurs, sonorités et textures racontent des histoires.

Votre mantra ?

L’ordinaire !


Primo Sole, Léa Ollivier et Carla Genty

Projet de Léa Ollivier et Carla Genty, deux des 10 lauréats de la Design Parade Toulon 2022
Projet de Léa Ollivier et Carla Genty, deux des 10 lauréats de la Design Parade Toulon 2022 Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Carla Genty : Je suis diplômée d’un cursus en architecture intérieure des Arts-Déco. Léa s’est formée au savoir-faire du textile français dans diverses institutions et chez des artisans.

Vos inspirations ?

Les fleurs séchées et les matières textiles nous inspirent depuis toujours et font sens aujourd’hui dans nos projets, qui mêlent mode et architecture.

Votre projet ?

Primo Sole est une ode au soleil méditerranéen. À travers l’étude de ses bienfaits, nous choisissons d’explorer le lieu dans lequel la peau se livre à la lumière et s’expose : le solarium. Cette installation, à la croisée de l’intime et de l’« extime », dévoile un rituel, où les vêtements tombent et la peau nue s’abandonne au regard du soleil.

Vos sources d’influence ?

Métaphores, d’Ettore Sottsass, des constructions éphémères qu’il réalise dans un paysage avant de les photographier, ou encore la tendresse qui se dégage des photos de Jacques-Henri Lartigue, des clichés pleins de vie.

L’image de la Méditerranée ?

La maison de pierre typique dont la fraîcheur invite à faire la sieste mais d’où l’on s’échappe en fin de journée pour retrouver l’air chaud. Tous ces instants passés dans des lieux improvisés et qui vacillent entre deux temps : capter ou se protéger de la lumière.

Ce que vous attendez du festival Design Parade Toulon 2022 ?

Un partage avec des personnes curieuses de s’émerveiller du beau.


Le sel, la sagne et la salicorne, Claire Jeancourt-Galignani et Billy Poitevin

Claire Galignani et Billy Poitevin,
Claire Galignani et Billy Poitevin, Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Diplômés avec une année d’écart, nous avons tous les deux étudié à l’école Camondo. Nous travaillons ensemble aux Galeries Lafayette depuis quelques années.

La pièce présentée au concours ?

Notre projet, Le sel, la sagne et la salicorne, parle du patrimoine naturel de la Camargue. En nous basant essentiellement sur ces trois matériaux locaux, nous avons cherché à les décliner pour proposer un projet d’espace, de mobilier et d’objets. En expérimentant avec la matière, nous réinterprétons des savoirs traditionnels et des technologies nouvelles afin d’illustrer ce littoral et ses richesses.

Vos sources d’inspiration ?

Les recherches de l’Atelier Luma nous ont beaucoup aidés dans notre démarche. Nous sommes également inspirés par le travail de l’architecte David Thulstrup.

L’hommage à la Méditerranée ?

Nous évoquons la Méditerranée par la matière et en éveillant les sens des visiteurs. Dans chaque élément de la pièce, on retrouve une couleur, un goût, une odeur, un toucher ou un son qui rappelle la Camargue et invite au voyage.

Ce que vous attendez du festival Design Parade Toulon 2022 ?

C’est l’occasion pour nous d’expérimenter à partir de matériaux bruts peu communs.

Un projet de rêve ?

Une scénographie temporaire au palais Bulles d’Antti Lovag.


L’Oursinade, Marthe Simon

Prix du public de la ville de Toulon 2022

Marthe Simon
Marthe Simon Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Diplômée du master Architecture intérieure de l’école Penninghen, j’ai commencé ma carrière au sein de Festen Architecture puis j’ai travaillé au côté de l’architecte d’intérieur Luis Laplace avant de monter ma propre agence.

La pièce présentée au concours ?

L’Oursinade vous plonge dans l’univers d’une pêche à l’oursin. C’est autour de ce mets délicat que je souhaite réunir mes amis de Méditerranée. L’entrée les incite à déposer serviettes, masques et tubas ayant servi lors de cette pêche. Chacun est alors convié à venir s’installer à une table conçue tel un grand plateau. Le projet est inspiré par les motifs de la villa Kérylos (à Beaulieu-sur-Mer, NDLR) et joue avec les codes esthétiques de la calade (pavage, NDLR) provençale. Celle que nous avons l’habitude de voir au sol se retrouve aussi aux murs pour créer un univers enveloppant.

Vos sources d’inspiration ?

Le rôle que je souhaite donner à mon métier tient dans l’interprétation créative d’un lieu, de son histoire, du commanditaire et du savoir-faire des artisans. Mon travail consiste à rassembler ces quatre piliers essentiels pour faire naître un récit unique.

Ce que vous attendez du festival Design Parade Toulon 2022 ?

L’Oursinade se veut la synthèse de l’enseignement reçu à Penninghen, de mes acquis du monde professionnel et de la collaboration avec la villa Noailles. Il s’inscrit comme le point de départ de l’agence Marthe.


La Cellule de correspondances, Clément Pelisson

Clément Pelisson
Clément Pelisson Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

J’ai commencé par la scénographie de théâtre il y a dix ans puis je me suis formé à Penninghen. J’ai poursuivi en scénographie et en master Design à Duperré. J’ai ensuite travaillé chez Givenchy à la direction artistique numérique et à la scénographie et je suis désormais installé à Marseille.

La pièce présentée au concours ?

La Cellule de correspondances est une pièce multidisciplinaire inspirée des Lettres portugaises, un recueil de lettres d’amour écrites par une religieuse portugaise à un officier français et paru en 1669. Une figure littéraire largement reprise, notamment par les surréalistes au XXe siècle, que j’ai associée aux « boîtes de nonnes », ces petites boîtes que confectionnaient les sœurs recluses et qui représentaient des scènes de leur quotidien. C’est une pièce consacrée à l’écriture et à la contemplation du souvenir.

Ce que vous attendez du festival Design Parade Toulon 2022 ?

Ce projet a été l’occasion de montrer la diversité de mon métier : l’architecture intérieure, les sculptures, mon travail de curateur et la collaboration avec une parfumeuse pour créer l’odeur de la cellule. J’attends donc que tout cela soit très fertile et m’ouvre encore plus à d’autres disciplines.


La Toilette aux coquillages, Paul Bonlarron

La Toilette aux coquillages
La Toilette aux coquillages Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Après une enfance en Bretagne, j’ai suivi un BTS Design de mode et environnement à Duperré, puis un master 2 en création industrielle à l’ENSCI-Les Ateliers.

La pièce présentée au concours ?

La Toilette aux coquillages est conçue comme une coquille à habiter, un écrin d’intimité propice aux soins du corps et de l’esprit. Ce qui m’intéresse dans l’art de la rocaille, c’est à la fois la complexité de jardins princiers, comme la chaumière aux coquillages de Rambouillet, et la beauté naïve de productions plus populaires, à l’exemple de la maison de la sirène d’Hippolyte Massé, aux Sables-d’Olonne. J’ai puisé mon inspiration dans l’art des rocailleurs méditerranéens du XVIIe siècle, mais mon projet en développe une écriture contemporaine nourrie de nombreuses collaborations : les poudrières en coquillages gravés
de Silvana McNulty, l’éventail en couteau de mer d’Amélie Orhant ou le verre marin de l’Atelier Lucile Viaud.

Votre rapport à la Méditerranée ?

Elle est évoquée par l’art de la rocaille né ici, mais aussi à travers les murex, les couteaux, les pieds de pélican, les tellines pourpres, les pétoncles ramassés sur ses côtes. Ma fresque en crépi dépeint un jardin aquatique, un ballet d’ophiures et d’algues inspiré des fonds colorés de la Méditerranée.

Le projet de vos rêves ?

Construire ma propre grotte aux coquillages, dans mon jardin.


Sardine sardine, Angelo de Taisne et Madeleine Oltra

Lauréats de la dotation de la fondation Carmignac, du Prix Visual Merchandising décerné par CHANEL, et du Grand Prix Design Parade Toulon Van Cleef & Arpels

Sardine Sardine
Sardine Sardine Clément Harpillard ; Luc Bertrand

Votre parcours ?

Madeleine Oltra : J’ai étudié la céramique à la Design Academy Eindhoven, aux Pays-Bas. J’ai ensuite travaillé au côté du designer mexicain Fernando Laposse sur les fibres naturelles.

Angelo de Taisne : J’ai été formé comme architecte à l’ENSA-Paris-Malaquais. Puis j’ai appris la construction de voûtes en terre à Azraq, en Jordanie.

La pièce présentée au concours ?

Sardine sardine est un projet qui rend hommage au camping. C’est une pratique qui nous a tous deux permis de voyager dès l’adolescence et d’accorder une place importante au paysage. Les contraintes liées au transport et à la légèreté sont une grande source d’inspiration car elles aboutissent à des inventions
qui sortent les objets quotidiens de leurs formats initiaux : la table-valise, la boîte-à-œufs, la vache-à-eau. Sardine sardine raconte l’histoire de deux campeurs qui ont amassé dans cette tente toutes sortes de choses ayant vécu plusieurs voyages.

L’hommage à la Méditerranée ?

La Méditerranée est une terre de recoins à découvrir au rythme de la marche ou de l’auto-stop. Et parfois, après une longue randonnée, on arrive à la mer !

Ce que vous attendez du festival Design Parade Toulon 2022 ?

De poursuivre nos recherches autour du mobilier et des architectures du camping en Méditerranée pour faire évoluer la tente en fonction des lieux, du terrain et des saisons.


Sunrise, Lauranne-Élise Schmitt

Lauranne-Elise Schmitt
Lauranne-Elise Schmitt Luc Bertrand ; Clément

Votre parcours ?

J’ai étudié l’architecture intérieure à l’école Boulle puis aux Arts-Déco. Je rêve de lieux capables d’évoluer au contact de leurs visiteurs grâce à une technologie sensible. Pendant cinq ans, j’ai imaginé des histoires que j’ai traduites en espaces et en expériences de marque pour Christian Dior, Jean Paul Gaultier… de Los Angeles à Tokyo. Puis, en 2019, j’ai créé mon propre studio.

Votre projet ?

Ma pièce à vivre, Sunrise, est libérée de toute contrainte fonctionnelle. Elle raconte une soirée qui s’achève à l’aube dans une villa hors du temps. Entre le soleil et le ciel, entre le rêve et la réalité, entre intérieur et extérieur.

Vos sources d’inspiration ?

La villa Malaparte d’Adalberto Libera ou le palais Bulles d’Antti Lovag.

L’importance de la collaboration ?

Le budget limité m’a obligée à remuer ciel et terre pour réaliser l’espace de mes rêves. À cette occasion, j’ai rencontré le designer Jean Delisle, Amélie, d’Amélie Maison d’art, le galeriste Aurélien Gendras, l’atelier de confection textile de Stéphane Faure, Bruno Giraudeau, de Flos, Renovation Man & Le Carré design et leur atelier d’agencement, la maison de parfum Givaudan et Amélie, une parfumeuse qui a créé la fragrance de mimosa qui flotte dans la pièce. Ils m’ont tous soutenue dans les moments de doute.