Virginie Armellin n’en revient toujours pas. Cette professeure de céramique donne habituellement des cours à de petits effectifs d’élèves dans le cadre du brevet des métiers d’art (BMA). Mais, cette année, sa classe a vite affiché complet et elle redoute de devoir refuser l’accès à de plus en plus de postulants à l’avenir.
« On assiste à un engouement massif pour la céramique, qui se vérifie par une multitude de signaux, comme le nombre de personnes en reconversion », remarque celle qui vient de publier le deuxième volume de son ouvrage « Histoire de la céramique » (Éditions Vial). De son côté, Kalou Dubus, qui avait exercé plusieurs métiers dans la création avant de se lancer, se souvient : « J’ai commencé il y a six ans et j’ai tout de suite voulu en faire une activité professionnelle. »
Tendance céramique : retour à la terre
La quadragénaire qui compte notamment parmi ses clients Isabel Marant, dont les boutiques sont parsemées de ses pièces, explique : « J’ai commis plein d’erreurs, surtout d’émaillage, mais c’est ce qui m’a formée. Assez rapidement, des amis m’ont commandé des vases, de gros pots… Au fil des ans, j’ai pu développer mon propre style, à la fois architectural et minéral, dans mon atelier parisien. »
La galeriste Hélène Bréhéret (de la galerie Desprez-Bréhéret, dans le Ier arrondissement de Paris) constate, quant à elle, que « depuis une dizaine d’années, on observe un retour à la terre et, plus largement, aux matériaux naturels avec, en parallèle, un intérêt grandissant pour le geste ».
Créer en coworking
Qu’elles soient professionnelles ou de loisir, les pratiques se multiplient, avec des solutions originales, comme la box Wecandoo, qui contient de la terre glaise, des outils et un modèle à réaliser chez soi, que l’on ira ensuite faire cuire chez un artisan partenaire. Désormais, des ateliers partagés se louent pour de courtes sessions, sur le principe des espaces de coworking. La céramique devient tendance…
Après une première adresse à Paris, l’atelier Clay compte prochainement s’installer à Marseille. « Parmi mes élèves, nombre d’entre eux ont fait des études de marketing et souhaitent mettre leurs connaissances au service de quelque chose qui a du sens. Certaines personnes se font une clientèle et une image avant même d’avoir fini leur formation. Elles partagent et vendent leurs créations essentiellement sur Instagram », confie Virginie Armellin.
La céramique plébiscitée
Estelle Loiseau, fondatrice de la boutique en ligne Brutal Ceramics, le confirme : « On voit arriver une nouvelle génération de céramistes, autodidactes ou formés sur le tard, qui maîtrisent les codes d’Instagram et savent se construire une image en adéquation avec cet outil de communication. »
À la fois simple, délicate, organique et subtilement vintage, la céramique est plébiscitée. « Ce matériau naturel, essentiel, met en jeu la terre, le feu, l’air, l’eau et les minéraux. Il nous rapproche de ce qui se passe dans un volcan », analyse Kalou Dubus. Cet esprit tellurique conduit les amateurs à se détourner de la porcelaine, trop parfaite, pour lui préférer les textures brutes, les extérieurs non émaillés, le grès chamotté ou les émaux aux tons polaires…
Entre art et artisanat
« La céramique fait partie de nos collections depuis le début, rappelle Axel Van den Bossche, fondateur de Serax. Nous aimons utiliser cette matière, car elle offre de nombreuses options et s’adapte facilement aux envies des designers avec lesquels nous collaborons. Elle peut être brute ou émaillée, colorée ou garder sa teinte naturelle. Tout est possible ! »
Ce qui subjugue Estelle Loiseau, c’est son côté protéiforme. « Elle peut être très utilitaire ou, au contraire, purement artistique… La céramique touche des publics très différents et cette diversité participe à son succès actuel. »
Recenser les typologies contemporaines en céramique relève donc de l’inventaire à la Prévert. Grâce à sa grande malléabilité, la céramique se plie à une multiplicité de formats et de formes, sans parler de sa palette de couleurs, quasi infinie, qui permet aux artistes de continuer à transcender ce matériau ancestral aux usages divers.
Sculptures à grande échelle
Kalou Dubus peut indifféremment travailler sur des petites cuillères ou sur un totem de 2,50 mètres de haut. Le sculpteur new-yorkais Peter Lane produit des murs ornementaux de plusieurs mètres de long. Guy Bareff crée des micro-architectures à suspendre. Olivia Cognet a réalisé, lors d’une résidence à Vallauris, des bas-reliefs qu’elle exposera à la rentrée, à la galerie JAG (Paris VIIe).
Enfin, Frédérick Gautier a développé des claustras mobiles en argile grise, effet béton… Dans cet art du feu, on évolue toujours sur le fil, entre fonctionnalité et décoration. « Un simple bol en raku peut être utilisé tous les jours pour boire du thé, mais il peut également être mis en scène comme une sculpture dans un intérieur », avance Estelle Loiseau.
Expositions en plein boom !
C’est aussi la raison pour laquelle ce médium s’infiltre dans l’art contemporain où il crée de nombreuses interconnexions, comme le démontre l’exposition « Ceramics Now », à la Galerie italienne (Paris Ier), jusqu’au 17 juillet. « Dans cet accrochage, nous avons voulu montrer combien la pratique artistique de la céramique est foisonnante, explique Florian Daguet-Bresson, l’un des deux commissaires de l’exposition. On assiste à une redécouverte de la dimension plastique de ce matériau avec des artistes aussi reconnus que le sculpteur Johan Creten dont nous présentons le travail. Dans les prochains mois, l’exposition “Feu !”, au musée d’Art moderne de Paris, va achever de consacrer ce médium. Je suis persuadé que le marché va se réveiller… »
En matière de vintage, c’est déjà le cas. Des objets fonctionnels conçus de façon artisanale ont acquis le statut d’œuvres d’art, comme les tables basses du céramiste star de Vallauris Roger Capron, dont les prix ne finissent pas de flamber.
Où sont les distributeurs de la tendance céramique ?
Paradoxalement, le nombre de boutiques spécialisées en céramique est encore réduit. On constate un décalage avec l’engouement du grand public pour cet art, même si de plus en plus d’ateliers ouvrent leurs portes pour des expos-ventes. « Il faut prêter attention aux petits salons, où il y a des créateurs à dénicher », révèle le galeriste Benjamin Desprez, qui a remis en selle l’artiste Guy Bareff, oublié pendant plusieurs décennies.
Parmi ceux qui donnent une visibilité à ces objets, quelques enseignes, comme Sessùn et son « select store », à la boutique Sessùn Alma. « J’ai toujours créé des ponts avec de jeunes artisans, sous forme de scénographies. Et lorsque nous avons voulu lancer un magasin consacré à l’art de vivre, je me suis tournée en priorité vers la céramique, raconte Emma François, fondatrice de Sessùn. Dans notre boutique marseillaise, nous en proposons une importante variété, qui va de Serax à Emmanuelle Roule ou Judith Lasry. Souvent des collections très limitées, car si on duplique, on perd la spécificité, l’âme de la céramique qui, précisément, s’affranchit de la grande série. »
Autre domaine de prédilection : la restauration. Les nouveaux céramistes collaborent de plus en plus souvent avec les chefs, qui commandent à ces indépendants leur service de table. Une façon d’affirmer la singularité de leur établissement avec une vaisselle jamais vue ailleurs.
Des modèles qui s’arrachent
La cheffe Hélène Darroze, par exemple, est une fidèle de Marion Graux ; Alain Ducasse a passé commande à la Faïencerie Georges et l’artiste italien Ivo Bisignano a retranscrit l’univers culinaire du chef Yotam Ottolenghi dans une collection colorée pour Serax. Mais ce sont surtout les décorateurs qui œuvrent à la reconnaissance de la céramique contemporaine.
« Ils en placent de plus en plus dans leurs projets, car ce matériau se marie avec des styles très différents », affirme Benjamin Desprez, qui représente dans sa galerie parisienne les créateurs Kalou Dubus et Guy Bareff, mais montre aussi une belle sélection de pièces vintage. « Grâce à eux, on a découvert que l’esthétique de la céramique n’était pas cantonnée aux bords de mer ou à la campagne. »