Rome, un décor de film grandeur nature

La capitale italienne est un vaste plateau de tournage à ciel ouvert. Découverte !

Aux quatre coins de Rome, on rejoue des scènes cultes, en couleur ou en noir et blanc. Ici, le regard est sans cesse brouillé par les souvenirs de films, si bien que la fiction semble plus vraie que la réalité.


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Le Panthéon est un décor récurrent de film, apprend-on lors du circuit touristique « Rome Cinema & Food » : d’Umberto D. (1952), de Vittorio De Sica, à Anges et Démons (2009), de Ron Howard, avec Tom Hanks.
Le Panthéon est un décor récurrent de film, apprend-on lors du circuit touristique « Rome Cinema & Food » : d’Umberto D. (1952), de Vittorio De Sica, à Anges et Démons (2009), de Ron Howard, avec Tom Hanks. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Devant le Panthéon, à Rome, c’est l’effervescence : des touristes en masse, des adolescents au rire contagieux, l’enfant qui pleure sa glace tombée au sol. Eleonora Baldwin nous entraîne sur un côté du bâtiment. « Pour le tournage d’Umberto D. (1952), les caméras étaient ici. C’est l’histoire d’un fonctionnaire retraité, sans le sou et vivant avec son chien, dans la Rome dévastée de l’après-guerre. Dans cette scène inoubliable, il s’essaye à mendier puis renonce aussitôt, submergé par la honte. »

Le scénario campé, Eleonora montre un extrait du film sur son téléphone portable. Là, la Piazza della Rotonda prend les couleurs du film: le noir et blanc. Il n’y a plus que la solitude et le désespoir du vieil homme. Les larmes montent aux yeux.

« C’était le film préféré de mon grand-père, qui le réalisa. » Elle parle du célèbre réalisateur Vittorio De Sica (1901-1974), quatre fois oscarisé. « Il avait dédié ce film à son père pour son soutien inconditionnel. Vittorio avait quitté l’école pour andare in arte (littéralement, « aller à l’art », NDLR), comme on disait à l’époque. Il a commencé sa carrière en jouant au théâtre. »

Autour du Colisée, de piètres gladiateurs offrent leurs sourires aux touristes. Mais, dans les rues, on peut aussi tomber par hasard sur un groupe de figurants. Habillés en costumes des années 20 et 30, ils participent probablement à l’adaptation du best-seller d’Antonio Scurati M, l’enfant du siècle par le réalisateur Joe Wright.
Autour du Colisée, de piètres gladiateurs offrent leurs sourires aux touristes. Mais, dans les rues, on peut aussi tomber par hasard sur un groupe de figurants. Habillés en costumes des années 20 et 30, ils participent probablement à l’adaptation du best-seller d’Antonio Scurati M, l’enfant du siècle par le réalisateur Joe Wright. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

La pétillante Eleonora chasse le nuage de tristesse. Elle ne manque pas d’histoires à raconter. Scripte, elle a participé à de nombreuses productions à Rome (dont The American (2010), d’Anton Corbijn, avec George Clooney) avant de devenir journaliste culinaire et de cocréer l’agence Casa Mia Tours, organisatrice de ce circuit touristique exclusif « Rome Cinema&Food ».

On y passe de la toile à la table autour des grands classiques, mais aussi des dernières sorties en salle. « Glace ou café? » Café, à cette heure matinale! Et voilà Eleonora se faufilant au comptoir de La Casa del Caffè Antigua Tazzadoro.

Au coude à coude, touristes et locaux cherchent l’attention du serveur, qu’Eleonora gagne avec une petite pièce de pourboire. On retient la leçon. Enivré par les arômes du café torréfié et assommé par le brouhaha, on regarde machinalement le logo du sachet de sucre.


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La photo de Rino Barillari, « le Roi des Paparazzi », est affichée dans la vitrine du légendaire Harry’s Bar. Le photographe a capté les turbulences de la Via Veneto à la grande époque de La Dolce Vita (1960), de Fellini – et encore bien après.
La photo de Rino Barillari, « le Roi des Paparazzi », est affichée dans la vitrine du légendaire Harry’s Bar. Le photographe a capté les turbulences de la Via Veneto à la grande époque de La Dolce Vita (1960), de Fellini – et encore bien après. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

« C’est la silhouette sculpturale de l’actrice Zeudi Araya », connue hier pour ses films de série B. Drôle de destin que de fondre dans une tasse d’expresso… Mais n’est-on pas à Rome? Ici, on mange, on respire et on rêve le cinéma. Fiction et réalité se mêlent sur cet immense plateau de tournage à ciel ouvert. La balade reprend. Dans la rue, un évêque sorti d’un palazzo lance des regards amusés.

Il est suivi par un groupe d’hommes et de femmes habillés à la mode des années 20 et 30, des sneakers aux pieds. Des figurants! On murmure qu’ils tourneraient, sous la direction de Joe Wright, dans l’adaptation de M, l’enfant du siècle, le best-seller sur Mussolini d’Antonio Scurati (Prix Strega 2019, l’équivalent de notre Goncourt). Direction l’ancien quartier israélite, fondé au XVIe siècle.

« Les Juifs furent forcés d’y résider durant trois siècles, jusqu’en 1870. Les lieux ont très peu changé, si bien que beaucoup de films sont tournés ici, à l’instar de La Fenêtre d’en face (2003), du Turco-Italien Ferzan Özpetek. Filons, j’ai peur qu’il ne reste plus de pizza ebraica chez Boccione. Vous devez y goûter, cette recette romaine est la même depuis la Renaissance! »

La Fiat 500, dont l’ancêtre, la Topolino, fut lancée en 1936, est un emblème de l’Italie rieuse. Bien entendu, la Vespa reste l’autre symbole de la liberté, mis à l’honneur dans Vacances romaines (1953), avec Audrey Hepburn et Gregory Peck, ou Journal intime (1993), de et avec Nanni Morretti.
La Fiat 500, dont l’ancêtre, la Topolino, fut lancée en 1936, est un emblème de l’Italie rieuse. Bien entendu, la Vespa reste l’autre symbole de la liberté, mis à l’honneur dans Vacances romaines (1953), avec Audrey Hepburn et Gregory Peck, ou Journal intime (1993), de et avec Nanni Morretti. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Le gâteau, à base d’amandes, de pignons de pin, de raisins secs et de fruits confits, est un régal, d’autant qu’on le déguste devant un lieu célèbre du Voleur de bicyclette (1948), de Vittorio De Sica. Un petit garçon, tout heureux, mange un sandwich à la mozzarella avec son père dans une trattoria. Une belle complicité.

« Regardez leurs expressions, c’est extraordinaire de vérité. Mon grand-père travaillait beaucoup avec des acteurs non professionnels qu’il castait dans les rues. »

Le réalisateur fut l’un des pères du néoréalisme, un cinéma montrant la vie sans filtre et tourné hors des studios. Rome, ville ouverte (Roberto Rossellini, 1945) illustre ce genre à merveille et vaudra d’ailleurs la rédemption de l’Italie fasciste aux yeux du monde, les Italiens y étant décrits comme des victimes, eux aussi, de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi en est-il du pouvoir des images. Nous laissons là notre guide et continuons à remonter l’Histoire, au fil des films.


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La réalisatrice et autrice Elisa Fuksas, fille de Massimiliano Fuksas, est très inspirée par l’architecture.
La réalisatrice et autrice Elisa Fuksas, fille de Massimiliano Fuksas, est très inspirée par l’architecture. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Les réminiscences de la dolce vita

Après la guerre, Rome panse ses plaies et se reconstruit. Les fonds du plan Marshall et un boom de la production de masse aident au miracle économique. Hollywood se déplace à Rome (une façon, aussi, de faire barrage à l’idéologie communiste de l’URSS).

Dans Vacances romaines (William Wyler, 1953), Audrey Hepburn incarne la princesse Anne, découvrant incognito les plaisirs de la vie locale : une glace sur la Piazza di Spagna, du lèche-vitrine dans la Via Condotti, une escapade en Vespa autour du Colisée… L’office de tourisme n’a jamais fait mieux! On filme à tour de bras, en ville ou à Cinecittà.

Protectionniste, l’Italie impose aux Américains de réinvestir les recettes de films enregistrées sur place dans la production cinématographique locale. C’est l’époque de La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960), symbolisée par la scène mythique d’Anita Ekberg et de Marcello Mastroianni dans la fontaine de Trevi – depuis, des policiers surveillent les touristes zélés trop inspirés. La Via Veneto est alors l’épicentre décadent de la vie mondaine.

Devant la fontaine de Trevi, on ne peut pas résister à la tentation de lancer un « Marcello ! Marcello ! » en hommage à Anita Ekberg et à Marcello Mastroianni dans La Dolce Vita, de Fellini.
Devant la fontaine de Trevi, on ne peut pas résister à la tentation de lancer un « Marcello ! Marcello ! » en hommage à Anita Ekberg et à Marcello Mastroianni dans La Dolce Vita, de Fellini. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Parmi d’autres photographes, Rino Barillari, « le Roi des Paparazzi », court après les scoops en harcelant les vedettes de cinéma. Ses provocations lui vaudront un palmarès salé: 11 côtes fracturées, 76 appareils photos détruits et 165 visites aux urgences! Le photographe a fini par déposer les armes. Ses appareils argentiques trônent dans une vitrine du célèbre Harry’s Bar. À 78 ans, il le fréquente encore certains samedis soir, un appareil numérique à la main…

Le glamour de l’époque de la dolce vita hante toujours l’imaginaire collectif. Le temps n’a pas de prise sur la Ville éternelle – ou sont-ce les clichés qui ont la vie longue ? Nous voici avec Elisa Fuksas au bar Art déco de l’Hotel Locarno, où Fellini avait ses habitudes.

Réalisatrice, scénariste et autrice, elle déborde de vie et aime par-dessus tout raconter des histoires. Bien avant son documentaire iSola (présenté à la Mostra de Venise en 2020), elle a signé Nina (2102), qui montre l’errance poétique d’une jeune fille s’interrogeant sur le sens de la vie. « La pensée de Nina se lit à travers la ville », indique-t-elle.


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Dans le quartier EUR, une salle de représentation du Palazzo delle Arti e Tradizioni Popolari. Ce bâtiment fut construit pour l’Exposition universelle de 1942, qui n’eut jamais lieu. Il fait aujourd’hui partie d’un ensemble qui abrite le Museo delle Civiltà.
Dans le quartier EUR, une salle de représentation du Palazzo delle Arti e Tradizioni Popolari. Ce bâtiment fut construit pour l’Exposition universelle de 1942, qui n’eut jamais lieu. Il fait aujourd’hui partie d’un ensemble qui abrite le Museo delle Civiltà. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Campée dans la chaleur de l’été, Rome est surtout représentée par le quartier EUR (prononcer « é-our »), pensé dès 1937 pour accueillir l’Exposition universelle (qui n’eut jamais lieu). Tout y célébrait la gloire et la puissance de Mussolini. L’ensemble, monumental, est écrasant, jouant du vide et du plein.

Parmi ces bâtiments rationalistes inspirés de l’Empire romain, citons l’ancien Palazzo della Civiltà Italiana, un étonnant « colisée carré » aux 216 arcs en plein cintre – aujourd’hui quartier général de Fendi, qui l’a rénové.

« EUR, c’est comme un théâtre, un lieu d’absence et de fantômes. Dans le sketch de Fellini La Tentation du docteur Antonio (1962), Anita Ekberg, qui pose sur un panneau publicitaire, prend soudain vie et sort de son cadre. EUR est un endroit où tout peut arriver. »

Dans le nouvel hôtel Six Senses Rome, dont Patricia Urquiola a réalisé l’architecture intérieure, le restaurant-café-bar Bivium s’articule autour d’un comptoir circulaire situé pour moitié à l’intérieur et pour l’autre à l’extérieur.
Dans le nouvel hôtel Six Senses Rome, dont Patricia Urquiola a réalisé l’architecture intérieure, le restaurant-café-bar Bivium s’articule autour d’un comptoir circulaire situé pour moitié à l’intérieur et pour l’autre à l’extérieur. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Elisa Fuksas filme la géométrie de l’espace. Dans The App (2019, visible sur Netflix), elle intègre brièvement le « Nuage », le centre des congrès dessiné par son père, Massimiliano Fuksas, inauguré dans le quartier en 2016.

« C’est une malédiction, je ne peux pas échapper à l’architecture. J’ai baigné dedans toute ma vie et je l’ai même étudiée! » lâche-t-elle dans un rire. Alors, sans surprise, elle est sensible au Colisée, au mont Palatin, au Forum et aux vestiges du temps.

Car Elisa n’habite pas seulement à Rome, elle est habitée par la ville. « Sa beauté rend nostalgique à mourir. » Certains en meurent, en effet, comme ce touriste foudroyé par la magnificence des lieux devant la Fontana dell’Acqua Paola. Les premières images de La Grande Bellezza (2013), une Dolce Vita 2.0 aux nombreuses références felliniennes, donnent le ton et le rythme du film. Paolo Sorrentino, son réalisateur, nous fait plonger dans la musique de la ville – un fil conducteur faisant tourner les têtes et les corps lors des innombrables fêtes.


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Les pins parasols, dont on peut admirer les rangées aux abords de Rome, sont un autre symbole de la ville.
Les pins parasols, dont on peut admirer les rangées aux abords de Rome, sont un autre symbole de la ville. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

Plus récemment, on lui doit la série télé The Young Pope (2016), avec Jude Law, suivie par The New Pope (2020), avec John Malkovich. La présence papale en a inspiré plus d’un. Ainsi de Nanni Moretti et de son Habemus papam (2011), où Michel Piccoli, en souverain pontife qui ne veut pas l’être, fait une fugue après le conclave.

En attendant son retour, un psychologue (incarné par le réalisateur) organise un championnat de volley-ball au Vatican. Oui, à Rome, tout semble possible derrière la caméra. Mais devant les écrans aussi. Il suffit de regarder le Cinema America, à Trastevere.

Après une bataille judiciaire de plus de dix ans, les « ragazzi » de la fondation Piccolo America ont obtenu gain de cause: le cinéma, qu’ils ont occupé pendant plus de deux ans, ne sera pas détruit pour faire place à un complexe immobilier mais bien conservé en tant que salle obscure.

Via di Monserrato,la boutique Hollywood tutto sul Cinema estune véritable mine de documents et d’objets pour cinéphiles nostalgiques.
Via di Monserrato,
la boutique Hollywood tutto sul Cinema est
une véritable mine de documents et d’objets pour cinéphiles nostalgiques. Anne-Emmanuelle Thion pour IDEAT

« Au début, reconnaît Valerio Carocci, président de la fondation, le but était avant tout politique. J’étudiais à Rome mais j’habitais à 30 km de là, comme d’autres camarades. Nous avions besoin d’un lieu pour nous retrouver, échanger et travailler. C’était aussi un geste contre la gentrification du quartier. »

Mais, dans la foulée, le monde du cinéma s’est mobilisé et un festival de films gratuit et en plein air, Il Cinema in Piazza, a été lancé. En juin et juillet derniers, il a rassemblé près de 90000 spectateurs. On pense évidemment à Cinema Paradiso (1988), de Giuseppe Tornatore. D’autant plus que Valerio Carocci et sa bande ont repris la gérance de l’unique salle du Cinema Troisi, devenue the place to be. Ils y ont ajouté un lieu ouvert en permanence pour les « nouveaux ragazzi ».


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