Willy Rizzo a traversé l’existence en riant, photographiant, de 1945 à sa disparition, en 2013, les plus brillants acteurs des écrans français, italiens et américains réunis. Jack Nicholson était son meilleur ami. Rizzo immortalisa Marilyn Monroe quelques semaines avant son décès, en 1962. Des studios de Billancourt à ceux de Cinecittà et de Hollywood, toutes les stars sont passées devant son objectif. Mais le plus étonnant est que sa signature se trouve aussi apposée sur certains meubles iconiques du XXe siècle, dont la cote ne baisse jamais en salles des ventes.
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Sa table basse ronde TRG, créée à la fin des années 60, est la pièce qu’il faut avoir dans son salon. Tous ses meubles, dont son bar, ses canapés et sa console HI-FI, sont encore édités et font partie des objets désirables exposés au PAD, à Paris, cette année. « Il faut toujours avoir deux métiers », disait-il, car il avait connu la guerre.
Sa vie de roman débute à Naples, où il naît en 1928, se poursuit à Paris, où il étudie, avant qu’il ne s’envole vers New York puis Los Angeles et finalement le monde entier. Reporter-photographe, il est mandaté dès l’après-guerre par les plus grands magazines de l’époque, dont Life, Point de vue, Ciné Mondial, Images du Monde… Plus tard, il publie dans Playboy, Vogue, Marie Claire et aussi Paris Match, dont il réalise la première couverture, en 1949, avec Winston Churchill.
« Willy est tout de suite monté en première classe, reconnu dès ses débuts », remarque aujourd’hui Dominique Rizzo, sa dernière femme, gardienne de sa mémoire, avec qui il a vécu pendant trente-cinq ans. Willy Rizzo savait tout photographier, de la guerre d’Indochine, en 1952, aux plus illustres artistes de leur temps, Picasso, bien sûr, et surtout Le Corbusier. Il admirait l’élégance de ce dernier, sa rigueur et produisit la plus grande série de clichés existant de son maître et ami. Dans son panthéon esthétique, on compte également le décorateur Jacques-Émile Ruhlmann et Mies van der Rohe.
L’histoire de Willy Rizzo avec le design débute en 1968, lorsqu’il s’installe à Rome avec sa deuxième épouse, l’actrice Elsa Martinelli. La crise du logement ne l’empêche pas de dénicher une tanière donnant sur la célèbre place d’Espagne. Il la transforme immédiatement en palais de la branchitude, peignant les murs en marron, avant d’y souffler un peu de poudre d’or… Au même moment, Gainsbourg recouvrait ceux de sa maison parisienne de la rue de Verneuil de noir.
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À la pointe de l’avant garde
Côté mobilier, Willy Rizzo déteste les modèles scandinaves de l’époque, ni confortables ni luxueux. Avec l’aide de quelques artisans, il fabrique ce qu’il veut. La cuisine est argentée, il dessine un meuble-bar, dont le plan miroir se soulève pour dévoiler bouteilles et verres en cristal. Il y a du Kubrick dans l’air quand il juche ses tables basses sur des socles en retrait, leur donnant l’air de flotter dans l’espace. Sa première console, Flaminia, possède des montants en acier couplés avec d’autres en laiton, comme le bracelet d’une Rolex.
« C’était sombre, sexy, avec de la musique, de l’alcool et les plus jolies femmes », raconte Dominique. Les meubles de Rizzo sont conçus pour la convivialité. Son canapé modulable n’a pas d’accoudoirs afin d’accueillir un maximum de convives. Il se prolonge à l’infini. Ses tables basses tournantes contiennent une vasque en acier ou en laiton poli pour y disposer des bouteilles et des verres à servir sans avoir à se lever.
La terre entière défilant chez lui, Willy Rizzo voit son mobilier faire rapidement des émules. Son ami, le prince Igor « Ghighi » Cassini, l’inventeur du mot « jet-set », lui commande une TRG pour une pièce circulaire de son appartement du palais Torlonia, à Rome, et Brigitte Bardot, une version rectangulaire, TRV, pour la Madrague, à Saint-Tropez.
Parallèlement, le photographe passe son temps à Cinecittà, avec Fellini, De Sica, Antonioni, Rossellini… Pour Sergio Corbucci, réalisateur notamment de westerns-spaghettis, il crée en 1968 la console HI-FI C-105 montée sur acier brossé. Salvador Dalí veut tout de suite la sienne. Plus tard, Otto Preminger aura sa table carrée Francia, en bleu, blanc et rouge, pour sa villégiature de Saint-Jean-Cap-Ferrat, où Willy Rizzo prend ses vacances avec son ami Jack Nicholson.
« Il était gai, sensible et très humble, ajoute Dominique. C’était aussi un dragueur romantique. Son vrai prénom était Eros. Il vous faisait la cour en vous envoyant des fleurs. Il mettait des foulards au-dessus des lampes le temps d’un flirt, mais les foulards brûlaient. Alors il a créé la lampe Love, avec un variateur pour tamiser l’éclairage. »
Durant une décennie, de 1968 à 1978, Willy Rizzo édite ses meubles, qu’il vend dans le monde entier. Il conçoit une trentaine de modèles, dont une tête de lit Rolls, reprenant le capitonnage en cuir de la banquette arrière d’un véhicule, avec des accoudoirs rétractables. Sa société, basée à Rome, emploie jusqu’à 180 personnes.
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Entre design et photographie
Mais être chef d’entreprise, avec un comptable collé aux basques, l’ennuie. Il met la clé sous la porte et retourne vivre la dolce vita à plein temps. En 1979, il épouse Dominique dans le ranch de Jack Nicholson, à Aspen, dans le Colorado. Huit convives seulement ; l’actrice Anjelica Huston, alors liée à Nicholson, a tout préparé. Le couple Rizzo aura trois enfants : Willy Jr, Camilla et Gloria.
Ce sont eux, avec leur mère, qui font aujourd’hui se perpétuer l’héritage paternel, à la fois design et photographique, dans une galerie de la rue de Verneuil, à Paris (VIIe), en face de la maison de Serge Gainsbourg. Le mobilier demeure édité et même fabriqué de père en fils en Italie par d’anciens employés de l’usine. Parfois décliné dans d’autres finitions, comme la dernière version de la table ronde TRG en amazonite.
« Les meubles de Willy Rizzo sont luxueux, confortables et fonctionnels, explique Dominique. Ils savent s’intégrer dans des architectures classiques ou contemporaines. Il avait le sens du décor, comme au cinéma. Les formes sont simples, évidentes, épurées. Il voulait qu’une pièce soit toujours plus utile, à la fois table et bar, table de jeu réversible, à tiroirs secrets… »
On n’y trouve jamais de plastique, uniquement de l’acier, du verre, du marbre, du bois et du laiton. Sur les canapés, surtout des peaux, de pécari, de sanglier ou d’antilope, plus rarement du tissu. « Sa vie était très gaie, brillante, il n’a jamais été snob, conclut sa femme. C’est une belle histoire, sincère, élégante et légère. »
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