En février dernier, le Madrid Design Festival illustrait son thème, « Redesigner le monde », en exposant des acteurs du design espagnol et international, dont beaucoup sont partisans de la dimension humaine et du fait main. Musées, showrooms et studios de créateurs, expositions, conférences ou visites de studios… tous montraient leur volonté d’incarner le changement. Revue de détails en cinq volets.
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1 – Le fait main à l’honneur
Le craft design dominait à l’Institucion Libre de Ensenanza, un bâtiment ultra-contemporain investi par le Madrid Design Festival. Là, l’événement « Fiesta Design » immergeait les visiteurs, dès le rez-de-chaussée, dans de nombreux projets d’artisans, tel ce claustra en brique de Tomás Alía, sculpture participative réalisée dans la région de Castilla-La Mancha. À l’étage, on pouvait admirer les grandes tapisseries Tangible Transformations, de l’artiste et activiste hollandaise Claudy Jongstra (Galerie Villa dell Arte), réalisées à la main, selon des techniques traditionnelles n’utilisant que des teintures végétales, avec la laine des moutons drenthe heath de sa ferme biodynamique.

Exposées au Victoria & Albert Museum de Londres ou au MoMA, à New York, ses œuvres procèdent d’un système de production circulaire. La laine, encore elle, formait un décor surréaliste dans l’installation Tissages de filets, d’Inés Sistiaga et Regina Dejiménez, réalisée en collaboration avec Ramón Cobo, fondateur de WoolDreamers, une entreprise lainière traditionnelle qui veille à protéger une espèce de moutons de la région de Valence menacée d’extinction tout en redynamisant ce secteur.
Dans un entrepôt reconverti du quartier d’Arganzuela, l’exposition « Uprooted », du designer Jorge Penadés, faisait découvrir son mobilier en bois d’olivier. Fils d’ébéniste, il accompagnait cette collection d’une solide réflexion économico-écologique, menée avec la commissaire Seetal Solanki à propos de cette essence de bois négligée par les designers.

Enfin, chez l’éditeur de mobilier Gan, associé à la commissaire d’exposition Marta Valea de Caotics, le craft design 2025 était incarné (entre autres créations invitées) par la lampe en forme d’animal Hector en grès chamoté noir d’Irene Sanchez Carillo (Carillo Studio) ou par le luminaire cubique en cuir piqué sellier Animal de compagnie de la créatrice Mara Matey.
2 – De la réutilisation à foison
Le designer Lucas Muñoz Muñoz s’est nettement distingué sur le thème de la réutilisation des matériaux issus de chantiers. Dans un ancien théâtre du quartier Chamberi, il avait déjà livré le restaurant Mo de Movimiento, entièrement conçu avec des matériaux récupérés sur place avec des jeunes défavorisés de l’association Norte Joven, qui apprennent des métiers manuels (plomberie, électricité, menuiserie…). Les bancs sont fabriqués à base de débris et les luminaires, avec d’anciennes lampes de stationnement.

Lucas Muñoz Muñoz réutilise plus qu’il ne recycle, opérant ainsi un choix très économique. Il vient aussi de concevoir le nouveau showroom de l’éditeur de mobilier Sancal. Situé au quatrième étage d’un immeuble de bureaux construit à Madrid en 1966 par l’architecte Antonio Lamela, celui-ci est une démonstration de réemploi très convaincante. Par exemple, l’aluminium qui isolait le plancher a servi à concevoir d’élégants murs métalliques.
Rien ne s’est perdu non plus pour concevoir le nouveau restaurant Tramo, du studio d’architecture Selgascano, dans un ancien garage-salle de concert culte de la Movida. Tous les matériaux ont été réutilisés selon les principes de construction écologique. Le designer Andreu Carulla a été sollicité pour réaliser le mobilier en bois et les luminaires, achevant de donner une touche toute naturelle à ce restaurant autosuffisant en énergie.
3 – Des lampes en matériaux recyclés
À la grande exposition de luminaires intitulée « La Linea Sueña », au centre culturel Francisco Cerna, la designeuse Andreina Raventós exposait deux étonnantes lampes fleurs baptisées Cayenas ressemblant à du verre coloré… En réalité, des fleurs de Cayenne et du plastique recyclé ! On retrouvait aussi le designer Lucas Muñoz Muñoz avec ses grandes lanternes Pulp (Polystyrene Upgraded Life), dignes du verre de Murano ancien mais en polyuréthane recyclé – tous les matériaux provenant d’un rayon d’un kilomètre autour de son studio.

La journaliste Teresa Herrero et le photographe Ciucio Guttiérez ont de leur côté organisé (dans un vrai magasin de matériaux de construction !) une effervescente exposition de lampes où l’on pouvait repérer une élégante suspension en canettes de bière signée de l’agence de design U-ak.
Enfin, dans un couloir en rez-dechaussée de l’hôtel Only You, l’exposition « La Luz de Coderch », imaginée par le neveu du grand architecte catalan José Antonio Coderch de Sentmenat (1913-1984), faisait découvrir, outre ses lampes cultes en feuille de bois rééditées par Tunds, son tempérament ombrageux et ses correspondances avec Pablo Picasso et Marcel Duchamp.
4 – Des échanges culturels
Le site principal de l’Institucion Libre de Ensenanza accueillait l’exposition de l’architecte allemand Frank Oehring, dont les dessins sont aussi beaux que les lampes en aluminium, néon et verre acrylique. La plus célèbre d’entre elles est la grande qui ornait l’ICC (Internationales Congress Centrum) de Berlin, typique de la fin des 70’s.

L’aspect artisanal et humain, au sens d’échanges de cultures, est présent dans tout ce que crée le designer espagnol Alvaro Catalán de Ocón. La foule s’est pressée dans son studio, jusqu’à 4 heures du matin, pour admirer ses tapis (chez Gan) figurant des cartes géographiques de fleuves, ses nouvelles tables à pois multicolores, ses tapisseries fabriquées au Ghana, elles aussi ressemblant à des plans – d’habitations en l’occurrence.
Tout cela se mariait bien avec la collection « M’Afrique » de Moroso, les luminaires de Gino Sarfatti (Astep) et les installations de l’artiste colombienne Adriana Marmorek projetant au mur une robe de mariée en feu. Enfin, l’exposition « Femme X Femme », sur le design au féminin, installée dans le studio d’architecture Moneo Brock, dans un quartier où fourmillent les artisans d’exception, était tout aussi captivante.
5 – Des remises de prix
« Pas de progrès sans culture », semblent penser les acteurs du design espagnol et ses ardents promoteurs quand ils décernent des prix. Cette année, au fil des visites, Tatu, une lampe à poser comme un gros tube, éditée par Santa & Cole, captait l’attention. Elle est l’œuvre du designer André Ricard, 95 ans, qui s’est vu remettre un prix Madrid Design Festival Award pour son œuvre mais aussi pour son art de la transmission.

Un autre MDF Award a été remis à l’architecte d’intérieur néerlandaise Petra Blaisse (fondatrice du studio Inside Outside en 1986), distinguée pour ses projets d’architecture intérieure, de paysagisme, de scénographies d’exposition et de design textile. Troisième récipiendaire, le styliste de mode anglais Paul Smith. Interviewé à cette occasion par Deyan Sudjic, directeur du Design Museum de Londres, le créateur a fait montre d’une exceptionnelle connaissance du design et de l’objet.
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