Parmi les maisons de champagne, Perrier-Jouët occupe une place à part, portée par des collaborations avec des designers qui développent une pensée critique. Au-delà de la beauté de l’objet qu’est l’emblématique bouteille aux anémones du Japon dessinée en 1902 par Émile Gallé, il s’agissait déjà, à l’époque, de dialoguer avec les idées fondatrices de l’Art nouveau – le retour à l’artisanat et la création de beaux objets utilitaires.
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Totems vertueux
« La relation entre la nature et l’art est directement liée à l’ADN de la maison, résume Caroline Bianco, nouvelle directrice du style de Perrier-Jouët et ex-directrice adjointe de l’Atelier Luma à Arles. Il ne nous suffisait plus de dessiner sa beauté; nous voulions agir pour elle. » Logiquement donc, le design audacieux et écosensible d’Andrea Trimarchi et Simone Farresin, fondateurs du studio Formafantasma, clignotait déjà depuis un moment sur les radars de Perrier-Jouët.

« Tout a commencé par une demande de projet pour une installation à Design Miami 2024 et une invitation à venir à Epernay, dans la Marne, au siège de Perrier-Jouët, raconte Simone Farresin. Il nous est vite apparu que l’important était ce qui se passait dans les champs; les défis posés par la monoculture et la façon dont la viticulture régénératrice, qui fait cohabiter sur une même parcelle diverses espèces de plantes (un programme expérimental mis en place depuis 2021 par Perrier-Jouët sur plus de 40 % de son vignoble, NDLR) pouvait contribuer à mieux restaurer l’écosystème. Faire voyager une sculpture gigantesque partout dans le monde n’avait aucun sens pour nous. Au contraire, il nous a semblé évident de développer une intervention dans la nature. Nos recherches sur la biodiversité ainsi que la collaboration avec le comité scientifique de Perrier-Jouët nous ont amenés à penser que nous pourrions, à notre échelle, contribuer à renforcer l’écosystème local… »
D’où ce projet-manifeste, à a fois ambitieux et généreux : Cohabitare. Son premier chapitre, L’Îlot de la biodiversité, a été dévoilé fin septembre 2024 à Ambonnay (Marne). Sur un terrain de 285 m2 , le duo de Formafantasma a « planté » 74 totems en terre cuite émaillée.

Certes, ces sculptures ont, entre autres, le rôle de tenir les humains à une distance raisonnable de la faune et de la flore. On pourrait imaginer qu’elles sont un hommage à Ettore Sottsass. Et ce, d’autant plus qu’avant de passer par la Design Academy d’Eindhoven (Pays-Bas), les deux designers ont étudié à Florence, là où le mouvement du design radical italien a fleuri.
Projet collaboratif ambitieux
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Cohabitare est avant tout un dispositif vertueux pour l’écosystème. Une partie des modules constituant les totems est en effet percée de trous de diamètres variés qui serviront d’habitats pour insectes, oiseaux, plantes… « La suite du projet passera par la rénovation d’une grange et d’une tour. La première accueillera les personnes qui travaillent dans les champs et des petits groupes de visiteurs, la seconde sera elle aussi destinée aux insectes et aux animaux. Lorsque vous créez une architecture, vous devez également penser à l’espace qui en découle. Cette création est donc beaucoup plus qu’une installation », poursuit avec conviction le duo de Formafantasma.

« Cohabitare est un projet collaboratif très ambitieux appelé à se dérouler sur le long terme. Nous devions trouver un moyen de faire voyager non l’installation, mais les idées », confie Caroline Bianco. C’est donc pour favoriser leur circulation qu’est né Le Banquet de la nature, organisé autour de la cuisine, majoritairement végétale, de Pierre Gagnaire.
À Miami, pendant la dernière édition d’Art Basel/Design, les conversations sur l’artisanat et la (bio)diversité pétillaient donc autour de la table, tout autant que le blanc de blancs, servi dans des verres Lobmeyr peints à la main de délicats motifs floraux signés des designers italiens « Depuis toujours, notre façon de travailler n’est pas basée sur des dessins mais sur la conversation », conclut sobrement le duo.
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