Le Food Design : quand designers et chefs repensent nos assiettes

Que peut le design pour le culinaire? Dans les écoles d’art, les masters Food Design y répondent en mettant l’accent sur le vivant et les réflexions sur les tables de demain. Une sorte de recherche et développement sur la forme autant que sur le fond, où le futur designer deviendra un chef d’orchestre, tout à la fois chercheur et directeur artistique. Explications.

La discipline du food design, qui a émergé avec des pionniers comme Marti Guixé ou Marc Bretillot dans les années 1990, se trouve à la croisée des chemins et englobe de multiples définitions et applications. On pense d’abord aux packagings imaginés par les designers. Si on creuse davantage, on imagine que les aliments industriels eux-mêmes se sont vu imposer une forme par l’humain, comme la petite biscotte rectangulaire, le sachet de thé pyramidal ou le sandwich triangle.


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Le beau au service du bon

Pourtant, lorsque la question est posée à trois directeurs de masters Food Design des écoles de Reims, de Nantes et de Bruxelles, la réponse tombe sans équivoque : le design permet surtout de s’interroger.

Les recherches culinaires du Noma Projects, supervisées par le chef René Redzepi, donnent lieu à la vente de garums (condiments), de pralinés et de vinaigres.
Les recherches culinaires du Noma Projects, supervisées par le chef René Redzepi, donnent lieu à la vente de garums (condiments), de pralinés et de vinaigres. FRITZ BUZIEK

« Le seul aboutissement de notre discipline n’est pas la création d’un objet, tient à préciser Germain Bourré, designer et responsable de la section Design&Culinaire de l’École supérieure d’art et de design de Reims (ÉSAD). Nous sommes là pour questionner le processus. Se demander si telle matière est plus utile qu’une autre, par exemple. »

Pour Lauriane de Paoli, coordonnatrice de l’Executive master Food Design, à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, la food est un médium comme un autre, elle développe une vision plus globale : « On peut en faire des peintures, créer des objets, retravailler l’aliment jusqu’au bout, réfléchir à ce que l’on considère moins noble ou non consommable… Il y a des milliers de questions à se poser. »

« Le seul aboutissement de notre discipline n’est pas la création d’un objet » tient à préciser Germain Bourré, designer et responsable de la section Design&Culinaire de l’École supérieure d’art et de design de Reims (ÉSAD).
« Le seul aboutissement de notre discipline n’est pas la création d’un objet » tient à préciser Germain Bourré, designer et responsable de la section Design&Culinaire de l’École supérieure d’art et de design de Reims (ÉSAD). QUENTIN DUFOUR

Même raisonnement chez Julia Kunkel, directrice du Food Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique : « C’est un réseau de recherches que l’on pousse. C’est-à-dire que l’on tire des fils en étudiant la consommation, la transformation de l’alimentaire. Le design se positionne dans la réflexion du système de valorisation des déchets autant que pour dessiner le supermarché de demain ou, effectivement, penser les emballages. »

Un levier pour repenser l’alimentation

L’alimentation est un enjeu crucial de notre époque. Le design a donc toute sa place pour lui redonner du sens. Les diplômés seront embauchés dans des agences de communication ou d’architecture, en recherche et développement (R&D), en marketing dans de grandes collectivités ou en tant que styliste culinaire, chef événementiel, directeur artistique d’une marque alimentaire… Pourtant, les industriels sont encore rares à parier sur les designers pour changer le système.

Le projet « Ploum : la glace qui remplume! », d’Élise Gachet, titulaire d’un master Design de L’École de design Nantes Atlantique. Développé en collaboration avec les diététiciennes du CHU de Nantes, l’oiseau qui sert à tenir les bâtonnets incite les enfants hospitalisés à se nourrir
Le projet « Ploum : la glace qui remplume! », d’Élise Gachet, titulaire d’un master Design de L’École de design Nantes Atlantique. Développé en collaboration avec les diététiciennes du CHU de Nantes, l’oiseau qui sert à tenir les bâtonnets incite les enfants hospitalisés à se nourrir JEAN-CHARLES QUEFFÉLEC POUR L’ECOLE DE DESIGN

« Ces masters sont jeunes, tempère Julia Kunkel (celui de Nantes a ouvert en 2019, NDLR). Nous tentons de travailler au maximum avec des entreprises. Nous avons, par exemple, cherché des solutions avec la section R&D d’EDF pour cuisiner sans énergie et développer la sobriété énergétique. Le design est encore trop vu comme un outil pour “marketer” un produit, or il faut nous solliciter dès le positionnement! » 

Lorsque le Noma, élu cinq fois meilleur restaurant au monde, ouvert en 2003 et basé à Copenhague, a annoncé fermer définitivement ses portes, nombre d’amateurs ont crié au scandale. Cependant, cette année, son chef René Redzepi, qui n’a jamais abandonné la partie laboratoire de l’établissement, donne vie à Noma Projects pour mettre en valeur les résultats de quinze ans de recherches. Via un abonnement à la plateforme, des expérimentations culinaires seront proposées à la dégustation ainsi que des invitations à dîner.

Diplômée d’un master Food Design de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, Laurie Gréco lors de son workshop sur le stylisme culinaire, au sein de l’établissement en janvier
Diplômée d’un master Food Design de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, Laurie Gréco lors de son workshop sur le stylisme culinaire, au sein de l’établissement en janvier Maurine Toussaint

« Notre section R&D était une nécessité. Au Danemark, les produits locaux sont rares entre octobre et mars. En travaillant sur la préservation des saveurs, la fermentation s’est imposée à nous. Aujourd’hui, nous l’utilisons comme un outil, au même titre qu’un couteau ou une mandoline. Le potentiel des bactéries et micro-organismes est immense ! », s’enthousiasme Thomas Frebel, chef et directeur créatif du projet.

Au sein de cette matériauthèque de saveurs, où designers et chefs travaillent main dans la main, « nous réfléchissons pour évoluer de manière créative, mais aussi pour s’adapter aux conditions climatiques changeantes ».


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