Vendredi 28 juin, 18 heures, Toulon. Artistes, designers, journalistes, amis et autres curieuses se pressent dans la cour de l’ancien Évêché. Jean-Pierre Blanc, tignasse de cheveux grisonnants, barbe bien fournie, uniforme du sudiste et visage bronzé, inaugure en grande pompe le festival Design Parade Toulon 2024. Le directeur de la villa Noailles et fondateur de l’événement récompensant les up and comers de l’architecture d’intérieur a confié cette année la présidence du jury à Marion Mailaender, dont le studio est basé entre Paris et la cité Phocéenne a signé les sublimes décors du Tuba Club de Marseille. Qui de mieux pour diriger ce concours ayant pour thème la Méditerranée ? Quant aux finalistes, ils embarquent les visiteurs dans leur monde fascinant et onirique. Tour d’horizon des projets ayant le plus marqué la rédaction.
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Terre d’accueil
Premier étage de l’ancien Évêché. Intérieur jour. Une salle baignée de lumière, une musique apaisante, une senteur enveloppante, des assises géométriques aux couleurs comme patinées par les rayons UV… Au sol, les empreintes des passants laissées dans le sable – symbole du temps écoulé – ressemblent à des motifs kaléidoscopiques. Ici, Sébastien Gafari et Sara Guédès ont imaginé un palazzo déchu réinvesti par des voyageurs de passage. “Nous revisitons les codes du palais méditerranéen afin de raconter l’histoire déchirante de la migration, de ces individus arrachés à leurs terres, en quête d’ancrage, explique Sébastien. L’architecture d’intérieur n’est pas futile, elle évoque des valeurs profondes de sécurité, de culture.”
Le jeune homme a intégré à la scène quelques-unes de ses œuvres réalisées à partir de trumeaux, au centre de sa pratique artistique. “J’ai toujours été fasciné par ces panneaux, entre mobilier et immobilier, souvent les seules choses que l’on se transmet de génération en génération, puisqu’elles font partie des murs. Lorsque j’étais enfant, les grandes demeures séculaires de mes amis me fascinaient, moi qui, issu de l’immigration, ai laissé mes racines au Liban.” Les secondes s’étirent, il fait bon vivre dans cette pièce pensée comme un refuge, une terre d’accueil.
Garder la tête froide
En Méditerranée, les locaux ont leurs habitudes pour tenter d’éviter d’étouffer au cœur de l’été. La journée, on ferme fenêtres et volets, qu’on ouvre une fois la nuit et les températures tombées. Désireuse de sortir d’une décoration fiction au profit d’une architecture d’intérieur en situation, Anaïs Fernon a cherché une alternative pour rafraîchir l’espace tout en profitant du paysage. Cette alternative beaucoup plus écologique à la clim est un double rideau placé devant la fenêtre ouverte.
Le premier est une moustiquaire composée de pampilles d’aluminium qui renvoient les rayons du soleil vers l’extérieur. Le second est une optimisation du rideau provençale en perles de buis. Lorsque le vent s’engouffre dans la pièce, les rectangles de céramique poreuse accrochés aux cordons en lin, humidifiés par un système de goutte à goutte, rafraîchissent l’air ambiant de quelques degrés. Assis sur les banquettes au ras du sol – là où il fait plus frais – conçues spécialement pour l’occasion, difficile de croire qu’il s’agit de la pièce la plus chaude du bâtiment.
Voyage immobile
À des années lumières des wagons Ouigo et des trains couchettes de notre enfance, Alice Roux et Mattia Listowski ont mis en scène la cabine de train de leurs rêves. À une époque où la voie ferrée est à privilégier, où l’on imagine la durée des trajets se rallonger, le couple à la ville comme à la scène fantasme l’Orient-Express et autres rames mythiques à la déco léchée dans une version contemporaine. Cet écrin feutré coupé du monde devient le théâtre de paysages magnifiques qui défilent derrière les vitres. Tablette avec espaces de rangement réversible ambiance rétrofuturiste, couchette cocon, coin pour la toilette… On se croirait pénétrer un film de Wes Anderson. Magique.
Fondre comme neige au soleil
Le conte écrit par Juliette Simeone et Amélie Dandoy est à la fois fantastique, poétique et monstrueusement réaliste. Ensemble, elles imaginent un déjeuner face à la mer. Le four solaire grandeur nature aux parois miroir utilisé pour cuisiner a si bien fonctionné – réchauffement climatique oblige – que tout a brûlé, faisant fuir les convives, laissant derrière eux les vestiges de ce festin à la façon des natures mortes néerlandaises du XVIIe siècle. Les verres à pied, couverts-bijoux et autres accessoires en aluminium dégoulinent sur la table parsemée de coquillages et autres ammonites de métal. Autant de ruines de souvenirs pris sur le vif, tel un Pompéi des temps modernes.
La beauté de l’éphémère
“L’utilisation massive de la plaque de plâtre, après la guerre, a uniformisé nos intérieurs et fait disparaître les ornemanistes – pourquoi passer du temps à décorer et embellir une structure dont la durée de vie ne dépasse pas une trentaine d’années ?” insiste Willie Morlon dont le projet, Placo Studiolo, a décroché le Grand Prix du jury Van & Cleef & Arpels. Souhaitant redorer le blason de ce matériau pauvre, le Bruxellois a réalisé une pièce façon villa baroque entièrement en marqueterie de placo, utilisant différents types de BA13 non pas pour leurs propriétés techniques (hydrofuge, acoustique, ignifuge…) mais pour leur esthétique (une couleur est associée à chaque propriété).
Le résultat ? Un salon intriguant au décor Art Nouveau bourré de détails. “Lors de son oral, Willie nous a dit que son projet n’avait pas d’avenir”, confie Marion Mailaender, présidente du jury de cette 8e édition de Design Parade Toulon. En revanche, le sien sera sans doute brillant.
> Les projets des candidats sont à découvrir jusqu’au 3 novembre 2024 à l’ancien Évêché, 69 cours Lafayette, Toulon. Entrée libre du mardi au samedi de 11h à 18h et le dimanche de 11h à 15h. Plus d’information ici.
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