Art : les cinq artistes suisses les plus célèbres aujourd’hui

Le centre Paul-Klee, à Berne, le musée Tinguely, à Bâle, la Fondation Beyeler, à Riehen… la Suisse comptabilisait officiellement 1 111 musées en 2015 ! Et sa foire Art Basel est devenue le rendez-vous incontournable des amateurs et collectionneurs d’art contemporain.

Dans ce paysage culturel favorable, les artistes prolifèrent. Peintres, sculpteurs ou performeurs… la renommée de l’art suisse a depuis longtemps dépassé les frontières de ce pays montagneux d’Europe centrale. Sélection de cinq artistes suisses les plus célèbres.

Pipilotti Rist, la moderniste

Une expérience pixellisée et colorée 

Robe bleue, chaussures rouges, une femme marche en brandissant une fleur tropicale, géante et turgescente. Elle sourit. Soudain, elle s’approche d’une voiture et, dans un mouvement aussi spectaculaire qu’harmonieux, frappe la fleur devenue massue contre l’une des vitres. Elle poursuit son chemin et procède de même sur le véhicule suivant, et ainsi de suite, au son d’une musique envoûtante interrompue régulièrement par celui de bris de glace. Cette vidéo, présentée en 1997 et intitulée Ever Is Over All, dans laquelle Pipilotti Rist transforme une impulsion destructrice en un geste cathartique, est l’une de ses premières installations à grande échelle et son œuvre phare : elle y définit son langage visuel fait d’images suggérant la sexualité féminine mêlées à d’autres représentant la nature, construisant ainsi un monde à la fois réel et fantaisiste. À bientôt 60 ans, la plasticienne, qui décrit ses œuvres comme des « poèmes en mouvement », crée des installations immersives explorant le corps, le genre, la peinture, la technologie et fortement inspirées de la pop culture, notamment la musique et la télévision.

Image extraite de la vidéo Ever Is Over All (1997),entre destruction et catharsis.
Image extraite de la vidéo Ever Is Over All (1997),
entre destruction et catharsis. Gian Marco Castelberg

Urs Fischer, pilier de l’art suisse

Une histoire de décomposition

Sculpteur incontournable de la scène contemporaine, mais faisant également appel au dessin, à la peinture et à la photographie, Urs Fischer est pétri de références au pop art, au surréalisme et au néo-dada, ou encore à l’Internationale situationniste. Guy Debord (1931-1994), fondateur de ce courant avant-gardiste, affirmait vouloir « changer le monde par un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Alors, à l’aide de matériaux le plus souvent dégradables, Urs Fischer (né en 1973, à Zurich) explore le faire et le défaire : la reproduction en paraffine de L’Enlèvement des Sabines, une sculpture de Giambologna du XVIe siècle, qui se consume inévitablement (vue récemment à la Bourse de Commerce – Pinault Collection) ; la Maison de pain picorée de l’intérieur par un couple de perroquets ; la réplique du Baiser, de Rodin, en pâte à modeler blanche que les visiteurs étaient invités à toucher et même à transformer… En sublimant l’éphémère, Urs Fischer témoigne de la décomposition inéluctable et de la finitude.

> ursfischer.com

Panneau composite en aluminium et sérigraphie Blue Shield (2019).
Panneau composite en aluminium et sérigraphie Blue Shield (2019). DR

Andrea Wolfensberger, la poétesse de l’art suisse

Le visible et l’invisible 

En 2017, les visiteurs de l’Asinerie, au Domaine de Chaumont-sur-Loire, découvraient, fascinés, une sculpture à taille humaine (160 x 230 x 160 cm) tout en carton ondulé, intitulée 01. Zwischen Null Und Eins. Composée d’éléments de même longueur et de même épaisseur, collés et superposés à intervalle régulier mais décalés, cette pièce formait une surface mouvante, un paysage de vaguelettes semblant évoluer au gré du vent. Pourtant, cette œuvre poétique symbolise la transcription exacte d’enregistrements numériques, celles de voix humaines prononçant dans différentes langues les mots « zéro » et « un ». « Arrêter le temps, capturer l’instant, saisir le mouvement », telle est l’ambition d’Andrea Wolfensberger, née en 1961, à Zurich, et qui, quel que soit le médium – peinture, dessin, vidéo ou sculpture –, s’efforce de rendre visible l’invisible.

> andreawolfensberger.ch

Zwischen Null Und Eins (« Entre zéro et un »), installation d’Andrea Wolfensberger pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire (2017).
Zwischen Null Und Eins (« Entre zéro et un »), installation d’Andrea Wolfensberger pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire (2017). Eric Sander

Miriam Cahn, la révolutionnaire

Une inquiétante étrangeté

Nues et chauves, le sexe apparent, des silhouettes énigmatiques émergent de paysages nébuleux. Elles plantent leur regard dans les yeux des spectateurs. Un face-à-face qui provoque un fort sentiment de solitude. Ces figures spectrales, c’est dans son atelier de Bregaglia, situé dans la vallée de l’Engadine, en Suisse, que Miriam Cahn (née à Bâle, en 1949) les réalise, à l’huile ou au fusain, chaque jour depuis la fin des années 60. Elle remet quotidiennement son ouvrage sur le métier comme s’exercerait un musicien ou comme on écrirait un journal intime. Celui d’une féministe engagée qui se bat pour le respect de la dignité humaine en dénonçant la complexité des liens entre le sexe, le pouvoir et la mort. Son œuvre singulière fut de nombreuses fois récompensée, notamment en 2005, lorsqu’elle reçut le grand prix suisse d’art / prix Meret-Oppenheim.

(À gauche) Schwarzermannich, 19.7.18 (2018), huile sur toile. © Marcus tretter / © Markus Muhlheim (portrait)(À droite) So Fühle Ich Mmich, 7.6.19 (2019), huile sur bois.
(À gauche) Schwarzermannich, 19.7.18 (2018), huile sur toile. © Marcus tretter / © Markus Muhlheim (portrait)
(À droite) So Fühle Ich Mmich, 7.6.19 (2019), huile sur bois. Berlin

Thomas Hirschhorn, l’artiste engagé

L’art est politique

Séduit par les positions du collectif français Grapus, qui revendique recherche graphique et engagement politique, social et culturel, Thomas Hirschhorn décide, en 1984, à l’âge de 27 ans, de quitter sa ville natale de Berne pour s’installer à Paris. Depuis, fidèle à ses idées de jeunesse, le sculpteur transgresse les frontières entre art classique et culture populaire, choisissant de travailler avec des matériaux pauvres (carton, papier aluminium, ruban adhésif, plastique…). Une fois assemblés, ces différents éléments constituent des « faisceaux d’énergie », des « champs de formes et de forces » qu’il enrichit de textes d’écrivains, de Georges Bataille à Ingeborg Bachmann, et de coupures de journaux. En 2000, l’année où le prix Marcel-Duchamp (le premier) lui est décerné, il déclare : « Je suis un artiste, travailleur, soldat. » Et rebelle aussi, puisqu’il préfère exposer dans des espaces livrés aux intempéries et au vandalisme – rues, passages souterrains, plages ou cages d’escalier – plutôt que dans les salles de musée.

> thomashirschhorn.com

Exposition « Eternal Ruins », à la Galerie Chantal Crousel, Paris (2020).
Exposition « Eternal Ruins », à la Galerie Chantal Crousel, Paris (2020). ©Martin Argyroglo

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