City-guide : Zurich, l’über chic

Derrière son image de puissante place financière de l’Europe, Zurich se révèle une métropole cosmopolite où l’architecture contemporaine fait corps avec le pittoresque de la vieille ville. Cultivée, avant-gardiste, frondeuse – le dadaïsme est né ici –, la cité lacustre offre un espace public imprégné par l’art.

Même si Zurich compte aujourd’hui, à l’instar de Paris, parmi les communes les plus chères du monde, l’énergie qu’elle dégage aimante toujours autant les visiteurs. IDEAT est parti à la découverte de cette ville au charme naturel.

Pour peu que l’on arrive de l’est par le train, on aura longé Zürichsee, son lac en forme de banane, et laissé sur l’horizon les neiges préalpines. Quarante kilomètres de rives fertiles, de Goldküste (cette autre Côte d’Or que constitue la rive droite) nappée de vignes et de vergers, de clochers, de ports miniatures, de pêcheurs de brochet et de scolaires en régate d’Optimist. Puis les berges de la Limmat et leurs fameux badi, des bains publics où, selon l’heure et la saison, on vient piquer une tête, danser pieds nus, se faire une toile sous les étoiles ou lâcher ses toxines au sauna.

Facile de plonger dans le bain de la « Little Big City », puissante place financière certes, mais aussi pépite à taille humaine. Nous voilà sur le quai de Hauptbahnhof, la gare centrale, pile à l’heure du coucou suisse. « La routine ! » semble ajouter Alfred Escher, du haut de sa stèle sur le parvis, lui qui, politicien visionnaire allait, dès 1848, influencer de sa vista le tout jeune État fédéral.

Sa façade bleue, néo-Bauhaus, fait figure de phrase à Tribeka, quartier branché. Terrasse ensoleillé et gastro-pub, l’hôtel Greulich est devenu incontournable (à gauche). / en plein Zurich, le designer Werner Aisslinger et son équipe ont pensé le 25hours Hotel Langstrasse comme un univers où les mondes de la finance et du quartier rouge, de l’art et de l’argent, ne s’opposent pas mais fusionnent (à droite).
Sa façade bleue, néo-Bauhaus, fait figure de phrase à Tribeka, quartier branché. Terrasse ensoleillé et gastro-pub, l’hôtel Greulich est devenu incontournable (à gauche). / en plein Zurich, le designer Werner Aisslinger et son équipe ont pensé le 25hours Hotel Langstrasse comme un univers où les mondes de la finance et du quartier rouge, de l’art et de l’argent, ne s’opposent pas mais fusionnent (à droite). Bruno Comtesse

Pionnier des chemins de fer helvétiques, le Zurichois fut, entre autres, à l’origine du révolutionnaire tunnel du Gothard ainsi que de l’actuel Crédit suisse ou de l’École polytechnique fédérale de Zurich (l’EPFZ, surnommée « Poly » ou « ETH »), fierté nationale qui vit passer Albert Einstein et pas moins de vingt autres Prix Nobel après lui. Un tour de la vieille ville révèle à quel point Zurich – qui désigne en même temps le lac, le canton et la ville – a bâti des ponts entre libéralisme et dissidence. Grossmünster, l’église et ses deux tours emblématiques, marque le point de départ de la Réforme en Suisse alémanique, menée il y a tout juste cinq cents ans par Ulrich Zwingli, son iconoclaste curé devenu pasteur.

À ses pieds, Niederdorf, le « bas village », cultive son passé haute époque sur les enseignes et blasons des Zünfte, les guildes et corporations, qui régissaient jadis la vie de la cité. Est-ce ce parfum de fronde qui poussa, au début du XXe siècle, émigrés politiques, réfugiés de guerre, communistes et artistes à coloniser le quartier ? Au no 14 de la verdoyante Spiegelgasse, Lénine fomentait la Révolution russe entre 1916 et 1917, pendant qu’au no 1 de la même rue, le Cabaret Voltaire enfantait le dadaïsme, mouvement barré, aussi célèbre qu’éphémère. Aujourd’hui, les boutiques, squares et terrasses trendy tout autour lui valent d’être le mètre carré le plus cher de la ville. 

Quatorze lignes de tramway sillonnent la ville. La ligne 14 relie les principaux établissements culturels.
Quatorze lignes de tramway sillonnent la ville. La ligne 14 relie les principaux établissements culturels. Bruno Comtesse

Züri West, cet autre Berlin

Un toast s’impose également un peu plus bas, dans le Triangle d’or, qui réunit le littéraire Café Odéon et le célèbre restaurant Kronenhalle, indéboulonnable place to be depuis un siècle, là où Thomas Mann et James Joyce devisaient sous les toiles de Miró, de Picasso ou de Chagall des tropismes de la Mitteleuropa. Cuirs émeraude et lambris modernistes vernis d’éternité, le bar ultra-chic ne peut que rendre hommage à Robert Haussmann, son designer, disparu en septembre dernier et qui formait avec sa femme Trix le couple d’architectes suisses le plus connu du XXe siècle. En face, sur l’autre rive de la Limmat, l’adorable Schipfe, l’un des plus anciens quartiers de la cité, et ses hangars à bateaux, réitère ce sursaut dans le temps.

Avec, tout en haut, Lidenhof, le belvédère aux tilleuls, qui offre la carte postale parfaite. Pour prendre le pouls de la ville du XXIe siècle, direction Züri West, comme on appelle ici son versant bohème, berlinois en diable. Dans l’ex-friche industrielle des Kreis (arrondissements) 4 et 5, où l’establishment ne mettait jamais les pieds il y a encore vingt ans, une poignée de promoteurs audacieux s’est emparée des vieilles cathédrales ouvrières saturées de suie et de bruit. Certaines furent rasées pour reconstruire du neuf, d’autres devinrent les nouveaux temples de la culture mainstream, tel le Schiffbau.

Swarzenbach, la référence zurichoise en matière de café, thé et chocolat depuis plus de cent ans (à gauche) / Chez Walter Möbel & Wohnaccessoires, une très belle sélection de mobilier et d’objets coordonne design et vintage (à droite).
Swarzenbach, la référence zurichoise en matière de café, thé et chocolat depuis plus de cent ans (à gauche) / Chez Walter Möbel & Wohnaccessoires, une très belle sélection de mobilier et d’objets coordonne design et vintage (à droite). Bruno Comtesse

Coup de poker ou déclic expérimental, l’ancien chantier naval d’où sortaient des bateaux pour le Danube ou l’Amazone allait sceller l’avenir du quartier. Ses 15 000 m2, réhabilités à grands frais par la Ville et quelques mécènes, abritent les trois scènes du Schauspiel, le très en vue théâtre national, avec night-club éclectique, bistrot réputé et rooftop bar. L’avènement d’un art de vivre expressif, plus slow, moins commercial, naquit sur ces premières pierres culturelles. Tribeka, littéralement « Triangel Beim Kanzleiareal », talon coincé entre les voies ferrées à l’ouest et au nord, et les rives de la Sihl à l’est, s’est gentrifié sans renier son passé.

Y cohabitent désormais les communautés d’immigrés des années 1990 et 2000, des familles bobos en quête de plus d’espace, des oiseaux de nuit, des tables du monde entier, et parmi eux pas mal de créatifs soucieux de leur environnement. « Il y a une bonne énergie ici, pleine de gens intéressants qui aiment leur quartier et veulent le partager. Ils gèrent des boutiques, des bistrots, des bars, des food trucks ; ils sont disquaires, éditeurs, baristas, tailleurs, musiciens ou artisans d’art ; ils vendent des fleurs, des verres, du pain ; on trouve du cousu main, du fait maison préparé avec les recettes de mamie, et surtout avec respect pour la planète et pour les autres », abonde Donovan Gregory, le cofondateur du magasin Fabrikat, marchand de couleurs hors pair et directeur artistique du Designers’ Club, un studio qui cartographie, sur Tribeka.ch, tous les hot spots de ce village global.

Décor Belle Époque et vue sur les quais, La Terrasse est une brasserie chic de la vieille ville (à gauche). / Le Kachelhofe, le poêle de masse qui chauffait les maisons de l’est de l’Europe des siècles durant. Ici, une relique en faïence précieuse, à l’étage de l’hôtel Storchen (à droite).
Décor Belle Époque et vue sur les quais, La Terrasse est une brasserie chic de la vieille ville (à gauche). / Le Kachelhofe, le poêle de masse qui chauffait les maisons de l’est de l’Europe des siècles durant. Ici, une relique en faïence précieuse, à l’étage de l’hôtel Storchen (à droite). Bruno Comtesse

D’art et d’eau fraîche

Il est vrai que du Schiffbau jusqu’au Lochergut, la drôle de « montagne » de résidences sixties au pied de laquelle pullulent terrasses et speakeasys, boutiques branchées, studios de design et galeries pointues, les pavés des Kreis 3, 4 et 5 vibrent comme nulle part ailleurs à Zurich. En friche ou relooké de frais, exotique ou rétro, Züri West s’amalgame dans ce territoire de quelques kilomètres carrés aux contours rugueux ; le dadaïsme des origines y refait surface là où on ne l’attend jamais. Si New York a sa High Line, Züri West a, elle, son Viadukt, cordon de quarante arches d’une ancienne voie ferrée, où logent des commerces et même une Markthalle pour faire le plein de délices locaux, forcément healthy.

L’été, l’immense pelouse du Josefwiese devient le pré carré des familles et des corps en liberté qui, le guidon dans une main, la boule de pétanque dans l’autre, comptent les points d’une croissance inégalée. Vingt-cinq ans après l’épisode traumatisant du Letten, le Kreis 5 a définitivement tourné la page du « tourisme de la drogue » et trouvé une façon plus riante de se faire remarquer. Du sommet de la Prime Tower, longtemps la plus haute tour du pays – avant que ces frimeurs de Bâle ne surenchérissent –, le bien nommé bar Clouds, perché au 36e étage, surplombe le restaurant Frau Gerolds Garten, toujours aussi libertaire et coloré, et une Freitag Tower plus rouillée que jamais et fière de l’être depuis que deux frangins, cyclistes et sans un rond, ont mis Zurich sur la « carte du cool » mondiale avec leurs sacs trendy en bâches de camion recyclées.

Le Landesmuseum ou musée national suisse. Indispensable pour appréhender la culture locale (à gauche) et le musée des Beaux-Arts de la ville, le Zürich Kunsthaus.
Le Landesmuseum ou musée national suisse. Indispensable pour appréhender la culture locale (à gauche) et le musée des Beaux-Arts de la ville, le Zürich Kunsthaus. Bruno Comtesse

Pendant ce temps, les têtes chercheuses de Toni-Areal, l’Université des arts de Zurich, attenante à l’annexe du musée du Design, n’ont que les rails à traverser pour se retrouver à Langstrasse, ex-faubourg interlope, aujourd’hui concentré de lifestyle et de fêtes bon enfant. Enflammée de brique rouge, la LöwenBräu, remarquable réhabilitation de l’ancienne brasserie augmentée de bâtiments plus fonctionnels, hypnotise le petit monde de l’art contemporain dans ses grands lieux hauts de plafond et ses expositions d’avant-garde. Dans la première place financière du pays, l’artiste a toujours su trouver la générosité du mécène. De plus, depuis 1923, une loi fédérale oblige jeux de hasard et loteries à verser une partie des gains au financement de la culture.

La commande d’œuvres d’art pour l’espace public a donc constamment été, en période de crise, un bon moyen de soutenir les artistes. Habile « réseauteur », le peintre symboliste Augusto Giacometti (1877-1947) – l’oncle d’Alberto, le sculpteur – incarnait cette esthétique institutionnelle qui émailla les vitraux de l’église Fraumünster ou les voûtes de la Blüemlihalle, un poste de police devenu source de fierté à sa rénovation, en 2019. À l’instar des vitraux que signa aussi Chagall pour la Fraumünster ou, moins connues, les douze merveilleuses abstractions d’agate multicolores de Sigmar Polke pour Grossmünster, 1 300 œuvres font tourner la tête des touristes. Ainsi, la Nana, de Niki de Saint Phalle, qui veille sur les allées et venues de la gare centrale, ou les Towers, tournevis en brique de Los Carpinteros en hommage au passé ouvrier de Züri West, autant d’œuvres que les Zurichois semblent ne plus voir tant elles font partie du paysage. 

Le musée du Design (Museum für Gestaltung) est l’un des plus réputés au monde dans sa discipline, notamment pour sa collection d’affiches, unique en son genre ; les Suisses ayant toujours valorisé le graphisme et la typographie, la star Helvetica en tête.
Le musée du Design (Museum für Gestaltung) est l’un des plus réputés au monde dans sa discipline, notamment pour sa collection d’affiches, unique en son genre ; les Suisses ayant toujours valorisé le graphisme et la typographie, la star Helvetica en tête. Bruno Comtesse

Extension magistrale 

Si l’art contemporain a bénéficié du soutien des pouvoirs publics, c’est sans compter la vision philanthropique d’entrepreneurs humanistes. Le Zurichois Gottlieb Duttweiler, fondateur de Migros, conglomérat de l’agroalimentaire en demi-gros (d’où son nom), imagina d’affecter une partie du chiffre d’affaires de sa coopérative à des fonds non lucratifs. Le « un pour cent culturel Migros », depuis sa création, en 1957, est un levier de financement qui a favorisé l’essor de toute une génération d’artistes suisses. Rien que la collection personnelle du mécène compte 1 400 œuvres et quand le Migros Museum s’est installé en pionnier à la LöwenBräu, en 1996, cela constitua un formidable appel d’air.

Cette année, tous les regards étaient tournés vers la nouvelle aile du Kunsthaus, magistrale extension du musée des Beaux-Arts due à l’architecte David Chipperfield, plaçant d’un seul coup Zurich en ligne de force sur l’échiquier touristico-culturel européen. C’est tout le paradoxe de l’art contemporain, qui s’émeut volontiers de l’effondrement du monde, mais fait ses meilleurs scores là où le coût de la vie atteint des sommets. En 2020, une étude du magazine anglais The Economist mettait Hongkong, Zurich et Paris sur le podium des villes les plus chères du globe.

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