Art : Zoom sur la collection de la Bourse de Commerce

Face à la place des Deux-Écus, à Paris, trois drapeaux signés Erwan et Ronan Bouroullec flottent au vent. Sur 20 mètres de hauteur, ils signalent l’entrée de ce joyau architectural du XVIIIe siècle trônant au cœur d’une place circulaire et devenu la Bourse de Commerce-Pinault Collection, inaugurée le 22 mai dernier. L’une des ouvertures les plus attendues de 2021.

Le fonds d’art contemporain du milliardaire français s’inscrit dans le triangle d’or formé par le musée du Louvre, au sud-ouest, et le Centre Pompidou, à l’est. Oublié le temps des querelles administratives qui entourèrent le projet avorté de musée sur l’île Seguin, dans la banlieue ouest de Paris.

L’aventure de la Bourse de Commerce-Pinault Collection commence lorsque la Ville de Paris offre à François Pinault un magnifique écrin daté des XVIIIe et XIXe siècles, vestige d’une halle au blé circulaire. Débutés en 2017, les travaux de rénovation – d’un montant de 160 millions d’euros – s’achèvent trois ans plus tard, en pleine pandémie. Dans ce lieu désormais ouvert au public, le visiteur ne peut que s’émerveiller. 

Un bâtiment patrimonial

D’abord, il y a la rotonde de ce bâtiment patrimonial à l’intérieur de laquelle Tadao Ando a érigé un cercle en béton de 29 mètres de largeur et de 9 mètres de hauteur. Ensuite, surmontant ce « nouvel espace [qui] s’emboîte à l’intérieur de l’existant », une verrière du début du XIXe siècle et une fresque monumentale poursuivent ce dialogue entre le passé et l’avenir, entamé par l’architecte japonais.

Enfin, de part et d’autre de ce cylindre minimaliste, un escalier à double révolution, dit « des Meuniers », dominé par les pigeons naturalisés de Maurizio Cattelan, dessert les différents espaces répartis sur trois étages et les dix galeries destinées à accueillir les expositions. Celle qui inaugure la Bourse de Commerce s’intitule judicieusement « Ouverture », celle du cœur et de l’esprit, celle qui permet « de rendre accessible à quelqu’un quelque chose qui ne l’était pas », selon les commissaires de l’exposition.

Une collection riche

Ici, ni spectacle ni racolage. Les artistes semblent tous traversés des mêmes questionnements : ils touchent à l’identité, à la souffrance, à la mort… Et dans ce parcours explorant la condition humaine dans toute sa complexité, l’équipe des curateurs a non seulement évité l’écueil du trop-plein (la collection Pinault compte quelque 10 000 peintures, sculptures, photographies et autres vidéos, des années 60 à nos jours) pour se limiter à 32 plasticiens, mais a aussi privilégié les monographies.

Chaque artiste est représenté à travers un corpus composé de cinq à trente pièces, créées au cours de plusieurs décennies. Ainsi, l’accrochage comprend 30 œuvres de David Hammons (1943-), l’une des figures du Black Arts Movement, né dans les années 60 dans le sillage de la lutte pour l’égalité des droits civiques. Inspiré à la fois par le dadaïsme et l’arte povera, David Hammons utilise le plus souvent des matériaux de récupération propres à la culture afro-américaine.

Un décor d’origine

Inédite, son installation « Minimum Security », une cage métallique de la taille d’une cellule, est d’autant plus puissante qu’elle est dressée sous un décor d’origine, celui reproduisant une carte du monde de la fin du XIXe siècle et de ses routes commerciales de la période coloniale. Ailleurs, des peintures de Kerry James Marshall (1955-) ou de Lynette Yiadom-Boakye (1977-), en rendant leur visibilité aux hommes et aux femmes à la peau noire, ne font qu’amplifier leur absence de l’histoire de l’art universelle.

Leur forte représentation dans le fonds Pinault – bien antérieure au mouvement de protestation militant Black Lives Matter – est égale à l’omniprésence de la figure humaine. La galerie 3 rassemble notamment les séries photographiques de Michel Journiac, Cindy Sherman et Martha Wilson, trois personnalités qui, à la même époque, mais de part et d’autre de l’Atlantique, se mettent en scène à travers des stéréotypes pour mieux interroger le genre ou le statut social.

Une exposition au service du temps

Conçue comme un manifeste des valeurs défendues par François Pinault, « Ouverture » prône l’acceptation de la diversité et stigmatise l’injustice. Elle témoigne aussi de l’impermanence, de la vanité et du passage du temps, à l’image des sculptures en cire d’Urs Fischer, disséminées dans la rotonde, dont la réplique, grandeur nature, de « L’Enlèvement des Sabines » (1579-1583), de Giambologna, fondra progressivement au cours des prochains mois. 

A l’entrée de la Bourse du Commerce, les drapeaux argentés de Ronan et Erwan Bouroullec claquent au vent en réfléchissant la lumière. Les designers ont aussi conçu les bancs qui entourent la place.
A l’entrée de la Bourse du Commerce, les drapeaux argentés de Ronan et Erwan Bouroullec claquent au vent en réfléchissant la lumière. Les designers ont aussi conçu les bancs qui entourent la place. DR
A gauche : Rénovée par Tadao Ando, la Bourse de commerce abrite sous sa coupole de verre une peinture monumentale de la fin du XIXe siècle, qui surplombe la rotonde où à été érigé un cercle en béton imaginé par l’architecte japonais. A droite : La réplique de « l’Enlévement des Sabines », de Giambologna, entourée de chaises de toutes les époques et de toutes les cultures, est une installation d’Urs Fischer. Réalisée en paraffine.
A gauche : Rénovée par Tadao Ando, la Bourse de commerce abrite sous sa coupole de verre une peinture monumentale de la fin du XIXe siècle, qui surplombe la rotonde où à été érigé un cercle en béton imaginé par l’architecte japonais. A droite : La réplique de « l’Enlévement des Sabines », de Giambologna, entourée de chaises de toutes les époques et de toutes les cultures, est une installation d’Urs Fischer. Réalisée en paraffine. DR
Les 24 vitrines créées pour l’Exposition universelle de 1889 servent d’écrin aux sculptures de Bertrand Lavier, des objets du quotidien détournés.
Les 24 vitrines créées pour l’Exposition universelle de 1889 servent d’écrin aux sculptures de Bertrand Lavier, des objets du quotidien détournés. DR
Vue de l’exposition « Ouverture » de David Hammons à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris 2021.
Vue de l’exposition « Ouverture » de David Hammons à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris 2021.
Les Bouroullec ont notamment installé leur Rope Chair (Artek) et sa déclinaison en banc.
Les Bouroullec ont notamment installé leur Rope Chair (Artek) et sa déclinaison en banc. c) Studio Bouroullec Courtesy Bourse de Commerce - Pinault Collection Photo Studio Bouroullec