Tourisme : Bruxelles, l’épicurienne aux mille paradoxes

La capitale belge n’est pas, à première vue, une ville facile : elle ne dévoile ses charmes et son sens du savoir-vivre que si l’on prend le temps de l’apprivoiser. Aussi coquette que grise, aussi sage que turbulente, aussi piétonne qu’embouteillée ! Plongée dans une métropole pleine d’antagonismes, dont la créativité et la bonhomie emballent les esprits libres.

Une ville moche, où il fait moche, voilà la réputation peu flatteuse que traîne Bruxelles dans l’imaginaire touristique. C’est vrai que le voyageur qui débarquerait à la gare du Midi par un gris matin d’hiver ne trouverait, de prime abord, rien à redire à ce cliché… Première vision qui s’offre à lui en sortant du Thalys : un parvis lugubre où stationnent régulièrement les blindés de l’armée et où trône, mastodonte pataud de 1967, la tour du Midi. Il y a d’ailleurs un mot cruel que les urbanistes ont inventé : la « bruxellisation » ! Soit le fait de laisser une ville en pâture aux promoteurs, lesquels, dans la Bruxelles des années 60 et 70, ont rasé tout un pan de l’hypercentre pour y bâtir le quartier Nord : plus d’un million de mètres carrés de bureaux où, passé 18 heures, il n’y a plus âme qui vive.

Mille fois restaurée, la Grand Place, classée à l’Unesco, est un parfait quadrilatère serti de bâtisses du XVIIe aux toitures caractéristiques qui s’architecturent en pignons à gradins.
Mille fois restaurée, la Grand Place, classée à l’Unesco, est un parfait quadrilatère serti de bâtisses du XVIIe aux toitures caractéristiques qui s’architecturent en pignons à gradins. Ludovic Maisant

Vivante, pourtant, Bruxelles l’est bel et bien. « Comme Marseille, observe l’architecte et décorateur Lionel Jadot, Bruxelles est l’une des seules métropoles européennes dont le centre-ville est habité principalement par des gens modestes. L’ambiance, du coup, y est détendue, mélangée, sympathique. J’ai grandi à Saint-Gilles, un coin devenu très arty (la Patinoire royale, une galerie d’art aux dimensions muséales, y officie depuis trois ans, NDLR) sans pour autant que les communautés portugaises, polonaises ou marocaines, disparaissent : quand un quartier monte, ici, c’est toujours avec lenteur. » Voire avec douceur.

Dans la commune de Zaventem, aux confins de Bruxelles, l’architecte et décorateur Lionel Jadot (à droite) a investi une ancienne usine métallurgique pour en faire un hub créatif. En plus de l’agence Jadot, on trouve ici des artisans haut de gamme, un espace d’exposition et bientôt un restaurant dont la carte sera élaborée par un grand chef.
Dans la commune de Zaventem, aux confins de Bruxelles, l’architecte et décorateur Lionel Jadot (à droite) a investi une ancienne usine métallurgique pour en faire un hub créatif. En plus de l’agence Jadot, on trouve ici des artisans haut de gamme, un espace d’exposition et bientôt un restaurant dont la carte sera élaborée par un grand chef. Ludovic Maisant

Sur le parvis de Saint-Gilles, vaste esplanade où abondent les terrasses de café, il y fait bon vivre : au moindre rayon de soleil, on y sirote du thé à la menthe et des pintes de bière Maes. Plus branché, mais sans arrogance, le quartier Dansaert fourmille de restaurants aux chics accents fusion – San, le repaire du chef Sang Hoon Degeimbre, ou Gramm, chapeauté par Erwan Nakata Kenzo – qui se sont immiscés entre les friperies et les bazars à deux sous. Tandis que le dimanche, dans le quartier des Marolles, tout le monde flâne le long des rues Blaes et Haute, QG des brocanteurs, passant une tête chez Welcome Gallery, riche en trouvailles modernistes, farfouillant dans le fabuleux bazar de Passage 125, avant de débouler sur la place du Jeu-de-Balle, où se tient le plus couru des marchés aux puces. On y slalome entre vaisselle de Delft et monceaux de pacotilles, mais les vrais chineurs seront récompensés !

La rue Blaes, à proximité du marché aux puces de la place du Jeu-de-Balle, est un alignement de brocanteurs chez qui le mobilier moderniste est roi. Ainsi de Welcome Gallery, une enseigne qui regorge de luminaires bigarrés.
La rue Blaes, à proximité du marché aux puces de la place du Jeu-de-Balle, est un alignement de brocanteurs chez qui le mobilier moderniste est roi. Ainsi de Welcome Gallery, une enseigne qui regorge de luminaires bigarrés. Ludovic Maisant

Le nez chatouillé par les effluves de stoemp saucisse (la saucisse-purée locale), tendons l’oreille… Autour de nous, les conversations bruissent dans toutes les langues du Vieux Continent. Dans cette capitale de l’Europe où siègent le Parlement, la Commission, le Comité des régions, institutions autour desquelles gravitent des centaines de lobbys et d’ONG, il y a des couples norvégio-bosniaques et luso-chypriotes qui se forment, des bandes d’amis gréco-germano-roumaines qui s’agrègent. Qu’elle vous semble alors ouverte et enthousiasmante, cette Babel en Plat Pays ! Il se pourrait même, en cherchant bien, que vous la trouviez belle, et même carrément bluffante.

Chef-d’œuvre du XIXe, les Galeries royales Saint- Hubert, trois boyaux sous verrière du centre, abritent des cafés surannés, un cinéma, un fameux chapelier et un chocolatier réputé, soit la quintessence du vieux Bruxelles.
Chef-d’œuvre du XIXe, les Galeries royales Saint- Hubert, trois boyaux sous verrière du centre, abritent des cafés surannés, un cinéma, un fameux chapelier et un chocolatier réputé, soit la quintessence du vieux Bruxelles. Ludovic Maisant

« À Bruxelles, c’est vrai, on a construit dans tous les sens et n’importe comment, comme si chaque architecte, sans même penser aux alignements de corniches, n’en avait fait qu’à sa tête, s’amuse Lionel Jadot. Néoclassicisme, Empire, Art nouveau, Art déco, modernisme… Il règne ici un chaos de styles, mais qui porte en lui un charme rigolo. » Au promeneur, alors, de dénicher les pépites, disséminées à la diable, que la ville recèle. Les effloraisons de bois, de béton et de métal si typiques de l’Art nouveau, il faudra les admirer rue Américaine, où Victor Horta, maître du genre, s’est construit une maison-musée. À moins d’explorer les recoins plus secrets des maisons Cauchie et Autrique, respectivement à Etterbeek et Schaerbeek.

Dans la commune de Watermael-Boitsfort, l’architecte Constantin Brodzky a construit dans les années 70 un extraordinaire édifice à hublots pour l’entreprise de ciment CBR. Il vient d’être rénové et réaménagé par l’agence anversoise Going East pour abriter Fosbury & Sons, un espace de coworking.
Dans la commune de Watermael-Boitsfort, l’architecte Constantin Brodzky a construit dans les années 70 un extraordinaire édifice à hublots pour l’entreprise de ciment CBR. Il vient d’être rénové et réaménagé par l’agence anversoise Going East pour abriter Fosbury & Sons, un espace de coworking. Ludovic Maisant

Parmi les bizarreries locales, il faudra se laisser stupéfier par les façades à hublots de l’ancien siège des cimenteries CBR, érigé par l’architecte Constantin Brodzki en 1971 et tout juste transformé en superbe espace de coworking, ou par l’inénarrable Atomium, neuf boules de métal géantes qui plastronnent à 108 mètres de haut sur le site de l’Exposition universelle de 1958. Quant aux artères coquettes, avenue Molière en tête, qui quadrillent la commune d’Uccle, terrain de jeux des cabriolets, elles nous racontent une Bruxelles cossue et cultivée, où l’on s’entoure de beaux objets et d’oeuvres d’art.

Mégabizarrerie érigée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1958, l’Atomium est un ensemble de neuf sphères de métal, reliées entre elles comme les atomes d’une molécule, et culminant à 108 mètres. À l’intérieur, des escaliers et des tunnels à l’ambiance très SF.
Mégabizarrerie érigée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1958, l’Atomium est un ensemble de neuf sphères de métal, reliées entre elles comme les atomes d’une molécule, et culminant à 108 mètres. À l’intérieur, des escaliers et des tunnels à l’ambiance très SF. Ludovic Maisant