Ils colonisent les pages des magazines, collectionnent les récompenses et les projets de résidences prestigieuses. Ils n’ont pas choisi la voie du design industriel, mais celle des arts décoratifs. Ils connaissent sur le bout des doigts leur répertoire du style sur plusieurs siècles. Leur pratique est indissociable de l’artisanat, leur production est limitée et sur mesure. C’est dans ce vivier de jeunes talents que Guillaume de Saint Lager a puisé l’essence de son agence de promotion, Paragone.
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Propulser la nouvelle génération
Le but est de les propulser à l’international, là où les projets de retail ou d’hôtellerie promettent des expériences hors du temps. L’homme a le carnet d’adresses proportionné à ses ambitions. Chez Accor, leader européen de l’hôtellerie, il est senior vice-président de la marque Orient Express.
La fonction est idéale pour observer combien la touche française est prisée des marchés du luxe aujourd’hui: originalité, raffinement et un mélange détonnant d’héritage et d’expérimentation. De fait, Guillaume de Saint Lager a hérité de sa mère le goût et la culture du beau – les meubles sculptés d’Hélène de Saint Lager ont obtenu la faveur de Jacques Garcia ou de Peter Marino… « Paragone regroupe dix-sept jeunes talents à ce jour, précise-t-il. Nous allons convaincre les porteurs de projets et les marques de luxe de leur faire confiance pour des chantiers d’envergure. »
Le monde du design et de la décoration n’est pas familier du métier d’agent. En effet, ceux qui le pratiquent se comptent sur les doigts d’une main et ont surtout affaire aux signatures confirmées. « Pour ma part, je cherche à détecter des personnalités, explique Guillaume de Saint Lager. Ils doivent avoir une identité, peu importe si elle ne plaît pas à tout le monde. C’est cette unicité qui fera un grand designer. Cette génération veut et sait tout faire. Scénographie, design, architecture intérieure, ils se vouent totalement à leur art. »
Promotion Paragone
Paragone représente Giovanna de Bosredon, qui a conçu les boutiques « d’apothicaire » de Marin Montagut; Joséphine Fossey, dont l’agence d’architecture intérieure est aussi curatrice d’art; Marion Mailaender qui signe le Tuba Club, à Marseille…
« Ils sont très différents, juge leur agent. Rien de commun entre le style pop de Julien Sebban, d’Uchronia, la poésie à fleur de peau de Fanny Perrier et le classicisme de Joséphine Fossey. Ils s’admirent, s’observent, échangent. Quelque chose est en train de naître. » Fanny Perrier est architecte d’intérieur. Elle compte à son actif une boutique Repetto, à Paris, le club privé Chéri Chéri, à Pigalle, et le restaurant Le Perchoir Y du lieu culturel polymorphe le Hangar Y (lire p. 74), à Meudon (92). « Nous sommes créatifs et chefs d’entreprise à la fois, dit-elle. Guillaume est la tierce personne qui nous manquait. Il nous fait avancer, avec des projets encore plus ambitieux. »
Edgar Jayet n’a que 26 ans. Il a reçu, avec Victor Fleury, le grand prix Design Parade Toulon Van Cleef&Arpels en 2021, et le Mobilier national vient d’acquérir deux de ses fauteuils.
« Je ne vois pas pourquoi le milieu de l’architecture intérieure s’affranchirait d’un agent comme dans l’art contemporain ou le cinéma, rappelle-t-il. Il porte sur notre travail un regard extérieur, il nous oriente. La direction artistique nous appartient, la démarche commerciale lui revient. »
Enfin, Hugo Drubay est designer, scénographe et architecte d’intérieur. Il est actuellement en résidence à la Villa Médicis, à Rome. L’un de ses bureaux, Tripode, fait aussi partie de la collection du Mobilier national. En érable sculpté de courbes sinueuses, il évoque des formes de la nature, des strates de sédiments ou les mouvements du sable. « Hugo est inspiré par les arts décoratifs du XIXe siècle. Il me fascine par sa capacité à faire le grand écart entre le futurisme et l’Art nouveau, constate le responsable d’agence. On ne peut pas dater ce qu’il fait. »
« Si je suis designer, révèle Hugo Drubay, c’est que les projets globaux d’envergure sont très difficiles à décrocher. Mon souhait est d’appliquer mon travail de recherche sur les techniques et les matières à une architecture intérieure qui fasse corps avec le bâti. Guillaume m’apporte cette opportunité. » Paragone, à l’époque de la Renaissance italienne, désignait un débat féroce cherchant à classer un art au-dessus des autres: sculpture, peinture ou architecture… La preuve ici que choisir son camp n’est pas toujours pertinent.
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