Le Mobilier national, plus que jamais tourné vers la création actuelle

Jusqu'au 7 janvier 2024, l'institution vibre au rythme de deux expositions : la carte blanche d’Harry Nuriev et "Les Aliénés, le retour". Preuve que plus que jamais le Mobilier national rime avec création contemporaine.

Cela fait quatre siècles que nous faisons du contemporain”, s’exclame Marc Bayard, chef de la mission de la valorisation des métiers d’art et de l’innovation au Mobilier national. A la fois garde-meuble de la République et soutien aux métiers d’art français, l’institution, qui souffre parfois d’une image poussiéreuse, est pourtant plus que jamais tournée vers la création contemporaine. Désireux de créer des ponts entre l’ancien et l’actuel, le Mobilier national fait régulièrement appel à des artistes, artisans et designers en vue afin d’instaurer un dialogue avec ses collections. Jusqu’au 7 janvier, entre la carte blanche d’Harry Nuriev et la seconde édition des Aliénés, ça balance pas mal au Mobilier national.

Des détails de la capsule temporelle créée par Harry Nuriev dans le cadre des Cartes blanches du Mobilier national.
Des détails de la capsule temporelle créée par Harry Nuriev dans le cadre des Cartes blanches du Mobilier national.

La capsule temporelle d’Harry Nuriev

Embarquement immédiat pour la majestueuse Galerie des Gobelins, où a atterri la carte blanche d’Harry Nuriev, une capsule temporelle façon kiosque à musique 2.0 aux allures de soucoupe volante. “René-Jacques Mayer et moi-même avons découvert le travail d’Harry à la Carpenters Workshop Gallery, raconte Marc Bayard, co-commissaire et fondateur des Cartes blanches. Nous avons apprécié son côté disruptif et tonitruant et son amour de l’Histoire.

Né en 1984, le designer russe, connu pour ses tabourets pixellisés, sa déco denim et son fauteuil vert fluo de gaming, a choisi de réinterpréter une verdure existante faisant partie des collections de l’institution grâce à une I.A. régénérative. “En visitant les archives du Mobilier National, j’ai immédiatement trouvé l’inspiration, raconte Harry Nuriev. J’ai eu l’idée de travailler avec leurs collections et de faire ce que les Français appellent “Détourner”. J’ai ainsi réimaginé une tapisserie tirée des Jardins Royaux grâce à nos technologies modernes. A travers cette installation, je continue la conversation autour de mon langage, le “transformism”. J’aime beaucoup la nature, elle résonne en moi et j’aime regarder ses différentes interprétations à travers les siècles.


À lire aussi : Ce que la science-fiction nous dit de Neom, le méga projet architectural saoudien


Le résultat, imprimé sur un magnifique velours par la maison Pierre Frey, recouvre ainsi toute la gloriette dans le pure style de l’artiste. Si l’environnement végétal dans des camaïeux de verts, d’ocres et de bruns semble à première vue aussi ancien que la tapisserie dont il s’inspire, en s’en approchant, l’œil aguerri décèle quelques éléments contemporains, pyramide du Louvre, ailes de voitures et ailerons d’avions. Le plafond lumineux, dont les LED semblent former des motifs de ciel nuageux, donne à l’ensemble des allures de vaisseau spatial d’un autre temps.

Installée de part et d’autre de deux tentures du XVIIe siècle représentant les demeures royales de Louis XIV, (Versailles ou le mois d’avril et Saint-Germain-en-Laye ou le mois de mai), cette architecture de jardin en est le point de rencontre. Tout comme les colonnes de la Galerie des Gobelins qui répondent à celle de la capsule. “J’ai initié les Cartes blanches en 2012, continue Marx Bayard. Un véritable défi non seulement parce qu’il faut se mettre à l’écoute des artistes, mais aussi parce que ceux-ci, à via cet exercice, doivent dialoguer avec notre histoire, notre identité et nos savoir-faire. Le parti-pris très personnel d’Harry met en musique une temporalité longue des Arts décoratifs d’hier et d’aujourd’hui. Dans certains musées, l’art contemporain arrive comme un cheveu sur la soupe. Au contraire, nous cherchons à ce que la création actuelle devienne une épice qui en relève le goût. Et il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas un musée mais bien un lieu de création.

Dans la chapelle des Gobelins trône la seconde installation d’Harry Nuriev, une bibliothèque futuriste réalisée à partir de mobilier provenant des collections du Mobilier national.
Dans la chapelle des Gobelins trône la seconde installation d’Harry Nuriev, une bibliothèque futuriste réalisée à partir de mobilier provenant des collections du Mobilier national.

Une bibliothèque recouverte de vinyle argenté

Changement d’ambiance de l’autre côté de la cour pavée. Dans la chapelle des Gobelins, la seconde installation d’Harry Nuriev introduit l’exposition “Les Aliénés, le retour”, deuxième temps fort du Mobilier national en cette fin d’année. “Toute œuvre achetée ou créée dans les collections publiques devient inaliénable, affirme Marc Bayard. On ne peut donc pas l’enlever des collections, s’en dessaisir, comme c’est le cas dans d’autres pays. Mais évidemment, il y a des exceptions : soit des pièces trop abimées pour être réparées qui sont donc jetées, soit des meubles qui n’ont pas de valeurs ni esthétiques ni patrimoniales, qui ne sont pas signés, pas d’époque et n’ont pas de pédigrée d’usage – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été utilisés par d’importantes personnalités. Dans le cadre du programme de recherche expérimentale “Les Aliénés du Mobilier national”, lancé par Yves Badetz en 2019, ces dernières sont proposées à des artistes, artisans d’art et autres designers afin qu’ils nous les renvoient totalement transformés.” À l’instar des chaises empilées et des assises de style que le designer s’est plu à recouvrir de vinyle argenté, transformant le lieu en une bibliothèque rétro-futuriste.

À gauche, « Inside city » de Guillaume Maréchal et à droite, « Anatomie du secrétaire » de Jane Kleis et Cédric Matet, deux oeuvres issues de l’exposition « Les Aliénés, le retour ».
À gauche, « Inside city » de Guillaume Maréchal et à droite, « Anatomie du secrétaire » de Jane Kleis et Cédric Matet, deux oeuvres issues de l’exposition « Les Aliénés, le retour ».

Les « aliens » du Mobilier national

Retour à la Galerie des Gobelins, au premier étage, pour la suite de l’exposition. Soit des luminaires, bureaux et autres commodes de grands-mères revisités par 39 créateurs aux pratiques hétéroclites et mis en regard de tapisseries contemporaines réalisées entre 1951 et 2016 au sein des manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais. Parmi ces détournements, on retient une coiffeuse en ruine transformée en platines vinyle par Hall Haus ; un tapis blanc défraîchi tissé à la manufacture de Lodève dans les années 1970 devenu, entre les mains d’Héléna Guy Lhomme, “un chewing-gum fou, un esprit de laine désaxé, un féminin sauvage” selon ses termes, couleur Malabar bigoût ; une bibliothèque en acajou verni de la Restauration dans laquelle l’artiste Guillaume Maréchal emprisonne toute une vue la ville et ses buildings à la New York City, ou encore un secrétaire dont Jane Kleis et Cédric Matet en révèle l’anatomie imaginaire. “Les Aliénés reviennent et avec eux, un nouveau doux vent de folie au sein de notre honorable institution, un vent qui sait conjuguer patrimoine et création contemporaine et qui prouve plus que jamais que le Mobilier national est «moderne depuis des lustres» ! indique Hervé Lemoine, Président du Mobilier national.

À gauche, « Murmure au bois » de Franceleine Debellefontaine et à droite, « Aliénées », d’Héléna Guy Lhomme, deux oeuvres issues de l’exposition « Les Aliénés, le retour », au Mobilier national.
À gauche, « Murmure au bois » de Franceleine Debellefontaine et à droite, « Aliénées », d’Héléna Guy Lhomme, deux oeuvres issues de l’exposition « Les Aliénés, le retour », au Mobilier national.

À lire aussi : Qui est Mathieu Lehanneur, designer de l’année 2024 selon Maison & Objet ?