Ne dites plus « hôtel » ou « restaurant », dites « lieu de vie » ! L’architecte d’intérieur Michaël Malapert a pour spécialité l’architecture intérieure de ces lieux hybrides où l’on ne vient pas seulement pour s’attabler ou dormir, mais pour vivre une « expérience ».
À lire aussi : Hôtel Chouchou : Michael Malapert signe une ode à la France
Ainsi, la première étape d’un projet, chez Maison Malapert, c’est d’écrire une histoire avec le commanditaire, qu’il soit hôtelier ou restaurateur. « Ce qui m’intéresse, c’est de créer une identité pour chaque lieu, raconte Michaël Malapert. Le client arrive avec une page blanche, une adresse, parfois un embryon d’idée, puis nous déroulons ensemble le projet, en résonance avec le quartier et la clientèle, jusqu’à obtenir un concept global incluant la musique, le graphisme et jusqu’à l’esprit du menu au restaurant. »
En 2020, Michaël Malapert signe, pour la chaîne hôtelière Elegancia, le Chouchou, à Paris, paré de tous les codes de la guinguette moderne. Au rez-de-chaussée, un grand espace sous verrière accueille la salle de restaurant, avec une scène où se succèdent concerts, DJ sets ou artistes de stand-up. Les tables sont à partager. On commande au zinc ou aux deux comptoirs du « food market », l’un proposant des produits de la mer, l’autre, ceux de la terre, du fromage et de la charcuterie. Dans les chambres, élégantes et canailles, les lits sont recouverts de couettes à rayures marines, façon Jean Paul Gaultier. « Nous voulions décaler l’ambiance du quartier de l’Opéra, qui compte beaucoup de bureaux. L’endroit est ouvert à la clientèle du coin et ne désemplit pas », se réjouit l’architecte d’intérieur.
En 2021, à Bordeaux, l’hôtel Renaissance, pour le groupe Marriott International, évoque le terroir viticole. Sur les murs en béton des chambres est tatouée à la feuille d’or la carte des parcelles des grands crus. On pénètre dans le hall en traversant d’anciens silos à grain de 30 mètres de hauteur. Le rooftop offre une vue imprenable sur l’architecture futuriste de la Cité du vin, dressée dans l’ancien quartier des docks.
Enfin, en 2022 naît le Dandy, à Paris, pour Elegancia encore. La décoration des chambres 4 étoiles sait d’instinct mélanger rayures, fleurs et boiseries. Parquets, moulures et objets chinés, ponctués de pièces de design, créent une élégance nonchalante typiquement française. Surtout, on ne pénètre plus dans l’hôtel par un hall d’entrée mais directement par la brasserie, en devanture. « Le Dandy est bien un hôtel, mais, de prime abord, on dirait un restaurant, explique Michaël Malapert. Il se présente comme un speakeasy inversé : c’est l’hôtel qui est caché derrière le restaurant. »
De fait, l’architecture de ces nouveaux établissements, conçus avant tout comme des lieux de vie, se devait de coller à un tel modèle. « Les hôteliers ont compris depuis longtemps qu’ils ne vendaient plus seulement une nuit mais cette fameuse expérience, qui a pris beaucoup d’importance par rapport à la chambre. C’est parce qu’il inclut un restaurant ou un bar sympa qu’on va venir dans un hôtel. L’accueil ne se fait plus derrière un comptoir mais dans un espace de vie ouvert sur l’extérieur, un lieu mixte où l’on peut travailler, manger, se détendre. Dormir est devenu une fonction parmi d’autres. » Maison Malapert travaille aujourd’hui à l’ouverture prochaine du Boudoir des Muses, un hôtel logé dans un ancien théâtre du Marais, à Paris, qui abritait autrefois le couvent des Filles-du-Calvaire, avant de devenir une maison close. Inspirant !
À lire aussi : Archi d’intérieur : Michael Malapert cultive le goût de l’hospitalité
Convivialité et responsabilité
Michaël Malapert a créé son agence en 2007, après un diplôme d’architecture intérieure à l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne, suivi d’une première expérience chez Philippe Starck. « Mon père est architecte, il m’a appris la gestion de l’espace. Ma mère pratique les médecines douces, elle m’a appris l’harmonie du corps dans son environnement. Tout cela mis ensemble donne un architecte d’intérieur », confie-t-il. Très vite, il se spécialise dans les espaces de convivialité en aménageant pour les frères Pourcel, alors chefs 3 étoiles à Montpellier, différents restaurants à Bangkok, Shanghai ou Marrakech.
Dans les années 2000, le Guide du Fooding donne du fil à retordre aux étoilés Michelin en consacrant les tables canailles, où l’assiette est aussi qualitative que l’ambiance est réjouissante. Le formalisme des premiers, avec nappes au cordeau et service en gants blancs, n’est plus au goût de l’époque. Certains chefs rendent leurs étoiles ; ils veulent pouvoir taper dans le dos de leurs clients. La bistronomie est née. « Les codes ont changé à ce moment-là, souligne l’architecte d’intérieur. On a vu des cuisines s’ouvrir sur les salles de restaurant, la vibration était plus décontractée. Concurrencés d’autre part par Airbnb, les hôteliers ont compris qu’ils devaient offrir des lieux de vie ; on a appelé cela l’“hôtellerie lifestyle”. »
Selon ce principe, Michaël Malapert travaille sur une série d’hôtels, à Athènes et à Madrid, pourvus d’un cinéma, d’un karaoké, d’une piscine, de plusieurs bars, d’un restaurant, de salles de réunion, d’une laverie… Aujourd’hui, c’est la vague de la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises, que le secteur de la convivialité aborde. Pour avoir les faveurs du public, un hôtel ou un restaurant se doit d’être écologique et social, jusque dans les moindres détails. « Autrefois, le minibar était important. Maintenant, il est caché et branché à la demande, même dans les hôtels de luxe. Des fontaines à eau sont disponibles dans les espaces de circulation. Une bouteille en verre à remplir est mise à la disposition du client. Les poubelles en chambre ont trois compartiments de tri. Les produits de salle de bains sont rechargeables. Les couloirs ne sont plus allumés en permanence et fonctionnent au détecteur de mouvement », détaille l’architecte d’intérieur.
Il y a quelques mois, une nouvelle agence, dans le prolongement de la première, est née : Casa Malapert, spécialisée dans une architecture « sexy, vibrante, responsable, écologique, artisanale, locale, connectée… Nous avons achevé le développement d’une application d’analyse de nos projets avec la start-up Carbon Saver. Ce logiciel nous permet de calculer l’impact carbone de nos chantiers et de l’optimiser. » Et le résultat ne s’est pas fait attendre : un premier hôtel 100 % responsable est en cours de réalisation, à Nice.
À lire aussi : Cin Cin : la nouvelle cantine acidulée de Michael Malapert