Le savoir-faire portugais consacre les noces du design et de l’artisanat. C’est justement cette particularité qui lui permet de s’exporter au-delà des frontières du pays. Passage en revue de quelques marques portugaises remarquables.
1 – Viúva Lamego, l’as du carreau
Impossible d’évoquer le Portugal sans penser à la céramique et aux azulejos, ces carreaux de faïence décorés si typiques qui ornent nombre de bâtiments. L’une des pionnières dans le domaine fut Viúva Lamego, marque portugaise créée en 1849 à Lisbonne, dans le quartier d’Intendente, et reconnaissable à sa façade recouverte, justement, de carreaux figuratifs (d’ailleurs classée aujourd’hui).
Tournée dès les années 30 vers des artistes comme Jorge Barradas ou Maria Keil, Viúva Lamego poursuit les collaborations et enchaîne les projets d’envergure, avec Hervé Di Rosa, Bela Silva ou même l’architecte Rem Koolhaas pour la Casa da Música, à Porto.
Joana Vasconcelos, habituée de la manufacture, vient pour sa part de réaliser, à Waddesdon Manor, en Angleterre, à la demande de la Fondation Rothschild, un édifice de 12 mètres de hauteur en forme de gigantesque gâteau de mariage entièrement recouvert de 25 150 carreaux et décoré de 1 300 pièces d’ornement, le tout produit par Viúva Lamego. Que l’on se rassure : chacun peut aussi décorer son intérieur avec les carreaux de la maison ! — O.W.
2 – De La Espada, le bois massif sublimé par la main
Fatima De La Espada et Luis De Oliveira ont fondé leur entreprise en 1993. Concepteurs, fabricants et détaillants de mobilier contemporain à l’origine, ils prennent le tournant de l’édition à partir de 2007, avec pour credo de combiner le savoir-faire portugais dans le travail du bois massif avec le design.
Pour visiter les ateliers de cette marque portugaise, situés dans un bâtiment à énergie solaire, il faut se rendre dans une forêt, près de la Côte d’Argent. C’est le royaume des maîtres artisans. Ceux-ci y côtoient certes des machines au contrôle numérique d’une précision extrême permettant les découpes en série, mais rien ne remplacera jamais leur œil ni leur main dans l’examen d’une pièce de bois.
Ici, chaque face d’un tiroir provient d’une seule et même planche, question d’harmonie. Canapés, tables, chaises, bureaux ou lits, tous célèbrent l’alliance des artisans et des designers. Cela fait ainsi plusieurs années que l’Italien Luca Nichetto collabore avec De La Espada.
Mais le travail du Français Anthony Guerrée figure aussi au catalogue. Les formes légères, arrondies et dynamiques y sont privilégiées. Le tissu est utilisé en accord avec les sensibilités contemporaines, mais sans rien de trop « tendance », ce qui procure aux modèles une allure classique et rassurante. — G.-C.A.
3 – Dam, artisanal, calme et éthique
Le design ne reflète pas seulement l’univers créatif de ses auteurs. Il peut aussi faire foi de la richesse d’un tissu artisanal ou industriel local. Au Portugal, Dam ne fait pas exception, sans audace excessive mais sans être non plus dénuée de personnalité. La marque a été créée en 2013 par Joana Santos et Hugo Silva, eux-mêmes formés dans leur pays au design de mobilier et d’accessoires pour la maison.
Pour le duo, il n’est pas question de fabriquer à l’étranger, ni de laisser de côté les matériaux naturels ou de négliger les savoir-faire traditionnels toujours pertinents. Mais rien de conservateur dans ces principes, quand on considère le regain d’intérêt actuel pour tout ce qui est beau et, surtout, naturel, juste et durable : avec Dam, Joana Santos et Hugo Silva avaient certes pour ambition de faire éclore une marque de design, mais l’ancrer dans son contexte local leur semblait incontournable.
Toujours à l’initiative du développement de leurs produits, les deux designers enrichissent progressivement un catalogue qui raconte ce contexte, à l’instar de la table d’appoint Celeste, en marbre et en liège, ou du rocking-chair Gago, en bois, en liège et en tissu. Quant au tabouret Pipo, qui réinterprète un classique du design danois, son assise est en liège. Ne pas tout réinventer n’a jamais empêché de proposer des produits de haute tenue. — G.-C.A.
4 – Sofalca, le magnifique come-back du liège
Non toxique, 100 % naturel, recyclable, esthétique… Que dire de plus pour qualifier le liège, matériau vertueux remis au goût du jour ? Et c’est sur sa durabilité que mise également, depuis 1966, la marque portugaise Sofalca, dirigée par Paulo Estrada et qui a mis au point un procédé unique de transformation du liège issu des forêts du Portugal.
Partie intégrante de l’ADN de l’entreprise, le matériau expansé obtenu, sans additif ni colle, est une innovation qui permet d’utiliser tous les déchets du chêne-liège et de diversifier les activités de production au sein de trois marques. La première, Isocor, tournée vers le bâtiment et la construction, produit des panneaux d’isolation phonique et thermique, et antivibrations. La deuxième, Gencork, destinée à l’architecture, explore la symbiose entre le liège expansé et la haute technologie sous la forme de revêtements créatifs mis en relief par des algorithmes. La troisième, Blackcork, créée en 2014, s’est spécialisée dans la création et la fabrication de tabourets, de lampes et de tables basses.
Grâce à la complicité du designer et directeur artistique Toni Grilo, une collection cohérente au design singulier est née, tandis que les typologies de mobilier sculpté dans la masse sont dictées par la nature même des blocs de liège noir. — A.S.
5 – Mor Design, la simplicité au service de la pérennité
La durabilité du design est devenue une question centrale de la discipline. Parce qu’il est plus écologique de garder un (bon) produit longtemps, la marque portugaise Mor Design s’attache à ce que les siens soient fiables, qualité et style compris.
Pour cela, elle privilégie de façon évidente des matériaux sélectionnés au Portugal ainsi que la proximité géographique avec ses fabricants, afin de limiter les kilomètres parcourus. Mais la proximité ne s’arrête pas là puisqu’elle s’exprime également entre designers et artisans, suggérant des passions communes. Pas seulement pour le mobilier bien dessiné, mais aussi pour sa qualité d’exécution.
Une collaboration avec un designer peut même s’avérer prestigieuse, à l’image de celle entamée avec l’architecte Álvaro Siza pour le fauteuil Alcântara et l’armoire Alfama.
Chez Mor Design, le style reste toujours lisible. Pour preuve, le simplissime bureau en bois Front, de Pedro Sottomayor, l’ultra-graphique vase Torre, de Julien Renault, ou le fauteuil lounge indoor/outdoor Lisboa, signé Keiji Takeuchi. Plus « hors des clous », le luminaire Dome, signé lui aussi par Pedro Sottomayor, se compose d’un disque de marbre bombé à fixer au mur ou au plafond. Et, tout aussi minérale, la petite table d’appoint Ama Pedra, dessinée par Manuel Aires Mateus, attire l’œil de qui aime la pierre.
Si Mor Design n’est pas forcément connue hors du Portugal, le label représente bien l’étendue des ressources locales disponibles sur son territoire. — G.-C.A.
A lire aussi :
6 – Ferreira de Sá, le tapis qui ose l’affiche
Fondée au Portugal en 1946 par Joaquim Ferreira de Sá, la gigantesque manufacture à laquelle il a donné son nom fait partie de ces maisons de tapis haut de gamme où perdure un savoir-faire qui a su s’adapter au temps présent.
En matière de tapis aussi beaux à fouler qu’à accrocher au mur comme des tapisseries, la marque portugaise, livrant aussi bien des bâtiments institutionnels et des hôtels que des particuliers, se distingue par son positionnement : ses produits sont bien plus que des accessoires destinés à réchauffer les pieds et les espaces sans prétendre pour autant être des œuvres d’art à encadrer.
Et pourtant, le modèle Gradient Iris, en mohair violet et soupe de lentilles, est dégradé comme un tableau de Rothko. Et Twins Rainforest, un tapis en forme de huit vert et étoupe, en bambou et en soie botanique issue d’un fil produit à partir de pulpe de bois, est presque un manifeste écologique, car, utilisant des solvants recyclés plusieurs fois, il est biodégradable. Qui dit mieux ? — G.-C.A.
7 – Burel Factory, quand la laine sort du troupeau
À Lisbonne, à Porto ou à Manteigas, Burel Factory propose l’impossible : un produit haut de gamme et accessible, toujours réalisé à la main dans sa chaleureuse laine de mouton fétiche. Une gageure entre artisanat, mode, design et même hôtellerie qui trouve ses origines dans le tissu des pèlerines de berger. Nous sommes dans les montagnes de Penhas Douradas, dans le centre du Portugal.
En 2006, Isabel Dias da Costa et João Tomás, randonneurs lisboètes, s’y installent. Ils fondent ensuite une association pour promouvoir le savoir-faire et les emplois locaux.
À partir du burel – la laine de mouton locale – lavé et tissé, ils vont produire des pièces à l’épreuve du temps : vêtements, accessoires et mobilier, comme le remarquable fauteuil Pad, du designer Rui Tomás, ou les jetés de lits Vintage 1968 et Vintage 1974, bien graphiques.
Chez Burel Factory, 37 teintes sont disponibles, dont le vert forêt du beau panneau acoustique Aro, texturé de reliefs cruciformes. Ledit vert attend aussi, au vert, les visiteurs dans les deux hôtels de la marque, Casa das Penhas Douradas et Casa de São Lourenço, tous deux situés à Manteigas. G.-C.A.
8 – DuisTt, humeur brésilienne
Créée à Porto en 2014 par l’architecte d’intérieur Olga Torres, Duistt place le savoir-faire au cœur de ses créations. Sa fondatrice et directrice artistique imagine des pièces de mobilier qui conjuguent techniques traditionnelles et esthétique contemporaine.
Les pièces réalisées à la main font montre d’une maîtrise des détails décoratifs et des matières nobles, à l’instar du buffet en bois Jacaranda ou de la table d’appoint Ipanema, qui unit le marbre au laiton ou au nickel. Si elle puise ses influences dans les lignes et les formes des années 50, comme en témoignent la collection d’assises « Wormley » ou le canapé Ida, c’est surtout du Brésil qu’Olga Torres tire sa réflexion.
À l’exemple du fauteuil Ginga, aux lignes inspirées des mouvements de la capoeira, de la bibliothèque Copacabana, dont le design reproduit les volutes des trottoirs du quartier éponyme de Rio de Janeiro, ou du canapé modulable et tout en courbes Oscar, hommage non dissimulé à Niemeyer, l’architecte de Brasilia, pour qui « les courbes constituent l’univers entier ». — O.W.
9 – Domkapa, classique ET moderne sous toutes les coutures
Créée en 2009, Domkapa est d’abord reconnue comme spécialiste du rembourrage. Finitions à la main, qualité des tissus et de leurs coutures sont ainsi ses points forts, le tout consacrant les noces de l’artisanat et du design. Une façon ambitieuse d’apporter une dimension haute couture dans le prêt-à-porter du meuble.
Cette maîtrise du métier de tapissier fait la spécificité de l’entreprise au-delà des frontières du Portugal. Le défi de l’artisan façonnant du mobilier, c’est d’être en phase avec les sensibilités d’aujourd’hui, celles du public comme celles que véhiculent les médias. Plutôt que de tenter de révolutionner les formes, les créateurs de la maison réinterprètent des classiques sans les gauchir, comme dans le cas du banc Henry, rappelant entre autres Mies van der Rohe.
Tout comme le modèle de canapé Edward, il incarne la modernité plus récente du design modulable, comme souvent dans le catalogue de cette marque portugaise. De même, le tissu, par sa qualité et la variété de nuances qu’il autorise, n’est jamais considéré comme un détail « décoratif ».
Parce qu’ici la nouvelle équipe du design, dirigée depuis deux ans par les jeunes designers industriels Hélder Costa et José Almeida, travaille main dans la main avec les artisans pour que particuliers et architectes puissent choisir un modèle de mobilier comme un thème à personnaliser. Domkapa prend ainsi à bras le corps la question du sur-mesure. Un certain classicisme, mais bien fait, de bon ton et sans ennui. — G.-C.A.
10 – Wewood, l’ébénisterie remise au goût du jour
Installée dans le nord du pays, berceau des marques portugaises de l’ameublement, la petite menuiserie familiale est née en 1964. Devenue en 2012 Wewood – Portuguese Joinery, la marque, positionnée sur un secteur haut de gamme, développe ses savoir-faire ancestraux autour du bois.
Avec la complicité de designers internationaux et portugais (Pierre Dubourg, Leonhard Pfeifer, Christian Haas, Gonçalo Campos…), elle édite du mobilier fabriqué en petites séries, au design intemporel mettant en valeur la qualité de l’artisanat portugais. Et, par intemporel, on peut aussi entendre tout à fait contemporain, à l’image du meuble TV Radio, une solution astucieuse au style a priori rétro, mais dont les portes coulissantes perforées cachent tout l’aménagement nécessaire pour les appareils multimédias actuels.
Si Wewood met l’accent sur les techniques de menuiserie anciennes (voir le sculptural buffet Scarpa en bois massif), c’est pour mieux démontrer combien elles peuvent s’accorder avec une esthétique séduisante et non passéiste.
L’entreprise conjugue modernité et tradition (et l’expression, galvaudée, reprend ici tout son sens) en valorisant la quintessence de l’ébénisterie. En témoigne cette pièce exceptionnelle, Contador, un buffet à tiroirs réalisé pour les 10 ans de la marque. — A.S.
A lire aussi :