Au Brésil, un futur hub hôtelier nommé cité Matarazzo

Au cœur de São Paulo, un ancien hôpital est en passe de devenir un hub hôtelier, culturel et économique. Aux manettes de ce projet hors norme et pour lui donner forme, le Français Alexandre Allard n’a pas hésité à entraîner une pléiade de créateurs parmi lesquels Jean Nouvel, Philippe Starck et Rudy Ricciotti.

Pour préfigurer ce qu’il entreprend, Alexandre Allard possède incontestablement un certain sens de la mise en scène. Le Tout-Paris se souvient encore de la « Demolition Party » organisée en 2008 en préambule du chantier du Royal Monceau… la cité Matarazzo deviendra l’un des palaces les plus décalés de la capitale, avec sa dynamique culturelle clairement affichée.

La cité Matarazzo, un lieu créatif

La tour de 25 étages Mata Atlantica signée Jean Nouvel et reconnaissable par ses quelque 700 brise-soleil.
La tour de 25 étages Mata Atlantica signée Jean Nouvel et reconnaissable par ses quelque 700 brise-soleil. DR

En 2014, l’homme d’affaires récidive à São Paulo. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de détruire, mais de remettre en lumière l’un des plus beaux sites de la ville en le confiant à une centaine d’artistes. Abandonné depuis trente ans, l’hôpital Matarazzo, du nom de son fondateur, le milliardaire Francesco Matarazzo, occupe depuis 1903 une parcelle de trois hectares parsemée de bâtiments et idéalement placée à deux pas de l’avenue Paulista. Pour ce réveil, une exposition y est organisée, composée exclusivement d’œuvres conçues in situ, mettant en présence tous ceux qui comptent dans le monde de l’art international, puisque le dynamique businessman a eu la bonne idée de faire coïncider l’événement avec la biennale d’art contemporain de la ville.

Les visiteurs, à l’époque totalement conquis par cette « Invasion créative », avaient-ils seulement idée de ce qu’Alexandre Allard avait en tête pour ce lieu ? Sans doute pas. « Dès 2004, je réalise que le Brésil, avec l’Amazonie, qui occupe une grande partie de son territoire, tient un rôle majeur dans l’avenir de la planète. Alors je me mets en quête d’un lieu susceptible de devenir l’ambassade de ce postulat. En 2007, on me souffle l’existence de cette friche qui s’impose immédiatement comme LE lieu », explique l’homme, littéralement amoureux de ce complexe où la végétation a par endroits repris ses droits. Il va devoir s’accrocher pendant plusieurs années pour l’acquérir, mais lui qui a de la suite dans les idées y voit déjà un hub centré sur la création où il pourrait développer galeries, ateliers, auditorium, centre de ressources, mais aussi hôtels, restaurants, boutiques… selon un principe d’économie circulaire.

Vue de l’ancienne maternité rénovée et de la tour Mata Atlantica de Jean Nouvel.
Vue de l’ancienne maternité rénovée et de la tour Mata Atlantica de Jean Nouvel. DR

Très vite, il embarque Philippe Starck dans son projet, le designer de la refonte du Royal Monceau, à qui il confie ici toute la direction artistique. « Il y a quinze ans, j’ai reçu un appel d’Alexandre Allard qui m’a “intimé l’ordre” de le rejoindre à São Paulo. En découvrant ce lieu empreint de poésie, j’ai compris son excitation ainsi que ma mission, qui allait consister avant tout à protéger l’endroit pour en préserver tout le charme », explique le designer français. Puis Allard sollicite Jean Nouvel, qu’il connaît de longue date, pour lui demander de réaliser un bâtiment marqueur du projet. « D’emblée Alexandre m’a déclaré qu’il voulait une tour pour le site. À vrai dire, avec lui, on n’a pas le choix, on est happé par son enthousiasme ! » en sourit encore le Pritzker Prize 2008. Allard défend notamment l’idée que São Paulo ne dispose pas de symbole architectural fort pour briller aux yeux du monde.

Alors pourquoi ne s’agirait-il pas de la Mata Atlantica, une tour de 25 étages qui se connecterait à la dynamique végétale du lieu, comme un miroir du biome de la forêt atlantique, ce sanctuaire de la biodiversité brésilienne… et mondiale ? L’architecte Rudy Ricciotti rejoint le projet pour édifier un bâtiment baptisé Ayahuasca – en écho au breuvage hallucinogène des Indiens –, qui abritera bureaux et espaces de conférences et d’événementiel. Une contrainte : ne puiser que dans les ressources locales, matérielles et humaines, pour bâtir le projet. Alexandre Allard n’hésite pas à solliciter les Ateliers de France pour venir former les artisans locaux.

Pour financer le projet de la cité Matarazzo, estimé à 2,5 milliards de réaux brésiliens (450 millions d’euros), l’homme d’affaires a mis une grande partie de son patrimoine financier sur la table. Mais il a aussi convaincu le groupe hôtelier Rosewood, alors en pleine réflexion identitaire, d’investir dans l’entreprise. « Lorsque je suis venu rencontrer Alexandre Allard à São Paulo et découvrir le site, explique Radha Arora, président du groupe racheté depuis 2011 par le conglomérat hongkongais Chow Tai Fook, j’ai été emballé par le projet, qui correspondait à la stratégie que nous étions en train de mettre en place chez Rosewood. »

La naissance de l’hôtel Rosewood

La cour intérieure hyper-végétalisée de l’ancienne maternité devenue le cœur de l’hôtel Rosewood.
La cour intérieure hyper-végétalisée de l’ancienne maternité devenue le cœur de l’hôtel Rosewood. DR

Huit ans plus tard – traversés par une crise financière, un régime politique nationaliste et une pandémie de Covid-19 –, le projet voit le jour. Tout au moins sa première phase, soit la renaissance de l’ancienne maternité transformée en hôtel Rosewood (que certains qualifient déjà de « 6-étoiles ») : pour l’heure, 46 chambres irréprochables, trois restaurants, un bar à cocktails, deux piscines, des espaces communs généreux où l’on reconnaît la patte Starck… « Ce lieu est très important, car un demi-million de Paulistes y ont vu le jour et nombreux sont ceux à vouloir y revenir… », souligne Alexandre Allard.

De son côté, la tour de Jean Nouvel, qui agit déjà comme un landmark du projet, avec ses 700 brise-soleil et la végétation luxuriante qui se déploie depuis les terrasses, ne sera totalement livrée qu’à l’automne. L’hôtel s’y prolongera avec 114 chambres de plus et un spa, tandis que le reste des espaces sera occupé par des appartements à acquérir. 

L’aménagement façon chalet forestier du restaurant Blaise, en référence à l’écrivain Blaise Cendrars.
L’aménagement façon chalet forestier du restaurant Blaise, en référence à l’écrivain Blaise Cendrars. DR

Autre composante du programme : la dynamique artistique gérée par le curateur Marc Pottier. Celle-ci est déjà visible. Pas un espace où n’est intervenu un artiste : Speto sur le mur d’entrée de l’hôtel, Sandra Cinto sur les céramiques de la piscine en rooftop, Vik Muniz pour le vitrail de la chapelle Santa Luzia ou encore Walmor Correa dans les ascenseurs.

Au total, plus d’une cinquantaine d’artistes ont développé une œuvre pour le site. « Cet hôtel est bien plus qu’un établissement de luxe, c’est une formidable plate-forme pour diriger l’attention des élites sur les formidables ressources créatives et culturelles de ce pays et pour lesquelles il faut se mobiliser », renchérit l’entrepreneur. Mais l’aventure est loin d’être arrivée à son terme, car les deux tiers du site sont encore en chantier.  Le clap de fin est prévu pour l’été 2023. Les bâtiments rénovés de l’ancien hôpital devraient muer en une pléiade de lieux culturels, boutiques et points de restauration qui feront de la Cidade (cité) Matarazzo un quartier créatif sans précédent. 

Cidadematarazzo.com.br