Alors que la Fondation Dubuffet célèbre son cinquantenaire et que La Tour aux figures, à Issy-les-Moulineaux, a rouvert ses portes après des années de réhabilitation, la résidence principale de l’artiste est à son tour mise en lumière. Les propriétaires actuels, les troisièmes depuis que l’inventeur de « l’Hourloupe » a tiré sa révérence, quittent la paisible allée privée Maintenon, accessible depuis la rue de Vaugirard, à Paris, côté 6e arrondissement, pour vivre de nouvelles aventures. Mais avant de partir, ils lèguent un splendide toit-terrasse paysagé, réalisé en collaboration avec les Architectes des bâtiments de France, qui prolonge, sans dénaturer, la bâtisse des frères Perret, édifiée à l’origine pour une de leurs amies, la peintre Mela Muter (1876-1967).
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Perret à Paris : l’exception architecturale du 6e
Durant les Années folles, Montparnasse est le point de ralliement de l’effervescence artistique. À quelques pas de là, Mela Muter, peintre polonaise influencée par le symbolisme puis l’expressionnisme et très en vue à l’époque, fait l’acquisition d’une étroite parcelle. En 1926, elle fait appel aux frères Auguste et Gustave Perret pour concevoir sa future demeure.
Ces maîtres de l’architecture moderniste en béton armé, connus pour leurs réalisations majeures telles que le Palais d’Iéna, le théâtre des Champs-Élysées ou encore la reconstruction du Havre et qui viennent de terminer l’atelier de la sculptrice Chana Orloff dans le 14e arrondissement, optent pour une approche similaire : une ossature en béton bouchardé et un damier de briques. Aujourd’hui encore, cette résidence en L, agencée autour d’un patio, reflète pleinement leur esthétique : une élégance épurée, des lignes fonctionnelles et surtout, une lumière naturelle abondante, captée par de larges ouvertures.
De Mela Muter à Jean Dubuffet
En 1944, bien que convertie au catholicisme, Mela Muter, à cause de ses origines et de ses idées politiques, ne se sent plus en sécurité et quitte la capitale pour Avignon. Elle loue sa maison à un certain Jean Dubuffet (1901-1985), ancien négociant en vins qui nourrit depuis toujours des velléités artistiques. « Pas encore mondialement connu, il en fait d’abord son atelier. Mais comme la maison est très agréable à vivre, il décide de s’y installer dès 1945 avec sa femme Emilie Carlu », rappelle l’actuelle propriétaire.
Et Ludovic Brabant, de l’agence immobilière Varenne, en charge de la vente, d’ajouter : « Il s’y plaît tellement que, lorsque Mela Muter souhaite récupérer son bien, il refuse de partir et continue à payer ses loyers. » À force de négociations, il finit par acquérir cette maison qu’il occupa jusqu’à sa disparition en 1985. Celui qui prônait un art brut et instinctif, en rupture avec les codes de l’art classique, se sentait en symbiose avec cette architecture minimaliste.
Il avait coutume d’ouvrir chaque jeudi sa salle d’exposition, située dans l’actuel salon, au rez-de-chaussée, pour accueillir les collectionneurs et ne pas être dérangé le reste du temps. Sauf, peut-être, pour recevoir quelques amis, parmi lesquels Man Ray, Raymond Queneau, Antonin Artaud, Jules Supervielle, autour de conversations et de débats animés sur l’art, la science et la littérature, ou encore Robert Doisneau pour des séances photos improvisées.
L’arrivée du confort moderne… puis du rooftop
Si la structure initiale n’a pas été modifiée – ce qui n’était pas gagné au départ –, les trois propriétaires qui se sont succédé ont chacun apporté leur petit supplément d’âme à ces 280 mètres carrés habitables. Dans les années 1990, il y a eu une réorganisation des espaces intérieurs – dont le léger déplacement de l’escalier cher à Dubuffet – pour en faire une véritable maison répartie sur trois niveaux composée de quatre chambres (dont deux créées au sous-sol ouvertes sur le patio), toutes dotées de leurs salles de bains.
En 2013, la maison subit une nouvelle vague de transformations avec le réaménagement et la modernisation du rez-de-chaussée par les cabinets Estudio Ramos et Oglo . « J’ai adoré l’histoire et la circulation de cette maison, se souvient Sophie, l’actuelle propriétaire, lors de sa première visite, il y a six ans. Quand on entre, on a une vue directe sur le patio avec, d’un côté, la cuisine-salle à manger, qui était à l ‘origine l’atelier de dessins, et de l’autre, le salon où il recevait et exposait ses œuvres. Au premier étage, il avait sa chambre et son atelier avec de très grandes ouvertures pour faire passer ses grands formats. »
Il ne manquait qu’un toit-terrasse, ce qui n’aurait pas déplu à Gustave Perret, pour qui les toitures avaient vocation à devenir des espaces de vie. Un nouveau chapitre s’ouvre ainsi pour ce lieu empreint de créativité et de génie. « Ce serait une véritable consécration de le vendre à un collectionneur de Dubuffet qui pourrait installer une sculpture sur le toit ! On aurait réussi une très belle transmission », s’amuse Ludovic Brabant.
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