D’après un rapport de l’ONU, d’ici 2050, environ 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbanisées dont près de 90 % se trouvent au bord de l’eau. Or, selon les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le changement climatique va entraîner une élévation du niveau des océans estimée entre 30 cm et 100 cm en 2100 ! Les maisons flottantes sont donc la solution.
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« Nous sommes arrivés à un moment où nous sommes obligés de repenser notre façon d’utiliser l’eau, explique le Néerlandais Koen Olthuis. Les projets flottants en milieu urbain peuvent apporter une solution tangible, flexible et durable à ces problèmes. » Quand il ouvre son agence dans les années 2000, rares sont ceux qui s’intéressent à ce type d’architecture.
Depuis, ses maisons sont devenues synonymes de vie avant-gardiste sur l’eau. En béton et en bois, autonomes, car fonctionnant à 100 % hors réseau grâce à la production d’énergie solaire, la gestion écologique des déchets et la récupération des eaux de pluie, elles possèdent des systèmes auto-élévateurs qui les aident à s’adapter aux fluctuations du niveau de l’eau.
Si la plupart de ces constructions doivent être tractées pour se déplacer, à Miami, l’une d’entre elles a été équipée d’un moteur afin de pouvoir naviguer seule.Erick Van Mastrigt est un homme heureux. Ce n’est pas sans fierté qu’il fait visiter son habitation arrimée à la berge d’un des canaux de la ville de Leyde.
Achevée en janvier 2023, elle est arrivée poussée de canal en canal par deux barges. Avec 18,5 mètres de long, 11 mètres de large et 6 mètres de haut, c’est l’une des plus grandes demeures émergées réalisées aux Pays-Bas.
Ce qui l’a incité à l’acquérir, lui et sa femme ? Le plaisir de vivre sur l’eau, de se sentir un peu plus écolos, de pouvoir prendre le bateau pour se balader, ne plus avoir de jardin à entretenir. Sans oublier les 200 m² de surface habitable à un prix équivalent à celui d’un studio en centre-ville de Leyde et une taxe foncière bien moindre.
Dans le quartier nord d’Amsterdam, une autre expérience se vit depuis 2017 : sur le canal Johan Van Hasselt a été décidée la création de tout un quartier, appelé Schoonschip (« bateau propre », en français), où 46 maisons ont été installées (dont deux par Waterstudio), qui accueillent aujourd’hui une centaine d’habitants.
En cette belle journée de septembre, les enfants jouent dans l’eau sous l’œil des parents assis au soleil en terrasse. Tout le monde se connaît, les portes sont ouvertes, on passe prendre un café ici, une bière là.
Besoin d’une bouée ou de faire un tour en bateau ? Il y a toujours un adulte disponible. Ce quartier préfigure les villes flottantes de demain. Tous les bâtiments sont zéro émission, le chauffage étant assuré par une pompe à chaleur qui l’extrait du canal. Un tiers des toits est végétalisé et le reste couvert de panneaux solaires qui fournissent électricité et eau chaude.
En ce qui concerne les eaux usées, elles sont envoyées dans une cuve pour produire du gaz. On s’y déplace à pied ou à vélo et on va faire ses courses à bord d’une embarcation.
Les défauts ? Pour Ari, l’un des habitants, il y en a peu : « Certes, il faut aimer vivre en communauté… Sinon, le seul inconvénient majeur est que la maison bouge par gros temps, dit-il. Rien à voir avec un bateau, mais il faut quand même le savoir et s’y habituer ! »
Mais surtout, et personne n’ose l’avouer ouvertement, ils ont le sentiment d’avoir déjà embarqué à bord de la nouvelle arche de Noé et de faire partie de ces élus qui échapperont au futur désastre écologique. Ici, ces résidences, achetées 250 000 euros en 2019, s’arrachent déjà à plus d’un million.
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Passer au pont supérieur
Waterstudio, fer de lance des maisons flottantes
Avec plus de 200 maisons flottantes construites, l’agence Waterstudio est le navire amiral de cette nouvelle architecture. « Aux Pays-Bas, nous vivons dans une machinerie, insiste Koen Olthuis. Nos pompes fonctionnent en continu pour assécher les terrains. Elles nous maintiennent en vie, mais les problèmes d’entretien, de coût, de baisse des nappes phréatiques, de salinisation des terres… sont nombreux. Il vaudrait mieux apprendre à vivre avec l’eau, arrêter de se battre contre elle et la laisser revenir en ville. »
La technologie existe, héritée des plates-formes pétrolières, des marinas et même de certains villages du peuple Bajau, en Indonésie ou en Thaïlande. « Jadis, Bangkok était une cité flottante qui fonctionnait très bien, raconte notre homme. Certains ont jugé que c’était archaïque et ont voulu en faire une ville moderne. Désormais, elle suffoque à cause des embouteillages, de la pollution et est directement menacée par la montée des eaux. Si elle était restée dans son état d’origine, elle se serait adaptée ! »
La preuve, Koen Olthuis est en train d’appliquer cette technique dans un projet aux Maldives. Dans un lagon, près de Malé, la capitale, son équipe construit un village sur l’eau prévu pour… 30 000 personnes !
Onze ans de travail ont été nécessaires pour parvenir à une solution pérenne pour les hommes et pour la nature. La taille des pontons et des modules d’habitation, par exemple, a été pensée pour laisser passer la lumière, indispensable au développement de la vie sous-marine et des coraux.
L’architecte devient intarissable : « Ce projet est extraordinaire, car il nous fait nous poser quantité de questions. Pour protéger les îles du lagon, nous développons des forêts flottantes de palétuviers. Pour nourrir les habitants, des nurseries pour poissons seront installées sous les pontons. Pour rafraîchir les maisons, nous puisons l’eau froide à 700 mètres de profondeur… »
Conçu pour s’adapter à une montée des eaux de cinq mètres, ce village, qui sera achevé en 2027, attire déjà les regards de Hongkong, de Singapour, des Émirats arabes unis et de bien d’autres États.
Outre les Maldives, Koen Olthuis a été sollicité par des villes comme Hambourg, Rotterdam, La Haye et Londres. Toutes ont besoin de se développer alors qu’elles disposent d’immenses ports dans lesquels rades, darses et autres bassins sont inutilisés. L’architecte y voit un nouveau terrain de jeu.
Sa solution s’appelle City Apps. En plus de l’installation d’habitations, cette idée consiste à créer des composants urbains flottants (écoles, hôpitaux, salles de spectacle, équipements sportifs…) qui ajoutent une fonction particulière au maillage terrestre.
Sur l’eau, ils peuvent être stockés dans des bassins en dehors du centre et déplacés selon les besoins. À Lyon, son équipe vient de réaliser le premier théâtre européen de cette sorte : amarrée depuis janvier 2023 le long de la berge Bertha-Von-Suttner, L’Île Ô est une salle de spectacle pour les enfants.
Si l’établissement public Voies navigables de France, partenaire du projet, n’a pas l’intention de la déménager, cela pourrait être envisagé après quelques réaménagements structurels. Et le théâtre pourrait descendre ou remonter le Rhône en fonction des programmations.
Koen Olthuis était déjà cité en 2011 par le magazine français Terra Eco comme l’une des 100 personnalités « vertes » qui changeront le monde. Aux Pays-Bas, on préfère plus simplement le surnommer le « Hollandais flottant ».
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