Les designers scandinaves s’invitent dans nos intérieurs

À Stockholm ou à Copenhague, une génération de designers propose une exploration joyeuse et décomplexée du minimalisme scandinave. Un flirt excitant, avec le brutalisme autant qu’avec le néo-pop ou les décennies 80 et 90. Ce nouveau « paysage domestique » (en référence à l’exposition mythique du MoMA en 1972, « Italy : The New Domestic Landscape ») cohabite en toute fluidité avec les pièces scandi-chic de l’âge d’or qui continuent à être rééditées et réinterprétées.

La couleur serait-elle le nouveau blond ? La proportion, le nouvel ornement ? Le brutalisme, la nouvelle épure ? La collaboration, le nouvel ego ? Le local, le nouvel international ? Oui, si l’on en croit la nouvelle vague de designers nordiques. À l’instar de ce qui se passe pour le genre, cette génération de designers scandinaves refuse de choisir entre design et art, Crafts (de Arts and Crafts) et industrie, épuré et décoratif.


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Le studio suédois Stamuli, qui a conçu le fauteuil Tagadá, signera le bar de la section Greenhouse de la prochaine Stockholm Furniture Fair (SFF).
Le studio suédois Stamuli, qui a conçu le fauteuil Tagadá, signera le bar de la section Greenhouse de la prochaine Stockholm Furniture Fair (SFF). Francesco Stelitano

Des créations avant-gardistes

Si leurs styles respectifs sont parfois très différents, tous ont en commun le désir d’ancrer le made in Scandinavia non dans la nostalgie mais dans la modernité. Hors de question pour eux de brandir la durabilité en étendard, tant elle fait dorénavant intrinsèquement partie de l’équation. « Avons-nous besoin d’une nouvelle chaise ? À proprement parler, non, affirme le designer Fredrik Paulsen. Mais pour moi, le mobilier est un artefact culturel qui nous raconte quelque chose du monde dans lequel nous vivons, de la même façon que le font les autres modes d’expression artistique : art, musique, cinéma, poésie ou littérature. »

Le designer suédois navigue avec un talent de skateur aguerri entre ses partenariats avec des éditeurs (Vaarnii, Bla Station), des galeries (Etage Projects) et sa propre marque, Joy Objects. Grâce à elle, il commercialise directement son mobilier en aluminium aux formes néo-basiques beaucoup plus sophistiquées qu’elles n’en ont l’air, décliné dans des coloris presque fluo.

La suspension Curly, de Gustaf Westman, star des réseaux sociaux, pourrait figurer dans un mème du film Barbie.
La suspension Curly, de Gustaf Westman, star des réseaux sociaux, pourrait figurer dans un mème du film Barbie. DR

Autre designer suédois à suivre : Gustaf Westman. Les créations de cet architecte d’à peine 26 ans aux 341 000 followers fin 2023 affichent des couleurs de sorbet pop et des volumes graphiquement élargis – une esthétique qui évoque le geste que l’on fait dorénavant spontanément lorsque l’on cherche à agrandir une image sur un écran de smartphone. Résultat ? Elles séduisent bien au-delà de la Scandinavie. À Miami, aux dates de la foire internationale d’art contemporain Art Basel Miami Beach, on retrouvait celles du jeune homme dans le café du très cool hôtel The Standard. C’est de Miami toujours et en simultané sur Instagram qu’a été lancé son dernier produit : le bougeoir Chunky, petit frère de ses tasses best-sellers du même nom.

Une stratégie de commercialisation qui fait écho à cette approche de la rareté maîtrisée par des marques de mode expertes en ce domaine, comme Phoebe Philo ou Supreme. Du 6 au 10 février, Gustaf Westman exposera pour la première fois à la foire de Stockholm (Stockholm Furniture Fair), dans le nouvel espace « New Ventures » aménagé par l’un de ses pairs, Nick Ross. Hanna Nova Beatrice, rédactrice en chef du magazine The New Era et directrice de l’événement ainsi que de la design week, est parfaitement consciente de la nécessité de faire évoluer le concept de foire, d’en faire un lieu propice aux rencontres entre éditeurs et jeunes designers et d’accueillir les collections qui en résultent. Comme celles de David Ericsson pour Bebo ou Atelier Sandemar.

À Copenhague, la galerie Tableau fondée par le bouillonnant fleuriste, ­curateur et décorateur Julius Værnes Iversen. Chaises 001, de Fredrik Paulsen, et suspensions 60’s, de ­Hans-Agne Jakobsson, rééditées (le tout Vaarnii).
À Copenhague, la galerie Tableau fondée par le bouillonnant fleuriste, ­curateur et décorateur Julius Værnes Iversen. Chaises 001, de Fredrik Paulsen, et suspensions 60’s, de ­Hans-Agne Jakobsson, rééditées (le tout Vaarnii). Filippo Bamberghi

Autre signal fort : après Front l’an dernier, les invités d’honneur de la prochaine édition seront FormaFantasma, dont tout le monde s’arrache la rigueur intellectuelle et le travail d’investigation sur l’écosystème global du design, de Prada à Artek en passant par Hem. Deux autres designers scandinaves, Färg & Blanche et Lab La Bla, signeront chacun un « design bar » au sein de la foire – celui imaginé par Lab La Bla intégrera même un minigolf. Message : ne plus opposer non plus ville et nature, business et expérimentation… On ne peut que valider.

Les designers scandinaves, l’avenir du design ?

À Copenhague, le festival 3daysofdesign, qui a fêté ses 10 ans en juin, pourrait se définir comme un joyeux parcours de foire à ciel ouvert pour les designers scandinaves. Un peu comme si, à Milan, le Salone et le Fuorisalone ne faisaient qu’un. De Fritz Hansen et PP Møbler à Hay en passant par Fredericia, Muuto, Fora Projects, Frama ou Gubi, les marques – plus que les designers – y ont dévoilé leurs nouveautés.  L’humeur était chaleureuse et festive, le business, robuste. La visite des showrooms sert aussi d’introduction informelle aux projets urbanistiques de la capitale danoise.

Lampes Pleated for Frank, design Folkform, soit Anna Holmquist et Chandra Ahlsell, designers scandinaves de l’année aux Scandinavian Design Awards 2023 (Svenskt Tenn).
Lampes Pleated for Frank, design Folkform, soit Anna Holmquist et Chandra Ahlsell, designers scandinaves de l’année aux Scandinavian Design Awards 2023 (Svenskt Tenn). DR

Après le quartier de Nordhavn, à Copenhague (où Kvadrat et Gubi sont installés), les entrepôts de Refshaleøen (où les étudiants de la Royal Danish Academy exposaient leurs travaux de recherche) et les 30 hectares de l’ancienne brasserie Carlsberg dans le quartier de Carlsberg Byen, futur hub pour créatifs, étaient ainsi sous les projecteurs. Toujours pionnier, le designer scandinave de mode Henrik Vibskov y a d’ores et déjà ouvert une seconde boutique. Car au royaume du hygge, ce terme danois qui évoque l’art du cocooning, design et homewear ne cessent de tisser des liens de plus en plus resserrés.

La Butterfly Chair, de l’architecte ébéniste danois Salem ­Charabi : l’un des projets les plus remarqués de la première édition du festival parisien Contributions.
La Butterfly Chair, de l’architecte ébéniste danois Salem ­Charabi : l’un des projets les plus remarqués de la première édition du festival parisien Contributions. Steven Hickey

Aussi discret que talentueux, l’architecte et ébéniste égypto-danois Salem Charabi se tient volontairement à l’écart des foires. Fort heureusement, il a accepté d’exposer sa chaise Butterfly à Paris, en octobre, dans le cadre du festival Contributions, lancé par Anna Caradeuc pendant la semaine de Paris+ par Art Basel (une « activation artistique dans divers lieux emblématiques de la ville de Paris »). Avec son assise inédite se déployant façon ailes de papillon, elle accueille généreusement les vêtements que l’on souhaite poser et réinvente ainsi de façon subtile et poétique l’ennuyeuse typologie du valet : une future icône.

La série limitée signée Gubi x Noah atteste du dialogue croissant entre mode et design. La marque new-yorkaise a recolorié la corde de la lounge chair MR01 de Mathias Steen Rasmussen et dessiné une collection capsule de vêtements qui lui fait écho.
La série limitée signée Gubi x Noah atteste du dialogue croissant entre mode et design. La marque new-yorkaise a recolorié la corde de la lounge chair MR01 de Mathias Steen Rasmussen et dessiné une collection capsule de vêtements qui lui fait écho. DR

Chez Gubi, le hygge se mâtinait d’humeur estivale via la collaboration avec le label de mode new-yorkais Noah : une microcollection de tenues de plage, complices idéales de la version outdoor de la chaise lounge MR01, de Mathias Steen Rasmussen, déclinée en corde de couleur pour l’occasion.

Après un pop-up store réservé à la collection capsule de couettes et de pyjamas imaginée avec Jonathan Saunders durant 3daysofdesign, Magniberg (dont Kvadrat est dorénavant l’actionnaire principal, NDLR), jeune marque suédoise de linge de lit basée à Stockholm signant également quelques meubles mi-shaker, mi-Donald Judd, a investi temporairement la demeure historique du couple de designers scandinaves Carl et Karin Larsson dans le village de Sundborn (Suède). En confiant au photographe d’architecture Mikael Olsson le soin d’immortaliser cette installation, Magniberg a assurément signé un très beau projet de communication. Un brillant manifeste illustrant parfaitement ce double regard, admirateur et disruptif, que la nouvelle vague de designers porte sur l’héritage scandinave.


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