Les 1001 vies de Mario Bellini

Figure de proue du design, l'Italien a révolutionné son monde et son époque, imaginant des objets toujours plus novateurs à la pointe de la modernité, que ce soit des mange-disques pop et portatifs, des lampes vendues à plat ou des sofa modulables. Portrait.

Evoquer la vie de Mario Bellini revient à retracer la trajectoire d’une figure de proue du design. Tout débute le 1er février 1935 à Milan, où le maestro voit le jour. Il intègre ensuite l’École polytechnique de la capitale lombarde d’où il sort diplômé en architecture en 1959. Parmi ses maîtres à penser, il cite Gio Ponti, Piero Portaluppi ou encore Ernesto Nathan Rogers. Sa carrière, démarrée sur les chapeaux de roue dans les années 1960, soit à l’âge d’or de la discipline, se ponctue d’une foule de Compassi d’Oro, d’une rétrospective au MoMA, de collaborations avec les plus grandes maisons d’édition de la botte, mais aussi d’une deuxième carrière dans l’architecture, son premier amour.


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Mario Bellini et la révolution Olivetti

Si l’art majeur est son premier amour, Mario Bellini commence sa carrière en tant que designer, intégrant brièvement La Rinascente avant de briller dans l’univers de l’électronique et de la bureautique : “De 1961 à 1963, il est directeur artistique de la ligne ameublement de l’enseigne, qui est un peu l’équivalent italien de Prisunic, raconte Julia Balduini, attachée de conservation au MAD Paris (Musée des Arts Décoratifs). Puis il devient designer consultant pour Olivetti, qui développe des machines à calculer et à écrire et tout un système d’ameublement pour le bureau.

En 1965, Mario Bellini a créé ce qui peut être considéré comme l’un des premiers ordinateurs personnel, le « Programma 101 ».
En 1965, Mario Bellini a créé ce qui peut être considéré comme l’un des premiers ordinateurs personnel, le « Programma 101 ».

Dans le cadre de cette collaboration, Mario Bellini donne naissance en 1965 à l’un des premiers ordinateurs personnels, le Programma 101. “La griffe fait alors appel à des designers, dont Ettore Sottsass et Marcello Nizzoli. Mario Bellini imagine des machines à calculer assez remarquables, comme la “Multisumma” et la “Divisumma”, qui constituent une préfiguration au fameux PC. À l’époque, Olivetti souhaite concevoir des machines de plus en plus compactes et légères. Cela coïncide, au début des années 1970, avec la miniaturisation de ces équipements, qui passent de l’électro mécanique à l’électronique et donc d’une taille importante, équivalente à celle d’une voiture, à celle d’un produit domestique. »

Ses machines révolutionnaires placent l’humain au centre de l’utilisation. « Tandis que “Multisumma” présente un clavier incliné afin que les mains puissent épouser les touches sans trop de gesticulations, “Divisumma 18” en propose un à la surface molle et aux couleurs inhabituelles pour cet univers bureautique”, confirme Julia Balduin.

La machine à calculer « Divisumma 18 », conçue en 1973 pour Olivetti.
La machine à calculer « Divisumma 18 », conçue en 1973 pour Olivetti.
La machine à calculer « Divisumma 18 », conçue en 1973 pour Olivetti.
La machine à calculer « Divisumma 18 », conçue en 1973 pour Olivetti.

Mario Bellini met également ses talents au service d’autres griffes dédiée à l’électronique : il imagine notamment, pour Brionvega des téléviseurs fou – en forme de triangle, à tête inclinable… – et autres chaînes hi-fi au design novateur, à l’instar de Totem – ce poste de radio et lecteur de disques modulable dessiné en 1971 et devenu aujourd’hui un véritable objet culte – ou encore des mange-disques pop portatifs pour Minerva (GA 45 Pop & Phonoboy, 1968).

Artisan de son époque

En parallèle, Mario Bellini imagine du mobilier pensé pour le quotidien qui épouse les évolutions de son temps. Parmi ses création figure Chiara, un luminaire édité en 1969 chez Flos. L’époque est alors à l’innovation, mais aussi à l’implication de l’usager. Ainsi la lampe, faite d’une feuille en acier inoxydable poli, arrive chez son heureux propriétaire dans un emballage à plat. C’est au client qu’il revient de monter Chiara, en enroulant la large pièce de métal.

Mario Bellini tout sourire en compagnie de la lampe « Chiara » de Flos en 1969. © Giuseppe Pino
Mario Bellini tout sourire en compagnie de la lampe « Chiara » de Flos en 1969. © Giuseppe Pino

En 1970 arrive l’aujourd’hui incontournable Camaleonda, qu’il conçoit pour C&B Italia (aujourd’hui B&B Italia). À l’occasion des 50 ans de l’assise tout en rondeur, emblématique des canapés au ras du sol pensés pour s’affaler qui fleurissent à l’époque, le designer a expliqué le sens caché derrière cette appellation singulière : “Camaleonda est un néologisme que j’ai inventé en mélangeant deux mots : le nom de cet animal extraordinaire qu’est le caméléon, capable de s’adapter à l’environnement dans lequel il se trouve et le mot “onda” qui indique la vague de la mer et la courbe du désert. Ces deux mots décrivent la forme et la fonction de cette assise.

Image d’archive de l’emblématique sofa modulable « Camaleonda ».
Image d’archive de l’emblématique sofa modulable « Camaleonda ».

Et pour cause, le sofa se compose d’un module, sur lequel se greffent dossiers et accoudoirs à l’aide d’un système de câbles, crochets et anneaux. Un dispositif qui permet de moduler à l’envie la silhouette de cette pièce et de lui offrir mille et une vies à travers autant de configurations. En plus de cet aspect innovant, le Camaleona répond à un manque de renouvellement constaté par Mario Bellini.

Au début des années 1970, les ameublements domestiques rembourrés stagnaient encore majoritairement entre les variantes les plus courantes des typologies historiques et des fuites en avant élitistes radicales-provocatrices qui, bien que stimulantes, s’avéraient difficilement capables de remettre en question le rapport entre l’évolution des nouveaux comportements dans l’espace domestique et les typologies d’ameublement alors disponibles sur le marché”, disait-il.

La mannequin Donna Jordan immortalisée début 70 par Oliviero Toscani dans le cadre d’une campagne de publicité pour devenue culte « Le Bambole ».
La mannequin Donna Jordan immortalisée début 70 par Oliviero Toscani dans le cadre d’une campagne de publicité pour devenue culte « Le Bambole ».

Autre pièce rebondie, le Bambole, réalisé en 1972 et réédité en 2022 par B&B Italia, se décline en fauteuils, canapés et lits. Dans une toute autre veine mais tout aussi culte, on note la chaise Cab dessinée pour Cassina et éditée en 1977, qui se compose d’un squelette de métal, habillée d’une robe de cuir de sellerie autoportante, fermée par un zip.

Une forme au profit de la fonction

Il y a une forme d’intemporalité dans son travail, synthétise Julia Balduini, de classicisme dans la lignée du rationalisme, mais l’effet de style n’est pas son objectif. Sa réflexion porte sur la forme et l’usage avant tout, tout en ayant une approche assez architecturale. Par exemple, dans son service à thé et à café imaginé dans les années 1980 pour Rosenthal, on retrouve l’idée d’une ligne assez classique d’où se dégagent des micro architectures. Par ailleurs, le travail sur l’anse un peu surdimensionnée crée un cachet graphique propre à ce service. Ça n’est pas un effet de style, étant donné qu’il y a toute une réflexion autour de la préhension et aussi, de la fonction d’usage de ces objets. Il y a un effet graphique avec une volonté d’enjoliver l’objet, mais toujours en lien avec une pensée rationnelle.

Service à thé et à café « Cupola », imaginé par Mario Bellini pour Rosenthal en 1985.
Service à thé et à café « Cupola », imaginé par Mario Bellini pour Rosenthal en 1985.

Une façon de faire que le maître italien a privilégié tout au long de sa carrière à travers d’autres collaborations avec des marques aussi éclectiques que Flou, Heller, Kartell, Meritalia, Renault, Tecno, Venini, Vitra, Yamaha etc…Mais également en tant que directeur de Domus de 1986 à 1991 revue bien connue des aficionados d’architecture, ainsi qu’en tant que professeur dans de prestigieuses universités. Une trajectoire honorée par huit Compasso d’Oro, mais aussi à travers une rétrospective au MoMA à New York en 1987.

Un nouveau chapitre

La même année, il fonde Mario Bellini Architects et se consacre désormais à son premier amour, l’architecture. Durant cette nouvelle séquence de sa vie, il signe plusieurs édifices phares comme le Tokyo Design Center, construit entre 1988 et 1992, l’extension et la restructuration de la National Gallery of Victoria à Melbourne achevée en 2003, ou encore la rénovation du Siège de la Deutsche Bank à Francfort entre 2007 et 2011.

Le pavillon des Arts Islamique du Louvre, conçu avec Rudy Ricciotti dans la Cour Visconti.
Le pavillon des Arts Islamique du Louvre, conçu avec Rudy Ricciotti dans la Cour Visconti.

Mais l’une des plus significatives est sans nul doute le département des Arts Islamiques du musée du Louvre, conçu avec le français Rudy Ricciotti. Posée dans la cour Visconti, cette réalisation est reconnaissable au voile doré ondulant qui la coiffe. Une coiffe dont la relative transparence permet d’apercevoir les façades de son écrin. “Il n’est pas question d’architecture palatiale, mais plutôt d’une certaine discrétion, d’une certaine réserve qui est en phase avec son époque, souligne Julia Balduini. Ce voile réussit à créer un volume muséographique intéressant, mais aussi un équilibre entre le patrimonial et le moderne, touchant encore et toujours à l’intemporalité. »


Les  huit Compassi d’Oro attribué à Mario Bellini

1962 > Table à manger, de jeu et d’étude [Cartesius], Mario Bellini, Sandro Pedretti & F.llo
1964 > Machine de marquage de caractères magnétiques CMC7-7004, Mario Bellini, Olivetti
1970 > Calculatrice Logos 270, Mario Bellini con Sandro Pasqui, Olivetti
1979 > Série de meubles rembourrés Le Bambole, Mario Bellini, B&B Italia
1979 > Distributeur automatique de café Bras 200, Mario Bellini con Dario Bellini, Bras
1981 > Machine à écrire électronique portative Praxis 35, Mario Bellini, Olivetti
1984 > Caisse Mercator 20, Mario Bellini, Olivetti
2001 > The Bellini Chair, Mario Bellini, Heller Incorporated


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