La Fondation Loewe dévoilait hier, au Palais de Tokyo, à Paris, les lauréats de son Craft Prize 2024. L’occasion de mettre en lumière les talents des trente finalistes, dont les œuvres sont exposée au sein du centre d’art jusqu’au 9 juin prochain, et de discuter des enjeux de l’artisanat et de son engouement auprès de la jeune génération avec Jonathan Anderson, directeur créatif de la griffe, mais aussi Olivier Gabet et Patricia Urquiola, membres du jury depuis la création du prix, en 2016.
À lire aussi : Rising Talent Awards 2024 : 3 jeunes studios à suivre de près
Paris, terre d’accueil du Craft Prize 2024
« Chuk-ing chuk-ing », « uichu, uichu », « kan-kan, kan-kan », « clink, clink »… Avez-vous reconnu ces onomatopées ? Non ? Ils ne vous évoquent pas le son du verre que l’on découpe avec des cisailles à diamant, de l’argile froide et mouillée que l’on pétrit, du métal que l’on frappe, des objets en porcelaine qui s’entrechoquent ?
La Fondation Loewe, créée 1988 par Enrique Loewe Lynch – membre de la quatrième génération de la famille fondatrice – et maintenant dirigée par sa fille, Sheila Loewe, a demandé aux trente finalistes de son Craft Prize 2024 de se filmer en singeant les bruits émis lorsqu’ils manient leurs instruments, travaillent la matière et manipulent leurs objets.
Résultat : des mini vidéos ultra poétiques et captivantes, qui transportent le spectateur dans l’atelier de ces artistes-artisans. « Ce matin, en écoutant tomber la pluie sur les vitres du Palais de Tokyo, à Paris, cette cité bourrée d’histoire, en entendant ce « ploc, ploc » répétitif, j’ai repensé à ces images et à ces sons magnifiques« , confie Patricia Urquiola, qui fait partie des membres du jury depuis la création du Prix.
Cette année, la septième édition de l’événement, l’un des seuls de ce genre à rayonner à l’international pose donc ses valises dans la capitale hexagonale, « la patrie des savoir-faire« , selon l’architecte espagnole. « Notre édition de 2020 était supposée prendre place ici, à Paris, mais la pandémie en a décidé autrement, rappelle Jonathan Anderson, directeur créatif de Loewe. La France bat au rythme de l’artisanat. Même un cliché comme le château de Versailles porte en lui cette idée d’une excellence des savoir-faire, liés au miroir, par exemple. Sans parler des céramistes français, parmi les meilleurs au monde. Les univers du mobilier et de l’art contemporain s’appuient beaucoup sur l’artisanat. Pourtant, ces fabricants sont souvent relégués au second plan, ce que je trouve dommage, contrairement au Japon, où le gouvernement est très engagé dans la protection de ce patrimoine vivant. »
Loewe : l’artisanat dans la peau
Depuis 2016, le Craft Prize de Fondation Loewe s’engage à placer sous les projecteurs une multitude de techniques ancestrales et de pratiques nouvelles. Il faut dire que la griffe, fondée en Espagne en 1846, était à l’origine un collectif d’artisans du cuir. S’il avoue ne pas être manuel lui-même, Jonathan Anderson se passionne pour toutes sortes de savoir-faire, collectionne les céramiques, s’intéresse à ce qu’elles racontent de notre Histoire. Depuis son arrivée à la tête de la création de la maison en 2013, l’Irlandais n’a cessé de valoriser l’artisanat, que ce soit à travers ce prix qu’il a lui-même initié, ou encore des collaborations avec des artisans, souvent des finalistes au Prix, qu’il sollicite pour sublimer ses collections.
« En tant que société, nous sommes de plus en plus curieux envers la fabrication manuelle, à l’idée de comprendre comment sont conçues ces pièces magnifiques, de découvrir les petites mains qui travaillent dans l’ombre, analyse Jonathan Anderson. Sur les réseaux sociaux de Loewe, les courts-métrage que nous publions concernant le making-of de nos créations font souvent davantage réagir que les défilés eux-mêmes ! » Pas étonnant alors que le Prix prenne de plus en plus d’ampleur. « Au départ, nous exposions une trentaine d’œuvres car il y avait presque autant d’artistes qui postulaient, se souvient Patricia Urquiola en riant. Cette année, nous avons reçu pas moins de 3900 candidatures. » De 124 pays différents. Un record.
Quant à l’âge moyen des participants, il diminue d’édition en édition. « La pandémie a aidé tout le monde à ralentir le rythme, continue le directeur créatif. Pour se divertir, de nombreuses personnes se sont mis à la broderie, au tricot, et se sont rendu compte, surtout les plus jeunes, qu’ils pouvaient en vivre. Je préfère que notre prix soit ouvert au plus grand nombre, pas seulement aux artistes confirmés qui exposent dans des galeries. Une année, une créatrice a présenté des couvertures sublimes, qu’elles n’avaient jamais montrées au public. Je suis heureux que l’on ait pu ainsi découvrir son travail. »
Une ambiance bonne enfant
« Chaque année, les finalistes passent quelque jours tous ensemble, à New York, Séoul, Tokyo et aujourd’hui, Paris, explique Patricia Urquiola. Ils tissent des liens pendant ces moments. Et lorsque les lauréats sont annoncés, on voit dans les yeux de tous leurs sincères félicitations. Ils sont contents les uns pour les autres. » Il suffit de voir la façon dont sont chouchoutés ces artistes, logés cette année à l’hôtel Madame Rêve, rue du Louvre, en plein cœur de la ville, les dîners en leur honneur et les rencontres organisées avec journalistes et professionnels grâce au carnet d’adresse bien fourni de la griffe dans le giron de LVMH.
« Evidemment, dans notre monde actuel, nous devons choisir un gagnant, des mentions spéciales, départager tous ces créateurs exceptionnels, tempère l’architecte. Mais en réalité, cette expérience est un « win-win » pour les 30 finalistes, la fondation Loewe accordant tellement d’importance à la façon de raconter leurs histoires, d’exposer leurs œuvres et de les faire connaître. » Olivier Gabet, directeur du département d’art du Musée du Louvre et lui aussi membre du jury depuis la première édition du Craft Prize, n’oublie pas l’enjeu derrière cette ambiance bonne enfant.
« Cette distinction peut changer des vies, rappelle-t-il. [Le lauréat reçoit une dotation de 50 000€, NDLR] Je suis ravi de constater que le continent Africain, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine sont de plus en plus représentés. D’ailleurs, le lauréat est originaire du Mexique, dont la scène artistique est en plein essor. » Affaire à suivre et exposition à découvrir jusqu’au 9 juin prochain au Palais de Tokyo, à Paris
> Loewe Foundation Craft Prize 2024, exposition au Palais de Tokyo jusqu’au 9 juin, informations ici.
À lire aussi : Loewe Foundation Craft Prize 2024 : ces artisans qui ont marqué la rédaction