Le duo Bless imagine une installation de paravents pour Fendi

L’installation de paravents Backfrontal imaginée par le duo de Bless pour Fendi à la foire Design Miami 2023, qui s’est tenue en décembre, nous invitait à remettre en question nos préjugés. En nous offrant une expérience physique de l’espace, elle s’apparentait aussi à une plongée dans une image instagrammable.

L’annonce de l’exposition, à Design Miami, de l’installation Backfrontal, commissionnée par la très chic maison de couture romaine Fendi à l’inclassable studio de design transdisciplinaire Bless, a créé la surprise. On ne peut qu’applaudir ce trop rare signe d’audace.


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La face cachée de l’audace

Cofondatrices en 1997, à Paris et à Berlin, de ce studio dont la pratique radicale et expérimentale se situe à l’intersection de la mode et du design, Desiree Heiss et Ines Kaag – qui se définissent souvent comme « designeuses de situations », une référence somme toute assez logique au mouvement situationniste des années 60 – ont d’abord décliné la proposition qui leur avait été faite.

Le paravent « Elevator » par Bless pour Fendi.
Le paravent « Elevator » par Bless pour Fendi. Ludger Paffrath

« Nous ne sommes pas une entité avec laquelle il est facile de travailler, précisent-elles. Depuis vingt-cinq ans, nous évitons de participer à tout type de foire de design, car nous n’y trouvons aucune pertinence. Aussi, lorsque Simon Parris (qui coopère avec le studio du directeur artistique Kim Jones, NDLR) nous a contactées, nous lui avons simplement répondu : “Qu’avons-nous à voir avec Fendi ? Rien !” Il a fini par nous convaincre de venir découvrir les différentes facettes de l’univers de la marque à Rome, sans que cela ne nous engage à quoi que ce soit. Dans notre activité, nous cherchons toujours à dépasser les idées préconçues. Nous avons compris que cette collaboration pouvait aussi nous confronter à nos propres préjugés. En rencontrant toutes ces femmes formidables qui travaillent pour Fendi, nous avons été impressionnées par la dimension humaine de cette maison. Nous avons alors réfléchi à comment prendre appui sur l’existant, car il est très important pour nous d’éviter de créer à tout prix. » La formule ne surprendra pas les initiés qui admirent la radicalité, l’expérimentation et la non-compromission de Bless depuis plus de deux décennies.

Design expérimental

Petit flash-back. En 1997, Desiree Heiss et Ines Kaag fondent Bless. Ces deux jeunes inconnues en partie autodidactes décident d’acheter une page de publicité dans le magazine anglais culte i-D pour y présenter leur première création, Bless N°00 Furwig, une perruque en fourrure.

L’installation Backfrontal imaginée par Bless pour Fendi à la foire Design Miami 2023 invitait à remettre en question nos préjugés, 2024 – IDEAT
L’installation Backfrontal imaginée par Bless pour Fendi à la foire Design Miami 2023 invitait à remettre en question nos préjugés, 2024 – IDEAT Robin Hill

Cette approche non conventionnelle et l’esthétique très David Bowie époque Ziggy Stardust de l’objet séduisent aussitôt le couturier belge Martin Margiela. Ce dernier coiffe alors tous les mannequins de son défilé automnehiver 1997-1998 de ces perruques fabriquées à partir de pelisses upcyclées (le musée Galliera, à Paris, en a depuis acquis un exemplaire pour sa collection permanente).On ne soulignera jamais assez le rôle prescripteur de la presse indépendante.

C’est en effet i-D qui a mis Bless sur le chemin de Simon Parris. Ami d’enfance et partenaire de Kim Jones (l’actuel directeur de la création de Dior Homme, qui a également succédé à Karl Lagerfeld pour la direction artistique des collections Femme chez Fendi en 2020) sur ses projets culturels, Simon Parris se souvient : « Lorsque Kim et moi étions plus jeunes, notre énergie créative était vraiment stimulée par des parutions telles que i-D, dont j’étais un lecteur assidu. À la fin des années 90, j’ai découvert Bless via leur publicité publiée dans ce magazine. Je n’ai jamais cessé de les suivre depuis. Pour Backfrontal, mon rôle a été celui d’un instigateur, d’un médiateur et d’un ambassadeur. C’est le troisième projet de ce type auquel je travaille avec Fendi (c’est Simon Parris qui a introduit auprès de Silvia Venturini Fendi, petite-fille des fondateurs, le nom du designer botswanais Peter Mabeo, en 2021, et celui de Lukas Gschwandtner, en 2022, pour leur participation à Design Miami, NDLR). Auparavant, j’ai passé une vingtaine d’années dans le monde de l’art en collaborant avec des créateurs sur des projets associés à des galeries et à des institutions. »

Le paravent Statue affiche des photographies en taille réelle du premier étage de la boutique Fendi située Largo Goldoni, à Rome.
Le paravent Statue affiche des photographies en taille réelle du premier étage de la boutique Fendi située Largo Goldoni, à Rome. Ludger Paffrath

De son côté, Fendi (dont le groupe LVMH est actionnaire majoritaire depuis 2001) soutient avec détermination et constance le design expérimental en sponsorisant les rencontres internationales Design Talks à Design Miami depuis 2008, date à laquelle la jeune foire était encore organisée sous une tente dans ce qui allait devenir le Design District.

En 2009, ce fut le mythique workshop-performance Craft Punk, qui rassembla à Milan, pendant le Salon du meuble, de futurs designers phares tels que Nacho Carbonell, Glithero, Peter Marigold, Kwangho Lee ou Raw-Edges. S’ensuivront des collaborations-installations signées FormaFantasma, Maria Pergay, Dimore Studio, Chiara Andreatti, Kueng Caputo (liste non exhaustive).

Trompe-l’oeil et effet miroir

À un an du vingtième anniversaire de Design Miami, Bless et Fendi ont réussi, avec Backfrontal, à chahuter aussi bien l’espace classique d’un stand de foire que les idées préconçues sur le chic et le cheap. Quatre paravents en trompe-l’oeil, chacun tapissé d’une photographie grandeur nature, comme autant de « fragments » de lieux liés à Fendi, sélectionnés par Desiree Heiss et Ines Kaag à l’issue de leur escapade romaine.

Recouvert de bois verni, le verso des paravents intègre des éléments fonctionnels, ici un banc.
Recouvert de bois verni, le verso des paravents intègre des éléments fonctionnels, ici un banc. Robin Hill

La première montre l’entrée du Palais de la civilisation italienne, bâtiment emblématique du quartier de l’EUR, dorénavant siège de la marque italienne. Les deux suivantes reproduisent des espaces situés à l’étage de la boutique ouverte Largo Goldoni dont l’un est réservé aux essayages privés de la clientèle VIP. Voyeurisme soft, la quatrième image a été prise dans la cuisine de l’un des membres – non spécifiquement identifié – de la famille Fendi.

Cette invitation à explorer le versant caché des choses se prolonge au verso des paravents, paré d’un placage de bois précieux né des mains expertes des artisans de Fendi Casa. Une face B fonctionnelle, intégrant même quelques pièces de mobilier : ici une assise, là une tablette ou des espaces de rangement. « Le paravent nous intéressait en raison de son caractère double face – un écho à notre volonté de toujours remettre en question les idées reçues –, mais également pour le potentiel qu’il a d’interférer avec l’espace, comme le ferait une architecture », développe le duo de Bless.

« Kitchen » nous transporte dans la cuisine d’un membre de la famille Fendi.
« Kitchen » nous transporte dans la cuisine d’un membre de la famille Fendi. Robin Hill

En vis-à-vis du verso des paravents, la paroi du fond du stand jouait elle aussi la carte du trompe-l’oeil et de l’effet miroir, puisque intégralement tapissée de photographies de ce même bois verni. L’invitation faite aux visiteurs de marcher dans ce corridor procurait un sentiment troublant de désorientation (la version « physique » du questionnement des idées reçues…), d’où le jeu avec le panneau lumineux de signalétique « EXIT », subtilement modifié en « FENDI ». Cet espace étroit évoquait, en mode inversé car richement orné, le couloir dit « des domestiques » dans les appartements bourgeois.

Une approche iconoclaste

Pour prolonger cette inversion des codes et des rôles, Bless avait installé au centre du stand un micro-espace buanderie, avec balais et produits ménagers habillés intégralement de cuir ou de fourrure, et jeté négligemment une couverture faite de précieuses chutes de peaux – cuir de veau, peau lainée, agneau, laine mérinos – confectionnée selon la technique de l’intarsia (procédé mixte de menuiserie et d’ébénisterie, mais aussi de jacquard textile).

La photo à l’origine du motif de la couverture est celle d’un espace de stockage du siège.
La photo à l’origine du motif de la couverture est celle d’un espace de stockage du siège. Ludger Paffrath

Comment ne pas voir alors combien ce traitement iconoclaste de la fourrure est également ce qui lie Bless et Fendi ? La fourrure, l’un des deux métiers historiques de la maison, a d’ailleurs été un terrain de jeu sur mesure pour Karl Lagerfeld, qui a dessiné les collections pendant cinquante-cinq ans…

Interrogé sur ce qui, dans le travail de Bless, lui laissait penser que cette collaboration pourrait être pertinente pour ce rendez-vous audacieux de Fendi avec Design Miami, Simon Parris a eu une réponse aussi réfléchie que convaincante : « Je suis particulièrement sensible au fait que c’est le projet, plus que la forme ou le matériau, qui définit l’approche de Bless et qu’elles (Desiree et Ines, NDLR) accordent la même importance à la conversation, à la recherche et au développement qu’au résultat final. Leur studio évolue entre mode, design, intérieurs et au-delà, donc cela pouvait sans doute, de prime abord, apparaître comme la raison idéale pour que Fendi les invite à participer à Design Miami. Mais, bien entendu, il me semblait aussi que cela serait beaucoup plus complexe, subtil et j’étais fort excité par tout ce que je ne savais pas encore. Je ne pouvais pas forcément anticiper le résultat et j’ai vraiment adoré le projet pour cette raison également. »

Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, de cette vision toujours pionnière de Fendi – et a fortiori de Bless –: le Macro (musée d’Art contemporain de Rome) a inauguré le 9 février dernier l’exposition « 25 Years of Always Stress with Bless », visible jusqu’au 12 mai.


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