On est en 1961. L’architecte Cini Boeri passe ses grandes vacances sur l’île de La Maddalena, avec un groupe d’amis et sa famille, notamment avec sa belle-sœur Antonia et ses enfants. Cette année-là, le pharmacien du village leur loue une maison au bord de la mer, au cœur de paysages extraordinaires. C’est son premier été en Sardaigne et c’est le coup de foudre !
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Théâtre nu
Après qu’elle ait fait le tour de l’île et choisi le plus bel emplacement, à savoir le golfe d’Abbatoggia, Antonia lui commande un projet (d’ailleurs, Cini Boeri dessinera non loin sa propre villa, la célèbre Casa Bunker).

À cette époque, l’Aga Khan lance l’ambitieux programme qui donne naissance à la Costa Smeralda et à Porto Cervo, portion de côte et village-marina construits par des architectes tels que Jacques et Savin Couëlle, Luigi Vietti et Michele Busiri Vici: l’île est sur le point de découvrir le tourisme.
Cette fois, Cini Boeri gère en son nom sa première mission importante, puisqu’elle vient de fonder son studio depuis la fin de sa collaboration avec Marco Zanuso en 1963.
Maquis méditerranéen, silence ou rafales, nuances de bleu et de vert, reliefs doux du granit, mais aussi de l’archipel devant le bâtiment et, au-delà, les montagnes de Corse… la beauté sauvage de cette terre ne l’intimide pas et, s’appuyant sur son talent, elle conçoit une structure radicale plantée entre les rochers, près de la mer.

La Casa Rotonda est née en 1966. L’architecte n’est pas du genre à associer de grands écrits théoriques ou académiques à son travail. En revanche, son processus de création solitaire aboutit toujours à une forme guidée par une fonction, inscrite dans son contexte. « Il était naturel pour moi, raconte-t-elle à propos de cette maison, d’imaginer une forme qui enfermerait un espace protégé du vent. »
Le plan annulaire évoque un coquillage et organise deux zones indépendantes: l’appartement des propriétaires et celui des invités. Au cœur, un patio circulaire, espace iconique expressif, exemplaire par ses proportions, à l’abri et ouvert sur un horizon fascinant. Au rez-de-chaussée, partiellement inséré dans la roche, les locaux techniques et une citerne.

Présentes en nombre en Sardaigne, les tours côtières fortifiées et les tours nuragiques (des constructions en pierre de l’âge du bronze, à vocation résidentielle et défensive) semblent avoir inspiré la conceptrice. Le choix d’ajouter du granit rose broyé à l’enduit extérieur a sans doute répondu à son désir d’intégrer le bâtiment dans le paysage, invisible depuis la mer.
« Lorsque mon mari, Guido Rossi, est arrivé en bateau avec Cini Boeri pour évaluer la maison, se souvient Francesca Rossi, l’actuelle propriétaire, il a eu du mal à trouver l’habitation cachée dans les rochers. Toutefois, il lui a suffi de monter les escaliers menant au patio pour se décider, avant même d’avoir vu l’intérieur. »
Une fenêtre sur la mer Méditerranée
Amphithéâtre domestique donnant sur une scène naturelle au spectacle constamment renouvelé pour des moments de partage ou de méditation, puits aveuglant à traverser au coucher du soleil ou fascinant observatoire astronomique, le patio autour duquel la construction s’enroule est un espace architectural qui rend hommage au caractère sacré de l’île.

Guido Rossi se définissait comme un collectionneur des œuvres de Cini Boeri, car, au début des années 90, il avait acquis une villa dans la campagne de Plaisance (en Émilie-Romagne). « Toutes les maisons qu’elle a conçues et que j’ai eu la chance d’habiter, raconte Francesca Rossi, offrent une circulation fluide ainsi qu’un rapport avec l’extérieur calculé, fruit d’une réflexion. Chaque fenêtre encadre une vue différente, comme s’il s’agissait d’un tableau. »
Hormis quelques modernisations, le bâtiment a conservé son plan d’origine, dont l’espace de vie sur deux niveaux avec des murs courbes et un canapé en arc de cercle face au patio. Les intérieurs n’ont pas vieilli, gardant leur fraîcheur et leur élégance.

La relation d’amitié que créait Cini Boeri avec ses clients lui a permis de suivre l’évolution de ses « créatures », l’émergence de nouveaux besoins et de proposer les changements nécessaires ; une attitude à la fois autoritaire et généreuse, cohérente avec sa vision humaniste de l’architecture et dont l’objectif est d’embellir la vie des résidents comme celle des visiteurs.
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