Casa Italia, un projet olympique

Lors des derniers Jeux Olympiques de Paris, le CONI (Comité Olympique National Italien) recevait athlètes, politiques et personnalités au Pré Catelan, bonbon Napoléon III transformé pour l'occasion en une villa contemporaine par IT'S, studio d’architectes italiens basé à Paris. Au-delà d’un défilé de labels transalpins, cette Casa Italia tissait un dialogue inspirant entre design, art et jardin. Visite guidée.

Pour recevoir avec autant de style aussi bien le président italien Sergio Mattarella que Nicolo Martinenghi et Thomas Ceccon, nouvelles stars de la natation, le Comité Olympique National Italien voulait plus qu’une bonne adresse parisienne. À travers sa Casa Italia Paris 2024, Le CONI tenait à diffuser un message humaniste, à l’instar du thème officiel de la manifestation, celui d’être « Ensemble ». L’occasion de mettre en avant entreprises, savoir-faire et créateurs transalpins grâce à qui le Pré Catelan, situé dans le Bois de Boulogne à Paris, dans le 16e arrondissement, s’est métamorphosé en villa contemporaine italienne sous la houlette de IT’S, l’agence d’architecture italienne fondée en 2016 par Paolo Mezzalama; Alessandro Cambi et Francesco Marinelli.


À lire aussi : Jean Nouvel : « Les Jeux Olympiques doivent enrichir la ville »


Références et héritage

Au Pré Catelan, lieu prisé des mariés fan d’écrins de fête dorés sur tranche transformé à l’occasion des JO de Paris 2024 en terre de célébration pour athlètes et personnalités transalpins, écoutons plutôt les murs. Ici, le 23 juin 1894 s’est tenu le dîner de naissance des premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne. Quant à son nom, Casa Italia, il rappelle aussi – quoiqu’involontairement – la Casa all’Italiana, manifeste que le grand architecte et designer italien Gio Ponti (1891-1979) rédige en 1928 en introduction du premier numéro du magazine Domus.

Selon lui, la maison italienne est « un lieu qui vit en harmonie avec l’histoire, dont les objets et le mobilier traduisent les idées et les passions de ses propriétaires ; c’est un espace, qui malgré la valeur des objets qu’il abrite, est délibérément conçu pour accueillir d’autres personnes. » Comme une annonce anticipée du thème « Ensemble » de Casa Italia ! Il est vrai que dans cette nouvelle ambassade éphémère du design italien, malgré les œuvres d’art et la fine fleur de la production des éditeurs de design, rien n’y paraît ni statutaire ni protocolaire. La création prime sans mise à distance.

Vue du Pavillon d’accréditation de la Casa Italia Paris 2024. © CONI
Vue du Pavillon d’accréditation de la Casa Italia Paris 2024. © CONI

Le jardin semble inchangé. Pourtant… Tout a été conçu puis réalisé à partir du 14 juillet par Nature e Architettura. Paysagiste et jardiniers ont replanté ici toute la végétation emblématique de l’Italie. Hormis le parfum dégagé, l’allée d’arbres plantés évoque aussi les dessins en perspective des maîtres de l’art classique italien. Ici, les cyprès accompagnent les invités à passer sous l’arche formée au-dessus de nos têtes par Sacral, une œuvre aussi monumentale qu’évanescente de l’artiste Edoardo Tresoldi. La nuit, l’éclairage très étudié, fait scintiller cette vraie sculpture architecturale. Même le léger bruit du gravier sous les semelles rappelle confusément quelque chose de familier. Mais les cailloux aussi viennent d’Italie apprend-on.

À l’entrée du jardin, le pavillon d’accréditation est un petit salon niché dans la verdure. Le cabinet en bois Scrigno des frères Campana pour Edra, reconnaissable à sa longue chevelure d’acrylique, y trône tel un bon génie de la forêt en faction. À l’intérieur de Casa Italia, parmi les œuvres présentées, le regard s’arrête sur Panorama Italia, une gigantesque tapisserie de Giovanni Bonotto, grand nom du textile italien. L’œuvre en fil de plastique recyclable, présente en médaillons les grands noms de l’histoire du pays. La médecin et pédagogue Maria Montessori y côtoie la célèbre chanteuse Raffaella Carra, incendiaire des TV-shows français des seventies. La Piadina Romagnola, plat régional, y est immortalisée à l’instar des grandes innovations industrielles. Apparaît aussi le paysage de l’Italie idéale avec ses lacs et ses montagnes… dessiné par une intelligence artificielle. Giovanni Bonotto souligne ces détails en rappelant la filiation existant selon lui entre les manufactures italiennes et les ateliers de la Renaissance. Les uns comme les autres ne mettraient aucune borne à leur désir de modernité.

Sur la terrasse de la Casa Italia Paris 2024. Mobilier : assises et tables basses Kilt de Marcello Ziliani pour Ethimo, lampes Capitain Flint de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI
Sur la terrasse de la Casa Italia Paris 2024. Mobilier : assises et tables basses Kilt de Marcello Ziliani pour Ethimo, lampes Capitain Flint de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI

Une célébration de la victoire

Le vif du sujet, c’est de célébrer des victoires. Dans son fameux Journal, Andy Wahrol, écrivit lors d’un voyage en Italie : « Les Italiens font toujours en sorte qu’il se passe quelque chose. » Ici, les architectes de IT’S ont tout fait pour que ce qui devait se passer ici ait lieu dans un écrin où le moindre recoin soit “Instagramable”. Un espace circulaire clos donne justement l’impression de pénétrer dans un tambour. À l’intérieur, impossible de rater son group selfie, vu que sur les parois sont projetées des images de types “feux de la victoire” mais surtout des paysages d’Italie.

Excellente idée de pièces dans les pièces. C’est à en oublier le Pré Catelan d’origine. Pourtant l’intervention est légère – c’est voulu. L’architecte Francesco Marinelli nous montre les murs d’origine que notre regard devine derrière des tissus semi-transparents. Ils laissent deviner ce qui existe déjà, moulures ou décoration. Des stores vénitiens se devinent derrière des parois de tissu. « Nous les avons congelés derrière la structure », confie non sans humour l’architecte Paolo Mazzalama. Dans les sixties, le designer français Pierre Paulin avait lui aussi fait disparaître derrière du tissu beige les moulures de certaines pièces du Palais de l’Elysée. Ici, le tissu italien signé Rubelli est essentiel au projet. 400 mètres d’étoffe orange recouvrent la véranda. Au premier étage, 300 mètres de bleu plongent six salles de restaurant dans une dominante aigue-marine.

Vue de l’entrée extérieur de la Casa Italia Paris 2024. “Sacral” d’Edoardo Tresoldi, 2016. Installation de treillis métallique. © Pietro Savorelli pour CONI
Vue de l’entrée extérieur de la Casa Italia Paris 2024. “Sacral” d’Edoardo Tresoldi, 2016. Installation de treillis métallique. © Pietro Savorelli pour CONI

Hors de question de trahir le lieu existant : l’idée était simplement de lui apporter une (forte) touche d’Italie. Les plafonds à motifs de losanges rappellent ainsi les demeures construites à Milan au début du vingtième siècle par Piero Portaluppi. Ce ballet de références également incarnées par le mobilier est une manière originale de faire découvrir le Genius Loci, l’esprit des lieux, à la croisée de la France et de l’Italie. Paolo Mazzalama décrypte :  « En tant qu’italiens, même très attelés à la rénovation, nous n’avons jamais peur du passé. On l’accepte et on aime bien le réinterpréter. »

Il est vrai que dans un catalogue d’Edra ou de Cassina, il est très courant de photographier du mobilier contemporain dans des palazzi anciens. En France, un éditeur de design contemporain hésiterait peut-être à faire un shooting à Versailles ou à Chenonceaux. Passer pour bon chic bon genre ? Non merci. L’architecte renchérit : « Moi, je trouve très beau de mettre le contemporain dans l’historique, parce que  cela crée un équilibre. » Une nouvelle structure recouvre la coupole d’origine, très présente. Elle a été construite en Italie et amenée ici. Elle a ensuite été enlevée et ramenée en Italie car tous les éléments du projet, structures en bois ou en tissu, sont recyclables.

Vue du lounge de la Casa Italia Paris 2024. Mobilier : banc Curve Bench de Brodie Neill pour Riva 1920, fauteuil LOG de C.R. & S. Riva 1920, canapé  Ribes de Antonio Citterio pour B&B Italia, tables basses Borea de Piero Lissoni pour B&B Italia, lampes Captain Flint de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI
Vue du lounge de la Casa Italia Paris 2024. Mobilier : banc Curve Bench de Brodie Neill pour Riva 1920, fauteuil LOG de C.R. & S. Riva 1920, canapé  Ribes de Antonio Citterio pour B&B Italia, tables basses Borea de Piero Lissoni pour B&B Italia, lampes Captain Flint de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI

Casa Italia : hommage au design italien

Dès le rez-de chaussée, se dégage comme une impression de se retrouver dans une installation du Salone del Mobile. Par exemple, le fauteuil Pila 47 de Paolo Emanuele Nava et Luca Maria Arosio pour Rubelli donne littéralement la sensation de s’asseoir sur un lé de tissu. Un très belle œuvre domine l’ensemble de l’espace : au-dessus du sofa Sherazade de Francesco Binfaré pour Edra, le tapis Volant (2000) du Groupe Stalker fait ainsi office de faux plafond arty. Cette merveille reproduit en 3 D le plafond de la Chapelle Palatine de Palerme, ses volumes inspirés de l’architecture de l’Islam.

Au centre de la pièce trône le canapé culte Cameleonda de Mario Bellini, en velours bleu profond, jouxtant le fameux fauteuil Up 50 (B&B Italia) du designer et architecte Gaetano Pesce (1939-2024. À l’étage, le Salon des athlètes les autorise à s’allonger sur un Blob arrondi et moelleux pour observer le ciel de la pièce. Ils s’y voient en miroir, le tout évoquant la fameuse chanson italienne Le ciel dans une chambre popularisée en français par la chanteuse Carla Bruni. Possible aussi de s’asseoir sur le fameux sofa Cipria des frères Campana pour Edra, d’une suave et douce blancheur de nuage.

Vue du premier étage de la Casa Italia de Paris 2024. Luminaire : Arrangements de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI
Vue du premier étage de la Casa Italia de Paris 2024. Luminaire : Arrangements de Michael Anastassiades pour Flos. © Pietro Savorelli pour CONI

L’éclairage n’est bien sûr pas un élément accessoire du projet. L’éditeur de luminaires Flos l’a réalisé. Il y a ce qu’on voit, comme l’ultra graphique grand lustre de Michael Anastassiades dans la montée de l’escalier. Et ce qui se voit moins mais dont chacun profite, tel l’éclairage des œuvres ou le visage des moments de célébrations qui sont des fêtes. Le design prend alors tout son sens : conditionner des moments de vie, pas seulement sur le plan fonctionnel mais aussi esthétique et émotionnel.

Autant de design dans un même lieu devrait donner le tournis. Seulement si l’on devait citer ou lire sur cartel, le pedigree réel de chaque objet. L’œil expert identifient les tables basses Cicladi de Jacopo Fogggini pour Edra. En revanche, même confortablement installé à la terrasse du premier étage sur un confortable fauteuil kilt d’Ethimo, impossible de ne pas repérer, en contrebas le fauteuil de la collection A’Mare de Jacopo Foggini pour Edra. Bleu comme l’eau d’une Méditerranée de rêve et transparent comme une définition du design, italien ou pas :  une fonction, une émotion.


À lire aussi : Gaetano Pesce, designer, artiste et magicien de la matière