Les plus incroyables fauteuils édités par Edra

Si les labels de design italien ont chacun leur histoire, celle du toscan Edra est très atypique. Maison qui fait du design d’auteurs contemporains, éditeur qui tire beaucoup de fils narratifs : autant dire qu’Edra tient davantage de Cinecittà et d’une maison de couture que d’un fabricant classique. Démonstration en neuf produits phares.

Chaque année, au Salon de Milan, sur le grand stand d’Edra plongé dans une fausse pénombre propre à exalter notre jugement sous mille reflets de miroirs et d’éclairages savants, les meubles semblent toujours luire d’une audace nouvelle. Focus sur les fauteuils emblématiques de l’éditeur toscan. 



L’excentricité a claqué dès les débuts de l’éditeur de mobilier Edra, sous la houlette volcanique du directeur artistique Massimo Morozzi, qui l’a engagé avec beaucoup d’assurance vers les créateurs les plus originaux. Avec lui, dès la fin des années 80, les fondateurs, Valerio et Monica Mazzei, ont orienté l’entreprise familiale vers le design contemporain, pas le plus consensuel mais le plus entier.
La chaise Favela (2003) de Fernando et Humberto Campana.
La chaise Favela (2003) de Fernando et Humberto Campana. DR

Dans le Paris des années 90, les assistants de rédactrices en chef de retour du Salon du meuble de Milan découvraient dans d’épais catalogues des pièces qui laissaient parfois sceptiques. À l’époque, la future designer Inga Sempé, passant chaque jour devant la seule vitrine de son quartier présentant du mobilier Edra, n’imaginait pas un jour réaliser chez eux le canapé Chantilly d’anthologie. 

Le sofa Boa (2002) de Fernando et Humberto Campana.
Le sofa Boa (2002) de Fernando et Humberto Campana. DR

Massimo Morozzi aimait pousser les designers dans leurs éventuels retranchements. Avec les frères Humberto et Fernando Campana, c’était plutôt une relation avunculaire qui s’était développée, notamment en voyageant tous les trois à la recherche d’inspirations.

Le sofa Cipria (2009) de Fernando et Humberto Campana.
Le sofa Cipria (2009) de Fernando et Humberto Campana. DR

D’un coup venait le moment de donner le jour à des produits défiant, sinon l’imagination, du moins le marché du meuble. Une ambition d’autant plus élevée qu’Edra n’est ni une galerie ni un industriel classique ; tout y est fait à la main.

Le canapé Tatlin (1988) de Mario Cananzi et Roberto Semprini.
Le canapé Tatlin (1988) de Mario Cananzi et Roberto Semprini. DR

L’éditeur aurait pu économiser des millions en faisant réaliser des moules, qui auraient permis de reproduire les modèles à l’infini. Non, chez Edra, on façonne et l’excentricité n’y transige ni avec la qualité ni avec le confort. Autre singularité, la maison n’est pas milanaise mais toscane. Et même si elle est bel et bien une entreprise familiale, elle s’est très tôt tournée vers l’optimisation de son fonctionnement.



Le canapé Pack (2017) de Francesco Binfaré.
Le canapé Pack (2017) de Francesco Binfaré. DR

À Perignano, à ses débuts dans l’affaire, Valerio Mazzei avait si bien sollicité les cracks de l’informatique afin de moderniser la société de son père que son nouveau système de gestion avait ensuite été acheté par IBM ! Le même Valerio travaillait en direct avec Francesco Binfaré, mi–designer, mi-artiste…

Le canapé Flap (2000) de Francesco Binfaré.
Le canapé Flap (2000) de Francesco Binfaré. DR

On sait depuis combien ce compagnonnage a été prolifique. Avant de présider l’entreprise, Monica, sa sœur, exerçait son empire sur les tissus, partie ô combien capitale des créations de la maison.

Selon certains designers, Edra tiendrait d’ailleurs surtout de la maison de couture et du studio de cinéma. Pourtant, l’éditeur n’a pas de formule magique, sinon d’avoir fait le choix d’une certaine excentricité reflétant son époque.

Les plus belles assises du label de design italien

1. Le canapé Tatlin (1988) de Mario Cananzi et Roberto Semprini

Le canapé Tatlin (1988) de Mario Cananzi et Roberto Semprini.
Le canapé Tatlin (1988) de Mario Cananzi et Roberto Semprini. DR

En juillet 1988, le futur architecte Mario Cananzi glisse sa carte de visite à Massimo Morozzi lors d’un cours d’été. Avec son ami designer Roberto Semprini, ils se rendent à Perignano pour montrer leurs dessins. Avant de partir, ils récupèrent in extremis celui du futur canapé Tatlin, jeté par mégarde dans la poubelle. Massimo Morozzi le remarque et commande un prototype.

À cause des formes de ce divan, en spirale, avec une tour centrale, les couturières d’Edra doivent se surpasser pour assembler le tissu sur l’endroit, de l’extérieur, tout en rendant les coutures invisibles. Impressionné par le prototype parfait réalisé par l’éditeur, Cananzi suggère lui-même de baptiser le canapé en hommage à Vladimir Tatline, gloire du mouvement constructiviste. En septembre, le modèle en velours rouge fait un tabac au Salon du Meuble de Milan. 



2. Le fauteuil Rose (1990) de Masanori Umeda

Le fauteuil Rose (1990) de Masanori Umeda.
Le fauteuil Rose (1990) de Masanori Umeda. DR

En 1988, à la Tokyo Designer’s Week, Masanori Umeda expose sous son propre nom une série d’assises en forme de fleurs, dont le fauteuil Rose, aux coussins de velours en forme de pétale. Celui-ci voisine alors avec le fauteuil Miss Blanche, de Shiro Kuramata, dont l’acrylique renferme des roses captives.

En 1989, Masanori Umeda découvre l’existence d’Edra en commandant le canapé Tatlin pour le projet d’un client. En 1990, Massimo Morozzi l’informe qu’il a décidé de faire entrer les modèles de sa collection « Flower » dans le catalogue d’Edra.

Arrivé à Perignano, Umeda a l’impression d’avoir franchi les portes d’une maison de couture survoltée, alors même que son fauteuil s’inspire du concept japonais du kyosei, ce tranquille état d’harmonie avec la nature qui va faire sensation lors du premier off du Salon du meuble de Milan.


3. Le fauteuil Vermelha (1998) de Fernando et Humberto Campana

Le fauteuil Vermelha (1998) de Fernando et Humberto Campana.
Le fauteuil Vermelha (1998) de Fernando et Humberto Campana. DR

Quand, autoédité au Brésil par les Campana, le fauteuil Vermelha (« vermillon » en français) est présenté, des gens leur rient au nez. Ils en vendent cinq. Ses 500 mètres de corde de filet de pêche ou d’escalade qui lui tiennent lieu de garniture retiennent cependant l’attention de Massimo Morozzi, qui la repère, d’après les Campana, dans un magazine ou, selon Edra, dans un livre sur les 50 fauteuils cultes de l’auteur James Lee Byars !

Les débuts de carrière des deux frères s’avérant incertains, Humberto est parti prendre du champ à Madagascar quand Fernando reçoit un appel du DA d’Edra. Il a vu le Vermelha, il le veut. Des cassettes VHS du montage du fauteuil sont envoyées au prototypage chez l’éditeur, qui va parfaitement optimiser son mode de fabrication. Les Campana en seront les premiers surpris… Dès lors, Massimo Morozzi devient pour eux un mentor.


4. Le canapé Flap (2000) de Francesco Binfaré

Le canapé Flap (2000) de Francesco Binfaré.
Le canapé Flap (2000) de Francesco Binfaré. DR

Pour le designer Francesco Binfaré, un canapé est « le portrait de la manière dont on veut s’asseoir ». Le canapé Flap dont les dossiers se relèvent ou s’abattent selon une minutieuse articulation, reflète, toujours selon lui, l’importance, en 2000, de l’échange au sein des familles, traditionnelles, recomposées ou choisies.

Quand Binfaré a raconté à Valerio et Monica Mazzei un rêve de sofa dont il avait fait le dessin, ils s’en sont tout de suite saisis. Avec ce designer, coutumier des pièces de mobilier à message, on peut aussi voir un radeau flottant sur un océan de périls. L’année suivante, plus optimiste, la cofondatrice d’Edra, alors chargée des tissus, en a fait fabriquer un parsemé de 750 000 cristaux Swarovski. 


5. Le sofa Boa (2002) de Fernando et Humberto Campana

Le sofa Boa (2002) de Fernando et Humberto Campana.
Le sofa Boa (2002) de Fernando et Humberto Campana. DR

Le coussin tubulaire de velours de 120 mètres de long, rembourré de polyuréthane et de plumes d’oie, ne doit pas faire peur. Le sofa Boa est confortable, il est élastique sans manquer d’une certaine fermeté. On peut s’allonger ou s’asseoir comme on veut dans cette grande tresse tissée… Si Boa est recouvert de velours, c’est parce que c’est la matière qui exprime le mieux la couleur.

Pour Monica Mazzei, qui a choisi le tissu, il lui arrive même de faire sa sélection en commençant par toucher un textile avant même de le regarder. L’inspiration du Boa est toute brésilienne, puisqu’elle provient des voyages dans la nature des frères Campana avec l’architecte et designer Massimo Morozzi.

La fratrie ayant grandi près de grandes forêts remplies d’animaux sauvages, leur mentor, un jour, leur a déconseillé de déménager à Milan, arguant qu’ils perdraient le contact avec leurs racines… tellement inspirantes. 


6.  La chaise Favela (2003) de Fernando et Humberto Campana

La chaise Favela (2003) de Fernando et Humberto Campana.
La chaise Favela (2003) de Fernando et Humberto Campana. DR

Dès 1991, les frères Campana recyclaient. De fait, près d’un marché aux fruits de São Paulo, ils collectaient du bois de cagettes pour l’assembler, le clouer et le coller jusqu’à ce que le matériau se transforme en chaise. En 2003, quand Edra l’édite, le reproche lui est fait de la baptiser Favela (bidonville) et de coûter cher. Pour les Campana, elle évoque plutôt la débrouille, la récupération et l’économie de moyens dans une société qui gaspille.

En réalité, sa production – qui dure une semaine par chaise – emploie une communauté de gens socialement défavorisés dans un atelier de menuiserie dont Fernando Campana s’amuse toujours à préciser combien l’ambiance y est rigoureuse, très « allemande » et pas du tout paulista cool. Favela illustre aussi les possibilités de produire à la main sans trop de technologie. C’est cette excentrique simplicité qui a fait son succès.



7. Le sofa Cipria (2009) de Fernando et Humberto Campana

Le sofa Cipria (2009) de Fernando et Humberto Campana.
Le sofa Cipria (2009) de Fernando et Humberto Campana. DR

En rose poudré, le sofa Cipria, composé de neuf coussins de fausse fourrure, évoque le contenu d’une boîte de poudres de maquillage avec ses multiples houppettes. Le modèle existe aussi avec des coussins multicolores. La version toute noire est aussi étonnante que celle noire et or.

Mais pour ne pas dénaturer l’esprit du modèle, qui le voudrait dans des couleurs jugées hasardeuses par Edra se verrait opposer une fin de non-recevoir polie, intégrité artistique des créateurs oblige. Le confort du Cipria procuré par ses coussins fixés sur une structure d’acier tubulaire, tient au rembourrage en Gellyfoam (une mousse brevetée exclusive d’Edra) associé à de la ouate synthétique.

Les frères Campana ont ensuite réalisé un lit sur le même principe d’écrin de fausse fourrure. La version fauteuil est tout aussi cosy, avec le détachement élégant de son accotoir unique.


8. Le canapé Pack (2017) de Francesco Binfaré

Le canapé Pack (2017) de Francesco Binfaré.
Le canapé Pack (2017) de Francesco Binfaré. DR

Pour le designer Francesco Binfaré, un canapé ne procure pas uniquement du confort, mais aussi de « l’affectivité ». C’est chose faite avec le Pack, d’abord imaginé pour meubler créativement « Selfies », une exposition du designer dans la ville de Plaisance, à une heure au sud-est de Milan.

Les croquis du designer montraient des gens pianotant sur leurs tablettes, ignorant les maux du monde. Les Mazzei, séduits, ont reçu la maquette en pâte à modeler, que les couturières d’Edra ont habillée de tissu, mais pas n’importe lequel.

La responsable en a sélectionné un, grisé, pour la base du canapé, afin de suggérer la banquise et contrastant avec la fourrure immaculée de l’ours allongé dessus, lequel sert aussi de dossier. L’ours dort-il paisiblement ou son inertie vaut-elle avertissement ? Voilà un sofa inanimé qui ne manque pas d’âme.


9. La collection de mobilier outdoor « A’mare » (2021) de Jacopo Foggini

La collection de mobilier outdoor « A’mare » (2021) de Jacopo Foggini.
La collection de mobilier outdoor « A’mare » (2021) de Jacopo Foggini. DR

À force de travailler les polymères pour en faire du mobilier, Jacopo Foggini est devenu une sorte d’alchimiste du polycarbonate. Certains de ses procédés sont tenus secrets. La foncière originalité de ses créations est le meilleur rempart contre la contrefaçon.

En témoigne « A’mare », première collection de mobilier outdoor chez Edra qui lui permet ainsi d’entrer dans ce secteur par la grande porte. Banc, table, chaise longue ou fauteuil, chaque pièce semble composée d’eau solidifiée. Toute la collection est constituée de tasseaux transparents de polycarbonate d’un bleu des mers du Sud.

Les modèles de la collection cumulent les atouts, car ils sont à la fois résistants et souples. Du jamais vu ! Le soir de leur présentation sous les ors du Palazzo Durini, où le showroom milanais d’Edra venait d’emménager, la firme a impressionné les pellicules et les esprits (s’il en était besoin). 


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